Selon Marc Rousset, économiste, écrivain, auteur de « La Nouvelle Europe Paris-Berlin-Moscou »
Les Etats-Unis, après avoir avalé la couleuvre Poutine, suite à l’âge d’or de la période Gorbatchev et Eltsine du déclin accéléré, voire de l’éclatement à venir de la Russie selon les rêves de Zbigniew Brzezinski dans le Grand Echiquier (1), prenaient leur mal en patience en espérant se débarrasser de Poutine comme ils furent débarrassés du général de Gaulle en 1969, d’où la tentative désespérée d’une nouvelle révolution orange en Russie avec le nouvel ambassadeur américain à Moscou Mac Faul qui se définit lui même comme « un expert de la démocratie, des mouvements anti- dictatoriaux et des révolutions ».
L’opposition actuelle, sans leader, sans unité aucune, avec des tendances diamétralement opposées en son sein, fait la une des médias occidentaux ; mais elle ressemble en fait à l’armée hétéroclite de Bourbaki et fait penser à la fable de Jean de La Fontaine des « Grenouilles qui demandent un roi » !
Les peuples, dans les démocraties occidentales, ne supportent pas très longtemps les hommes d’Etat ayant une vision historique et demandant de l’autorité, de l’effort, de la persévérance, du courage pour non seulement redresser, mais développer le rayonnement et la puissance d’un pays.
Ils préfèrent la repentance, les loisirs, la retraite à 60 ans, les 35H, le laxisme et l’endettement public éhonté ; c’est aussi plus facile pour se faire élire !
Clémenceau, Churchill et de Gaulle sont là pour attester de cette propension des démocraties occidentales à écouter les Daladier, les Chamberlain, les Mitterrand ou les Hollande, voire les comiques utopiques du style Jean Luc Mélenchon, plutôt que de mettre le citoyen en face de ses responsabilités, compte tenu des réalités géopolitiques et économiques.
Les Etats-Unis pensaient donc tenir avec Medvedev un nouveau Gorbatchev qui, au nom du développement économique, de la liberté d’expression et d’un droit de l’hommisme à la russe, allait, avec les louanges et les encouragements de l’Occident, terminer en fait le travail de destruction massive de la puissance de l’URSS commencé avec Gorbatchev, toujours très populaire aujourd’hui partout dans le monde, sauf dans son propre pays !
L’erreur grotesque de Medvedev, avec l’absence du droit de véto de la Russie à l’ONU, lors de l’intervention militaire éhontée de l’OTAN en Libye, derrière le paravent humanitaire, était porteuse d’espoir pour l’Occident et les Etats-Unis.
Cela sentait bon la bonne soupe, la naïveté et ce n’est pas l’envie qui manquait à Monsieur Alain Juppé qui excelle en la matière, de rejouer le même bon tour à la Russie en Syrie. Vladimir Poutine, en reprenant le contrôle de la politique étrangère, a contrecarré d’une façon prémonitoire les plans de l’Oncle Sam en Syrie et au Moyen orient !
En venant d’être réélu par 109 millions de Russes avec 60% des voix, Président de la Fédération de Russie, il pourrait bien contrecarrer encore pendant douze ans d’une façon irréversible les plans d’encerclement de la Russie et de la Chine par l’Amérique !
Poutine, de Gaulle russe
Poutine, c’est l’homme que les Américains n’attendaient pas et qui a non seulement redressé la Russie, mais l’a sauvée du dépeçage en trois tronçons. Le rêve géopolitique des Etats-Unis, si la Russie avait perdu la guerre en Tchétchénie, était de faire de la Russie, une nouvelle Grande Pologne, en la ramenant à Stavropol, point de départ de la colonisation russe au XIXème siècle.
Poutine s’est aussi opposé avec succès à l’exploitation des ressources naturelles de la Russie par les groupes étrangers, ce qui était le but affiché par Mikhaïl Khodorkovski, patron de Youkos, interpellé le 25 octobre 2003 sur un aéroport de Sibérie, alors qu’il venait de participer quelques jours plus tôt à un forum d’affaires à Moscou en compagnie de Lee Raymond, l’un des directeurs d’Exxon ; cette société était sur le point de participer jusqu’à hauteur de 25 milliards de dollars dans la fusion Youkos-Sibneft.
Les capitaux américains d’Exxon Mobil et de Chevron-Texaco souhaitaient en fait s’infiltrer avec une participation de 40% dans le sanctuaire sibérien des hydrocarbures russes. En perdant ses ressources financières, la Russie perdait définitivement toute chance de rebondir.
Poutine a réussi pour l’instant à contenir, mais sans le briser complètement l’encerclement par l’Otan et l’oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan (BTC). Avec le projet du bouclier anti-missiles qui revient à l’ordre du jour, les Etats-Unis auront un adversaire redoutable qui continuera à leur dire leur quatre Vérités
Vladimir Poutine, c’est aussi l’homme du KGB qui a vu venir et réussi à combattre à ce jour avec succès toutes les révolutions orange en Ukraine, Géorgie, Kirghizstan, Ouzbékistan, les manifestations actuelles et à venir anti-Poutine en Russie n’étant que leur chant du cygne, un dernier soubresaut, une dernière tentative de l’Occident pour se défaire de Vladimir Poutine !
Comme de Gaulle, Poutine a misé sur les valeurs traditionnelles, le sens de la Grandeur, le patriotisme et l’Eglise orthodoxe pour éviter la « chienlit ».
L’autoritarisme plus marqué de Poutine par rapport à de Gaulle convient parfaitement et est même absolument nécessaire, en Russie, tout comme en Chine d’ailleurs, pour éviter l’éclatement tant redouté du pays. Quant à la corruption, de la même façon qu’ elle a continué de plus belle en Ukraine avec l’arrivée au pouvoir de l’égérie de la révolution orange Ioulia Timochenko, un pouvoir politique fort , ce que savent tous les Russes, est un bien meilleur antidote que les oligarchies politiques de type occidental, car ces dernières ne feraient que s’acoquiner avec les oligarques russes ; il en résulterait une décadence qui serait encore plus rapide que dans l’actuelle Europe de l’Ouest .
Poutine, un nouveau Pierre Le Grand ?
Le Patriarche orthodoxe Kirill a vu juste en soutenant Poutine qui pourrait être considéré en 2024 comme un nouveau Pierre le Grand du XXIème siècle, à 4 conditions :
- développer d’une façon très intense le réarmement et la modernisation en cours de l’Armée russe,
- réussir le développement et la diversification, déjà commencée par Medvedev, de l’économie russe,
- continuer à combattre la dénatalité russe, ce dont Poutine est, comme de Gaulle en 1945, parfaitement conscient,
- ramener dans le giron russe, ce qui est inexorable historiquement à long terme, la Biélorussie et l’Ukraine, afin de constituer un contrepoids humain suffisant de deux cents millions d’habitants face à la Chine, l’Asie Centrale et le Caucase.
L’affrontement en cours de Poutine avec les Etats-Unis peut être comparé au premier combat du jeune Tsar Pierre Le Grand avec Charles XII qui mit fin par la bataille de Poltava le 8 juillet 1709 à la suprématie suédoise dans la Baltique.
Pierre Le Grand, tout en renforçant et modernisant l’armée russe ne commit pas l’erreur ensuite d’oublier l’économie, l’innovation et les Arts, ce qu’il montra en 1717 lors d’un déplacement en Europe. Pierre Le Grand ancra la Russie avec une fenêtre sur l’Europe en fondant Saint-Pétersbourg.
Le natif Poutine de cette même ville, qui parle allemand, ancien espion du KGB à Dresde avant la chute du Mur de Berlin, a une vision continentale européenne et souhaite se rapprocher pour des raisons géopolitiques de la France et de l’Allemagne. Maurice Druon ne s’y était pas trompé en voyant dans Poutine le défenseur européen d’un monde multipolaire plutôt que d’un monde obéissant à un shérif planétaire et « l’un de nos plus décisifs alliés ». Pour Poutine, l’avenir est donc européen !
Mais la Russie regarde aussi à l’Est et vers le Sud d’où peuvent venir de nombreux dangers, la fin de l’intervention occidentale en Afghanistan n’étant pas l’un des moindres. Au delà de son effort démographique propre pour atteindre au minimum les 130 millions d’habitants et ne pas retomber à 100 millions en 2050, soit l’équivalent de la population turque à cette date, la Russie a besoin à terme de la Biélorussie et de l’Ukraine .
Ces deux pays dont l’un est son berceau religieux, représenteraient un apport humain d’environ 60 millions d’habitants pour constituer une superpuissance suffisante face à La Chine et à l’Asie centrale. Si Poutine, sous sa Présidence, réussit ce tour de force, en commençant très vraisemblablement par la Biélorussie, il pourra être véritablement comparé à Pierre le Grand, sinon il n’aura pas démérité et pourra être comparé au minimum à de Gaulle, Churchill ,Bismarck, Richelieu et Clemenceau, ces grands Hommes d’Etat ayant eu une vision historique, un courage, une continuité qui font cruellement défaut à nos petits politiciens européens actuels, atlantistes, libre-échangistes, démocrates, démagogues et droit de l’hommistes, ce qui ne sera déjà pas si mal !
(1) Zbigniew Brzezinski, Le Grand Echiquier, Bayard, Paris, 1997