Nicolas Gauthier : Certains commentateurs jugent que l’élection de Donald Trump est une réaction de « l’Amérique blanche ». Certains s’en félicitent, d’autres la dénoncent, tandis que Marine Le Pen assure qu’« il ne faut pas "racialiser" ce scrutin ». Votre position ?
Alain de Benoist : Les États-Unis sont, de longue date, une nation multiraciale et, contrairement à ce qui se passe chez nous, les statistiques ethniques y sont d’usage courant. Concernant la dernière élection présidentielle, les choses sont claires : Hillary Clinton a obtenu 88 % du vote des Noirs et 65 % du vote des Latinos et des Asiatiques. Trump n’en a obtenu, respectivement, que 8 % et 29 % – ce qui n’est déjà pas si mal (c’est plus que n’en avait capté Romney en 2012). Ce clivage n’a rien de surprenant, les minorités ayant depuis longtemps l’habitude de voter massivement en faveur des démocrates : depuis 1952, seul Lyndon B. Johnson, en 1964, avait recueilli une majorité de votes chez les Blancs. On notera néanmoins qu’à cet égard, Obama avait fait mieux que Hillary, ayant remporté 93 % du suffrage noir en 2012 et 95 % en 2008.
L’électorat blanc a été plus divisé. Trump a recueilli 58 % du vote des Blancs (64 % en Floride, 69 % au Texas), contre 37 % pour Clinton (50 % en Californie), qui fait mieux que Carter en 1980 (33 %) mais moins bien qu’Obama en 2012 (39 %). La majorité des Blancs a donc voté pour Trump, mais cela ne signifie nullement que sa victoire est uniquement due au facteur ethnique. La vérité est que ce sont les Blancs de la classe ouvrière, des classes populaires et des classes moyennes qui ont choisi Donald Trump (chez les Blancs non diplômés, il recueille 67 % des suffrages), tandis que les élites blanches, celles qui profitent de la mondialisation néolibérale, se sont en majorité reportées sur Hillary Clinton. De ce point de vue, le vote en faveur de Trump est aussi un vote de classe. S’en tenir à une analyse « raciale » du scrutin est donc une erreur (le « racialisme » est une forme classique d’impolitique). Hillary Clinton a joué, en fait, le rôle d’un véritable repoussoir pour la classe ouvrière. Il n’en aurait pas été de même si c’était Bernie Sanders qui avait représenté le Parti démocrate. À mon avis, en pareil cas, c’est Sanders qui l’aurait emporté.
Dès le jour de sa victoire, le nouveau président paraît avoir « adouci » son discours. Le contraire aurait été étonnant, non ?
Vous ne vous attendiez quand même pas à ce qu’il jette des pierres à Obama lorsque celui-ci l’a reçu à la Maison-Blanche ! Mais encore une fois, ne confondons pas le personnage Trump et le phénomène Trump, qui sont des choses bien différentes.
Les commentateurs qui s’époumonent en ce moment à crier « Vive Trump ! » sont plutôt naïfs. À l’annonce du scrutin, l’ambassadeur de France à Washington, Gérard Araud, a déclaré qu’« un monde s’effondre sous nos yeux ». C’est aussi ce qu’a dit Marine Le Pen (mais elle, ce n’était pas pour s’en désoler !). Le problème est que l’on ignore tout du « nouveau monde » que laisse entrevoir la victoire du candidat populiste américain. Comme il n’a aucune expérience du pouvoir (il ne s’y connaît qu’en bâtiment et en télé-réalité), on ne peut se référer à son passé. On sait, aussi, que ce n’est pas un idéologue, mais un pragmatique. Déduire de ses tonitruantes déclarations de campagne l’annonce de ce qu’il fera effectivement à la Maison-Blanche serait pour le moins audacieux. Enfin, on ignore encore complètement qui seront ses conseillers et les principaux membres de son administration.
C’est la raison pour laquelle la plupart des chefs d’État et de gouvernement, sortis de la cellule de dégrisement où le choc les avait conduits, se tiennent pour l’instant sur la réserve. Avant de se prononcer, chacun veut en savoir plus long sur les options en faveur desquelles Trump se prononcera. Dans l’immédiat, on en est réduit à de simples spéculations sur les nouvelles lignes de force qui vont émerger. On peut avoir d’excellentes surprises, mais on peut aussi en avoir de mauvaises. Comme l’a rappelé Jérôme Sainte-Marie, « les États-Unis n’ont ni la même culture ni les mêmes intérêts que la France ». Ce qui revient à dire que ce qui est bon pour l’Amérique ne l’est pas nécessairement pour nous.
Sous les deux mandats de Barack Obama, les États-Unis ont commencé à se désintéresser de l’Europe. Donald Trump, lui, la menace de quitter l’OTAN si les Européens n’augmentent pas leur participation financière. En un sens, n’est-ce pas une bonne nouvelle pour l’Europe ?
En théorie, c’est en effet une bonne nouvelle qui pourrait favoriser la mise au œuvre, jusqu’ici constamment reportée aux calendes grecques, d’une défense européenne autonome. Mais dans la pratique, qui veut aujourd’hui d’une Europe indépendante ? Regardez la brochette des sept candidats à la « primaire-de-la-droite-et-du-centre ». Tous bons élèves de Bruxelles derrière leur pupitre de chef d’orchestre sans orchestre. Tous libéraux (sauf un), tous experts en épicerie, tous incollables sur les chiffres, tous silencieux sur les vrais enjeux : la survie de la France et de l’Europe. Tous prêts à sauter dans les cerceaux que leur tendent des médias plus soucieux, comme l’a dit Slobodan Despot, de conjurer la réalité que de chercher à la comprendre. Sept nains, avec Ruth Elkrief dans le rôle de Blanche-Neige ! Qui peut les imaginer converser d’égal à égal avec Poutine ou Donald Trump ?