Nous diffusons cet article d’histoire de France Info sur le Jour-J, ou le D-Day, pour deux raisons.
La première, et cela fait écho au conflit actuel entre la Russie et l’OTAN, c’est le face à face entre deux puissances industrielles, donc deux capacités de production. Cela ne suffit pas à faire un vainqueur, mais la production d’armements dans la durée pèse sur l’issue d’un conflit. Par exemple, sans les munitions américaines, Israël serait incapable de battre le Hamas ou le Hezbollah.
Sur l’autre terrain de guerre, au sud de l’Ukraine, la puissance industrielle russe et sa capacité de renouvellement des armes et des munitions a pesé lourd : l’Europe est à la traîne quand à la fourniture d’obus, les pays ouest-européens n’en fabriquaient presque plus, au contraire des pays du Sud global qui soutiennent directement ou indirectement la Russie. La Corée du Nord avec ses obus, l’Iran avec ses drones, permettent aux Russes d’avoir un ratio de tirs de 10 contre 1.
Même les Américains, qui depuis 1972 et l’accord de sous-traitance avec la Chine ont abandonné des secteurs entiers de leur industrie, ne fabriquent plus assez d’obus pour alimenter les deux grands conflits en cours : Israël absorbe une bonne partie de la production US, et les Ukrainiens crient famine.
Le Figaro a publié un reportage sur l’usine de Scranton en Pennsylvanie, qui fait dans l’obus de 155mm, une invention française, soit dit en passant.
L’usine de munitions de Scranton, en Pennsylvanie, a augmenté ces derniers mois sa cadence de production. « Nous sommes passés de 24.000 obus en avril dernier à 36.000 ce mois-ci », explique Richard Hansen, le directeur de l’usine. « Une nouvelle chaîne de production est en cours d’installation et doit être opérationnelle en juillet prochain ». L’objectif du Pentagone est d’atteindre une production totale de 100.000 obus par mois à la fin de 2025, soit trois fois celle de l’année précédente. (...)
L’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022 a complètement bouleversé ces estimations. L’artillerie lourde a été soudain remise à la mode. À l’ère des drones et de l’intelligence artificielle, les canons de 155mm sont l’arme principale de ce champ de bataille. Le positionnement des pièces par GPS et le réglage des tirs par drones et calculateurs a donné une précision et une létalité supplémentaire à cette arme, capable d’atteindre à plus de 20 kilomètres les positions adverses.
Ironie de l’histoire (économique), le Nord global s’est débarrassé en 50 ans de ses industries les moins rentables au profit du Sud global, d’où le manque de masques (inutiles, mais c’est un autre débat) en France en 2020 et le manque de munitions des pays de l’OTAN en 2022-2024.
Pour en revenir à l’interview de l’historien du CNRS sur France Info, contrairement à la légende où personne n’a osé réveiller Hitler au moment du Débarquement, il souligne que c’est Hitler qui a fait amener des troupes dans le Cotentin, et ce, bien avant les mouvements aéronavals des Alliés.
Changer de perspective. En juin 1944, l’état-major nazi, qui s’attendait à une offensive des Alliés dans la Manche, a commis des erreurs, notamment en raison de son incapacité à comprendre le fonctionnement du camp adverse.
À l’occasion des commémorations pour le 80e anniversaire du débarquement en Normandie, jeudi 6 juin, franceinfo a interrogé Jean-Luc Leleu, historien au CNRS, membre du conseil scientifique du Mémorial de Caen et auteur de l’ouvrage Combattre en dictature. 1944 – La Wehrmacht face au Débarquement, pour comprendre comment l’opération Overlord a été vécue du côté allemand.
Dans quelle situation se trouve l’Allemagne nazie au moment du débarquement, le 6 juin 1944 ?
D’un point de vue stratégique, la situation de l’Allemagne nazie est déjà très critique puisque, au début de l’année 1944, le cap des deux millions de soldats allemands tués depuis 1939 a été franchi. À titre de comparaison, deux millions, c’est le nombre de soldats allemands morts au cours de la Première Guerre mondiale. Donc avant même que les soldats alliés ne posent un pied sur les plages normandes, l’Allemagne a déjà connu une saignée semblable à celle de 14-18. Par ailleurs, 81 % de ces pertes, au 1er juin 1944, ont été causées sur le seul front de l’Est.
Et d’un point de vue économique ?
Au-delà des effets de la propagande nazie, avec des chiffres largement exagérés sur la production de guerre allemande, il faut se rendre compte que l’Allemagne, puissance industrielle somme toute moyenne, est en conflit avec trois des plus grandes puissances industrielles de l’époque : le Royaume-Uni, l’URSS et les États-Unis. Les États-Unis sont déjà une superpuissance industrielle et économique, ils produisent les deux tiers du pétrole brut mondial. Pour les principaux armements (canons, chars et avions), on est sur un ratio qui oscille entre cinq et six pour un : à chaque fois que l’Allemagne nazie sort un char de combat, les Alliés en sortent cinq ou six. Un complet déséquilibre.
À la veille du Jour-J, les Allemands cherchent encore à savoir où va se dérouler le Débarquement. Sur quelle zone mise l’état-major nazi ?
Les services de renseignement allemands ne parviennent pas à percer le secret du lieu et du moment, c’est une évidence. Mais ils ont une idée, par déduction et parce qu’ils ont des indices. Ils ont des postes d’observation au niveau du détroit de Gibraltar et ils ont bien repéré le transfert de bâtiments, depuis la Méditerranée vers l’Atlantique. Ils ont donc compris que le Débarquement allait se dérouler dans le secteur de la Manche, grosso modo sur une zone allant de Brest à Dunkerque. Cela paraît peu précis, mais il faut prendre en compte l’immensité de l’empire à défendre, du Cap Nord (la frontière entre la Norvège et la Finlande) jusqu’aux Balkans.
Par ailleurs, l’assaillant garde toujours un avantage en choisissant le moment et le lieu. Même si vous avez détecté, par exemple, une flotte de débarquement à Portsmouth, dans le sud de l’Angleterre, la distance pour les navires sera à peu près identique pour aller au Havre ou à Cherbourg (130 ou 150 kilomètres). Alors que pour le défenseur, les forces vont devoir faire 250 kilomètres d’un point à l’autre, à une époque où il n’y a pas encore le pont de Tancarville ou le pont de Normandie.
Il y a quand même un envoi de renforts allemands dans le Cotentin dans les semaines qui précèdent le Débarquement, non ?
Tout à fait, l’initiative en revient à Hitler. C’est une guerre des nerfs, avec les Alliés qui vont envoyer une série de leurres à partir de 1942 pour dire qu’ils vont débarquer et tenir en haleine les Allemands. De son côté, le régime nazi va faire croire que ses défenses sont beaucoup plus imposantes qu’elles ne le sont en réalité. Dans cette guerre des nerfs, les Alliés mettent en avant la possibilité d’un assaut aéroporté massif. Et Hitler, en regardant la carte, imagine que les presqu’îles bretonnes ou celles du Cotentin peuvent être des objectifs rentables pour l’engagement de tels assauts. Cela pouvait permettre d’isoler ces presqu’îles et faciliter la prise d’un port tel que Brest ou Cherbourg.
Hitler donne donc l’impulsion pour renforcer les effectifs dans ces zones. En mai 1944, on a un afflux de troupes dans le Cotentin, à tel point que, fin mai, le plan d’opération de la 82e division aéroportée américaine, engagée près de Sainte-Mère-Église, a été modifié. Au départ, elle devait être larguée plus à l’ouest. Au vu du renforcement allemand, les zones de saut ont été déplacées vers l’est. Donc l’intuition allemande n’était pas si mauvaise.
Quel rôle ont joué les opérations d’intoxication des Alliés, notamment Fortitude ?
Il y a deux opérations : Fortitude Nord, qui simule un débarquement en Scandinavie, et Fortitude Sud, au niveau de la Somme et du Pas-de-Calais. La première ne fonctionne pas et le renseignement allemand n’y croit pas. Il prend davantage en compte Fortitude Sud, mais il faut rappeler que les études menées sur cette opération ont été majoritairement inspirées de la lecture des archives britanniques, sans se préoccuper des archives allemandes. Or, pour une opération d’intoxication, vous avez un émetteur et un récepteur. Vous envoyez des bouteilles à la mer, qui ne sont pas forcément reçues.
Dans les archives allemandes, on voit que Fortitude a eu un impact, mais plus faible qu’on ne l’a dit, tout simplement parce que les états-majors nazis avaient une confiance limitée dans leurs propres services de renseignement. Finalement, ils sont arrivés à la conclusion erronée d’un débarquement notamment sur les côtes du Pas-de-calais, plutôt par déduction, parce qu’ils y croyaient eux-mêmes. On a, de manière documentée, un seul mouvement de division directement contrarié par Fortitude. Donc c’est assez limité. En réalité, le commandement allemand se fourvoie assez largement tout seul.
Comment expliquer les défaillances du renseignement allemand ?
En matière de renseignement, il faut se mettre à la place de l’adversaire, comme si vous tourniez le plateau d’un jeu d’échecs. Ça, tout le monde est capable de le faire. Mais il faut aussi adopter la culture de l’adversaire, et c’est beaucoup plus compliqué. L’état-major allemand avait pour principe le « Schwerpunkt », le point fort, avec l’idée de concentrer l’essentiel des forces au point décisif, là où le choc va être le plus rude. Alors que les Alliés, eux, sont dans une approche un peu moins frontale, parce que les armées, issues de régimes démocratiques, rechignent à subir des pertes trop lourdes. Donc ce sont deux cultures différentes et les officiers de l’état-major allemand n’arrivent pas à se mettre à la place des Alliés.
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Concrètement, à quel moment le haut commandement allemand et Hitler lui-même comprennent que le Débarquement a commencé ?
Dans les sources allemandes, on voit que chaque service a sa propre analyse. La Kriegsmarine [la marine de guerre allemande] comprend autour de 4 heures du matin qu’il s’agit d’un débarquement de forces très important. L’armée de terre arrive un peu plus tard à cette conclusion, en milieu de journée. Concernant Hitler, les témoignages divergent. Certains disent qu’il a été réveillé aux alentours de 8 heures, d’autres beaucoup plus tard. Je suis enclin à penser qu’il a été informé assez tôt, parce que deux de ses aides de camp, des officiers SS, ont déclaré cela dans l’immédiat après-guerre, à l’issue d’interrogatoires du NKVD soviétique [la police politique, l’ancêtre du KGB]. Ils ont été interrogés séparément et ont donné des informations concordantes. Les autres témoignages sont plus tardifs, avec des gens davantage conscients des enjeux mémoriaux.
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