Stoltenberg a des doutes sur l’entrée à terme de l’Ukraine dans l’OTAN, et pour cause. Mais quelle importance ? De toute manière cela ne sera pas nécessaire : les accords bilatéraux permettront de protéger l’OTAN, tout en impliquant ses membres. Ce qui ne diminuera en rien le risque de confrontation directe entre les pays de l’OTAN et la Russie. Et ce risque augmente alors que les États-Unis sont en train de finaliser avec l’Ukraine un accord de coopération militaire, sur le modèle de celui déjà passé par de nombreux pays européens. La « coalition active » contre la Russie se prépare au sein de l’OTAN.
Afin de ne pas formellement s’engager trop en avant dans le conflit en Ukraine et pour surmonter la divergence de position de ses membres sur nombre de questions, l’OTAN a enjoint ses pays membres à conclure des accords bilatéraux avec l’Ukraine, prévoyant aide et assistance militaire, le tout sous le doux euphémisme d’accord de sécurité.
Cette décision formulée au sommet de Vilnius en juillet 2023, signée par une trentaine d’États, a été suivie d’effets. La Grande-Bretagne a ouvert le bal en janvier 2024 (voir notre texte ici) et entraîné les autres pays dans son sillon. L’Allemagne et la France ont très rapidement suivi. Rappelons que l’accord signé par la France ( voir notre texte ici) engage notre pays pour 10 ans, sans poser aucune limite à l’assistance militaire apportée « en cas d’agression future » de la Russie, qui est déjà considérée comme un pays agresseur et alors qu’un conflit armé est en cours sur le sol ukrainien. Ils furent ensuite suivis par le Danmark, le Canada, l’Italie, les Pays-Bas et la Finlande début avril 2024.
Désormais, les États-Unis entrent dans la danse et l’on apprend qu’un troisième tour de négociations vient de se dérouler il y a une semaine visant à finaliser le texte de l’accord de sécurité, c’est-à-dire d’assistance militaire entre les États-Unis et l’Ukraine.
Dans ce contexte, l’on comprend mieux les propos de Stoltenberg en visite à Kiev hier 29 avril. Extraits :
« Il n’est pas trop tard : l’Ukraine peut encore l’emporter, et un soutien supplémentaire est en route. M. Stoltenberg a indiqué que quelques jours plus tôt, lors d’une réunion du Conseil OTAN-Ukraine, les ministres de la Défense avaient entendu l’appel sans équivoque du président Zelensky, et qu’ils avaient "décidé d’accroître le soutien à l’Ukraine". Il s’est félicité que les États-Unis aient adopté un nouveau train de mesures, prévoyant une aide substantielle de plus de 60 milliards de dollars, et s’est réjoui des nouveaux engagements pris par le Royaume-Uni, l’Allemagne et les Pays-Bas, avant de préciser qu’il s’attendait "à ce que d’autres annonces suivent prochainement". »
Et surtout, en ce qui concerne la question sulfureuse de l’entrée de l’Ukraine dans l’OTAN – aucune date ne peut être posée…
« La place de l’Ukraine est au sein de l’OTAN. L’Ukraine deviendra membre de l’OTAN. Le sens du travail que nous accomplissons aujourd’hui, c’est de rendre irréversible la trajectoire de l’Ukraine vers l’adhésion, de sorte qu’elle puisse rejoindre l’Organisation dès que le moment sera venu. »
Quand le moment sera venu… S’il vient. En tout cas, Stoltenberg a laissé entendre qu’aucun accord entre les membres de l’OTAN ne sera atteint sur cette question d’ici le sommet de juillet, qui doit se dérouler à Washington.
L’essentiel pour l’axe atlantiste est de gagner sa guerre contre la Russie, pas de garantir l’avenir de l’Ukraine, qui n’en a déjà plus.
« Moscou doit bien le comprendre : la Russie ne peut pas gagner. Elle ne nous aura pas à l’usure. »
Comme il s’agit d’un conflit à long terme, qui ne pourra prendre fin que par la disparition physique et politique de l’adversaire, soit de la Russie, soit du système atlantiste globalisé, l’OTAN prévoit un mécanisme de paliers. En concluant des accords bilatéraux, les États membres de l’OTAN agissent en leur nom propre sur le plan militaire, surtout si une intervention directe officielle sur le front ukrainien est décidée nécessaire. Cette fiction juridique est censée protéger l’OTAN comme institution, comme bras armé de la globalisation, afin de lui laisser plus de marge de manœuvre. Dans la réalité politique, il n’est pas certain que cette fiction change réellement la donne : les pays membres de l’OTAN seront de plus en plus impliqués, au risque d’entrer en guerre contre la Russie. De toute manière, l’OTAN fournit l’assistance technique et elle est déjà impliquée.
La question est ailleurs : pour qu’une fiction fonctionne, il faut qu’elle soit acceptée comme telle par son destinataire. Combien de temps la Russie jugera-t-elle conforme à ses intérêts de faire semblant d’y croire ? Et cette carte fondamentale n’est pas maîtrisée par l’OTAN.