Egalité et Réconciliation
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Quand les journaux de filles se rebiffaient contre le marché du désir

Clouscard et Soral, trop subversifs pour la presse

Nicolas Gauthier et David L’Épée de la revue Éléments sondent les motivations conceptuelles d’Isabelle Chazot, rédactrice en chef historique du mensuel 20 Ans.

 

 

Éléments : Vous dirigiez un journal en partie rédigé par des têtes masculines : Simon Liberati, Alain Soral, François de Negroni et même un certain Michel Houellebecq. Bref, les hommes étaient aux manettes, mais c’était vous qui étiez le chef ?

Isabelle Chazot  : Quand vous dites « étaient aux manettes » je suppose que vous pensez « faisaient tout le boulot » ? Beau lapsus ! À vrai dire, les garçons que vous évoquez n’étaient ni aux manettes, ni dans la soute. Celle qui l’était, au-delà du raisonnable, c’était moi malheureusement. Faire un journal est un travail artisanal harassant, vous le savez bien. Surtout 20 Ans, qui attachait autant d’importance au texte qu’à l’image. Même si les gens que vous citez m’ont beaucoup apporté, ne serait-ce qu’à travers l’amitié qui nous liait, ils n’ont jamais été impliqués – à part Simon Liberati – dans la conception des sommaires. De plus, c’est un peu injuste pour certaines collaboratrices dont le talent et la pugnacité idéologique étaient irréprochables, mais qui n’ont jamais souhaité faire carrière dans le culturo-mondain. C’est d’ailleurs un vrai mystère, ce déficit narcissique, timidité ou ennui, des femmes talentueuses. Réussir ne les intéresse pas. L’ambition sociale est souvent le fait des médiocres. On peut aussi inverser pour positiver : le projet de réussir dans ce monde-là, qui est devenu d’une laideur et d’une méchanceté ahurissantes, ne peut stimuler que les natures basses. Les filles sensibles ou révolutionnaires que j’ai croisées ont eu tendance à se tourner vers des métiers discrets ou vers les joies de l’intime. C’est ainsi qu’on trouve une revalorisation chez certaines féministes avant-gardistes de la domesticité et des savoirs concrets ou artistiques qui lui sont attachés, comme l’exprime bien Mona Chollet dans son livre Chez soi [1].

 

Éléments  : Il est un fait inédit qu’un tel magazine fasse aujourd’hui encore tant parler de lui, certains de ses articles ayant même été compilés en un ouvrage [2]. Risquons une explication : et si vous étiez le seul journal féminin qui, à l’époque, ne prenait pas les femmes pour des idiotes ?

 

 

Isabelle Chazot  : Je ne sais pas si les autres féminins prenaient leurs lectrices pour des idiotes. On y trouvait sans doute, comme dans le reste de la presse dite sérieuse, une forme de condescendance dissimulée sous la connivence. Mais à l’époque, on vendaient encore des journaux à des lecteurs, désormais on vend des lecteurs (des « audiences ») à des annonceurs ! Les groupes de presse appartiennent à quelques oligarques qui les transforment en dossiers de presse à leur gloire et celle de leurs marques. Le capitalisme concurrentiel, comme dirait Clouscard, a cédé la place à un capitalisme monopoliste d’État. Résultat, on a la Pravda néo-libérale, sous des logos différents !

 

Éléments  : Le philosophe Michel Clouscard a eu une part importante dans votre construction intellectuelle. Quand et comment l’avez-vous découvert ?

Isabelle Chazot  : J’ai croisé l’homme une première fois en 1988, je crois, par l’intermédiaire de son ami et disciple, François de Negroni, lors d’un dîner où je n’ai pas décroché un mot. Étudiante fauchée en linguistique latine, j’étais très demandeuse de petits jobs et ce proche de Jean-Edern Hallier me donnait à saisir ses manuscrits. C’est peut-être à travers la lecture d’un de ses livres, Le Savoir-vivre intellectuel, que je me suis familiarisée, sinon avec la pensée totalisante de Clouscard, du moins avec une vision distanciée de la vie intellectuelle française, ses travers, ses ridicules. Sartre, Camus, Foucault, et bien sûr les inénarrables BHL, Glucksmann, tous y passaient… Parallèlement, je poursuivais ma formation à la Sorbonne, où nos professeurs nous incitaient à « faire les poubelles de Saussure » et réhabiliter les concepts jetés aux orties par les structuralistes : la phrase, le sujet… Leurs cours excitants sur l’indo-européen, langue fantôme dont on s’ingéniait à reconstituer les racines, la fréquentation de Proust, René Girard et de mes nouveaux copains marxistes : tout cela me tenait éloignée de la pensée molle ambiante et colorait d’un doux « rouge brun » mes références ! J’y ajoute un mauvais esprit atavique, une insensibilité à la « culture jeune » et à la séduction des « figures du mal » (rock stars, Marquis de Sade, Carlos), enfin une hostilité féminine éruptive à l’égard du baba libertaire-libertin, comme du winner « au grand rire nietzschéen » de la deuxième gauche, façon Romain Goupil ou Bernard Tapie. J’avais une conscience de classe sans le savoir.
La vraie rencontre avec Clouscard a eu lieu bien plus tard quand j’ai lu ses livres, prêtés et annotés par mon collègue de travail à 20 Ans, Alain Soral. Ils m’ont éclairée. J’ai compris que les malaises que j’éprouvais dans ma vie personnelle ou professionnelle, et que je m’expliquais en termes psychologiques (gaucherie mondaine, fatigue dépressive, inaptitude aux rapports de séduction ou de force), avaient des motifs profonds et légitimes : une saine résistance au corpus dominant né de Mai 68 ! Cette rencontre intellectuelle s’est doublée d’une fréquentation, je n’ose dire amicale, mais affectueuse, lors de dîners rituels au Nioulaville, à Belleville, avec les anciens complices (Negroni, Pagani) et les nouveaux (Soral, Lassagne, Liberati, Giraud). J’ai connu là un être modeste, malicieux, à l’intelligence éblouissante et au charme physique flagrant. Michel Clouscard était une pépite !

 

 

Éléments  : Sharon Stone, à moitié nue sur la couverture de Paris Match, avec ce titre : «  Plus belle à cinquante ans qu’à vingt  ». Les femmes seraient-elle si godiches pour croire encore à ce type d’âneries ?

Isabelle Chazot  : Je crois que les femmes sont habituées aux flatteries et n’y accordent aucun crédit. Elles ont pour ce type de slogan la même indulgence amusée que pour les dragueurs : même si c’est faux, ça fait toujours plaisir. La presse féminine souscrit dans son ensemble à la propagande néocapitaliste que vous trouvez partout, du Point à Cosmopolitan, et qui s’exprime par un mélange de flagornerie grossière, à la limite de la perfidie (« Vous êtes la meilleure »), de coaching déprimant (« Bougez vous, croyez en vous ») et de menace implicite à la Jacques Attali : « N’attendez rien de personne, si vous avez perdu votre travail ou si votre mari est parti avec une jeune, c’est que vous le méritez. Cessez d’être une « résignée-réclamante », mettez-vous au Botox, et allez faire du tourisme sexuel comme tout le monde » (le côté attalien de Houellebecq). S’y ajoute une nouvelle arrogance de classe, propre aux « élites » parisiennes petites-bourgeoises : la lectrice à qui l’on délivre des conseils d’art de vivre est éloignée à la fois géographiquement et historiquement. C’est la cousine de province ringarde qu’une prescriptrice cool (généralement, une grosse dondon à mâchoire carrée qui vit dans le XIe) tente d’initier aux codes journalistiques branchés et cosmopolites. Amusant, quand vous découvrez à l’occasion d’une étude de marché, réalisée à Dijon ou Bordeaux, que vos lectrices, mères au foyer ou ouvreuses de cinéma, sont agrégée de philo ou spécialiste émérite de William Morris…

 

 

Éléments : Comment conciliez-vous votre sympathie pour des féministes radicales comme Valerie Solanas avec votre adhésion aux thèses de Clouscard, qui est sans doute un des penseurs néo-marxistes les moins féministes qui soient ?

Isabelle Chazot  : Valerie Solanas traitait les hommes d’avortons, de fausses couches, d’accidents biologiques, elle appelait à « en finir avec l’argent, renverser le gouvernement et supprimer le sexe masculin ». Pour être franche, c’est surtout le côté littéraire qui nous plaisait. L’écriture de la cruauté, de l’ordure, l’anathème, ça ne passe plus trop aujourd’hui, mais c’est un genre. Lovecraft, Céline, Bloy… Il y a une dimension d’humour noir, aussi. 20 Ans n’était pas féministe au sens gauchiste et mondain du terme. Il disait des atrocités sur « les hommes », en assumant un essentialisme odieux. Mais je vous rassure, on n’aurait jamais tiré à la carabine sur Andy Warhol, comme Solanas ! Même si, symboliquement, on ne s’est pas privés de dézinguer le « pape du pop’art », qui le mérite bien. Après, on ne sait plus trop ce que l’on entend par féministe. Quand Clouscard dénonce le salariat des femmes comme une aliénation et la conséquence d’une nécessité économico-politique qui leur échappe, je trouve cela très féministe au contraire. Toute femme vannée, après sa double journée de travail, souscrira. L’arnaque du féminisme libéral-gauchiste consiste à faire passer l’accès à la consommation frivole pour de l’émancipation. Clouscard analyse le féminisme comme une idéologie anti-féministe justement. En tout cas favorable aux hommes (la pilule, le multipartenariat, etc). C’est toute la différence entre le progrès et les usages du progrès.

 

Éléments  : Quelle sorte de féminisme défendiez-vous ?

Isabelle Chazot : Je dirais « un différentialisme radical humoristique », qui à force de mauvaise foi trash rejoint une forme d’universalisme, l’âge d’or où l’homme et la femme seraient enfin de bons camarades, comme dirait Rimbaud. Pour l’heure, on était plutôt sur la ligne Balzac. Il y a une hiérarchie dans la création : la bête, l’homme, la femme, puis l’ange. Ce que les biologistes aujourd’hui appuient, en disant qu’il y a plus d’ADN commun entre l’homme et le singe qu’entre l’homme et la femme. L’excès est drôle en soi, même si au fond, on peut être réellement convaincue que les femmes, moins soumises à leurs pulsions guerrières et sexuelles, ont un rôle civilisateur, d’éducatrices, de médiatrices vers l’ange. L’humour ne masque pas forcément une proposition haineuse. Ca peut être à la fois un défouloir et une tentative de conciliation, au contraire, une fiction qui appelle un futur radieux. C’est difficile à expliquer, mais vous pouvez dire des horreurs sans être cynique, être pessimiste sans défaitisme. C’est aussi une des vertus de la radicalité.

 

Éléments  : Un exemple ?

 

 

Isabelle Chazot  : Quand on écrivait « Marre des mecs ? Prenez un chien ! », ce n’est pas très empathique. Si l’on inverse « Marre des filles, prenez une chienne », ça passe d’ailleurs très mal. Mais face au féminisme mièvre et conciliant ambiant, c’est rafraichissant. Dans cet article, on vous racontait combien les chiens sont plus beaux, courageux, subtils que leurs maîtres. Mais on pouvait aussi y lire une complainte sur le crépuscule des valeurs viriles et chevaleresques. Le dépit de la fille qui n’a plus que son mauvais esprit pour narguer l’écroulement général, mais ne renonce pas à défendre le beau et le vrai en soi (tout en s’intéressant de façon sincère et scientifique aux races canines, car la connaissance est un exutoire aussi efficace que l’humour). J’ajoute que les principaux maltraités – disons les hommes hétérosexuels en âge de séduire ou d’être séduits – étaient ravis de lire ces horreurs, et parfois les écrivaient eux-mêmes. Est-ce un signe de décadence et de masochisme ? Ou de libertinage cérébral, de séduction « à la française » ? D’un coté des filles très sexuées et moqueuses, de l’autre des mâles, tout aussi sophistiqués, qui soumettent leur virilité à l’épreuve de la dérision. Ceux qui ne sont pas assez virils (ou trop jeunes mentalement) se fâchent ou s’enfuient. C’est le contraire de la neutralité saxonne, de l’égalité bon chic bon genre, du « respect » et toutes ces fadaises. Un des derniers trucs marrants qu’il nous reste en France.

 

 

Éléments  : Dans la pensée de Clouscard, la guerre des sexes est ramenée à une querelle de consommateurs et donc à une stratégie du capital. Quant aux femmes, elles sont souvent pointées du doigt par le philosophe comme étant, de même que les jeunes, à la fois les cibles et les prescriptrices privilégiées de l’idéologie du désir. N’est-ce pas là des thèses un peu difficiles à faire passer dans un magazine s’adressant à un lectorat de jeunes femmes ?

Isabelle Chazot : Non, c’était même une thèse privilégiée. La jeune femme comme maillon faible de la société du désir, consommatrice de libidinal-transgressif comme dirait Michel Clouscard (« La moustachue rebelle », pour parler comme 20 Ans), est aussi celle dont la « conscientisation » peut être la plus porteuse. Pour dire les choses plus simplement, une fille de vingt ans, justement à cause de sa position privilégiée dans la compétition érotique, sa jeunesse, sa beauté, est celle d’où l’énonciation peut être la plus dévastatrice. Si une fille de vingt ans fustige les figures de la séduction post-soixante-huitarde que sont la rock-star, le psy véreux, le séducteur à barbe de trois jours, elle fera mouche, sans doute mieux qu’un prescripteur d’opinion.

 

Éléments  : On pense à la jeune Eugénie Bastié qui lance lors d’une émission télévisée à un Jacques Attali éberlué : « L’immigration, c’est pas Erasmus ». Aujourd’hui, quel est le visage de cette « moustachue rebelle » ? Marion Maréchal Le Pen ou Clémentine Autain ?

Isabelle Chazot : Tout à fait ! La vérité sort de la bouche des enfants ! Aujourd’hui, Clémentine Autain, malgré son minois à la Jean Seberg (notre inspiratrice était plutôt Romane Borhinger) entre mieux dans la catégorie que Marion, modèle plus subtil et posé, me semble t-il, même s’il y a de la « moustachue rebelle » en chaque jeune femme moderne. La palme irait sans doute à Cécile Duflot. Cette figure, c’est l’éternelle adolescente en colère, les hormones en ébullition, avec le père dépressif qui pleurniche à côté, comme on les a vus dans les manifs de l’après-Charlie. Cela dit, la moquerie n’exclut pas l’affection… voire l’envie ! Age merveilleux où l’on échappe à la quadruple peine qui sanctionne la femme occidentale, comme travailleuse et mère, consommatrice compulsive et séductrice (avec ou sans client). Où l’on peut jouer et transgresser, et comme cible et comme prescriptrice. « J’aime l’horreur d’être vierge », disait Mallarmé.

 

 

Éléments  : En mai 1999, 20 Ans consacre un dossier au marxisme expliqué aux jeunes, réalisé sous la direction d’un certain Alain Soral, ce qui ne l’empêche pas de se clore sur une rubrique de « shopping communiste ». Le goût des paradoxes comptait pour beaucoup dans votre ligne éditoriale ?

Isabelle Chazot  : Il me semble qu’Alain Soral a montré par la suite, avec succès vu le nombre de visiteurs réguliers de son site Égalité & Réconciliation, que le shopping (sa PME édite des livres, vend du miel, de la spiruline…) peut être compatible avec la diffusion d’idées subversives et l’activisme politique. Le communisme n’exclut pas le petit commerce ni la jouissance. Clouscard n’a jamais été anticonsumériste, les notions de décroissance ou de sobriété écologique peuvent être une façon de valider les inégalités… Mais je ne veux pas me défiler devant ce procès en paradoxe ! Il faut d’abord dire qu’en matière de « fétichisme de la marchandise », la situation s’est dégradée en quinze ans. Humains et marchandises sont désormais totalement confondus. Tout le monde est fétichisé, obsolescent et voué à la même déchetterie. Tout ce qui empêchait ça – l’amour conjugal, la famille traditionnelle, le travail structurant, la spiritualité – éclate. Avec les délocalisations et l’éradication de la confection européenne (en faveur du made in China), les produits de mode à petits prix ont envahi les magazines féminins et fait reculer l’exploration de la « psyché », qui y occupait une place de choix. Cette psychologie des profondeurs, appuyée sur l’expérience, les revers de la vie, a migré, j’ai l’impression, dans « la littérature du je ». Les Angot, De Vigan ne font pas autre chose que ce testimonial qui plaisait tant aux lectrices. Les jeunes femmes-marchandises et fières de l’être d’aujourd’hui, américanisées jusqu’au bout des ongles, rivées à leur facebook, vivent littéralement dans des poubelles de chiffons (baptisés « dressings », comme ceux des actrices hollywoodiennes, mais la réalité est moins glamour), de produits de maquillage peut-être cancérigènes, et d’innombrables cochonneries, dont la prolifération n’est freinée que par l’exiguïté des logements. Je crois que la psychiatrie appelle cela le complexe de Diogène. La vie moderne pousse à des comportements qu’on aurait rangés hier dans la pathologie (perversions sexuelles, addictions, désordres alimentaires) mais qui sont devenus la norme. La dépression pour tous ! Quand tu n’as plus de prise sur rien dans ta vie, tu luttes contre ta graisse, tu limes tes ongles pendant des heures, tu deviens « fashion victim ».

 

Éléments  : C’est ce genre de propos qui fait qu’on vous a reproché votre conservatisme…

Isabelle Chazot : Je sais. Il ne faut pas non plus tomber dans un excès de puritanisme, même si j’avoue qu’on l’a frôlé à 20 Ans. Le goût de la parure n’a rien en soi de répréhensible. Mais nous faisions un journal de mauvaise foi, qui pouvait tenir un discours ambigu, justement grâce à sa cible adolescente : l’âge potache où l’on s’autorise des excès, où on les recherche même, par jeu et goût du scandale, où l’on se soucie davantage d’être étonnante que séduisante (sans doute parce qu’on l’est naturellement). 20 Ans, c’était « Comment se maquiller pour aller à un enterrement ? » et la solution (ressembler à un pot de peinture gothique) est moins une prescription qu’une provocation. C’était un journal un peu dadaïste, qui puisait son iconographie dans le cinéma de Russ Meyer ou John Waters, mais qui, dans ses avant-textes citait Céline (« Les gens qui s’amusent sont vulgaires, ceux qui souffrent sont distingués ») ou l’apocalypse de Saint Jean. Les pages « shopping » étaient bien encadrées, si j’ose dire.

 

 

Éléments  : Est-il vrai, comme le raconte votre ami l’écrivain François de Negroni [3], que vous avez tenté de provoquer un rapprochement entre Michel Clouscard et Michel Houellebecq mais que cette tentative a échoué ?

Isabelle Chazot  : Oui. Houellebecq et moi étions proches. Mais après une brève idylle idéologique, nos discussions ont pris un tour plus conflictuel. À l’époque, il était très gentil, mais déjà très entêté, et moi je faisais un journal engagé et cruel, diffusant par touches les idées de Michel Clouscard. Je crois que Houellebecq vivait une mutation libérale, on la voit à l’œuvre dans Les Particules élémentaires et surtout dans Plateforme. Il s’en est expliqué plus tard et je me garderais bien de parler à sa place. Je voulais mettre les deux Michel en contact, et ramener le merveilleux crypto-marxiste d’Extension du domaine de la lutte dans le droit chemin, lui faire découvrir les concepts clouscardiens qui n’auraient pas manqué d’illuminer ses œuvres futures ! Je lui ai fait parvenir Le Capitalisme de la séduction, Traité de l’amour fou et Métamorphose de la lutte des classes. Il ne les a pas lus. Mais les thèmes sont objectivement voisins (les classes moyennes occidentales paupérisées par la crise et victimes de l’idéologie du désir) et circulaient dans nos conversations, au point que les disciples de Clouscard ont pu m’en tenir rigueur : « Tu as mis les idées de l’un dans la poche de l’autre ! ». Je ne le crois pas. Houellebecq n’est pas un idéologue, mais un artiste, c’est le chantre de la société de son temps et non un messie révolutionnaire ! Logiquement, à l’un, elle a réservé ses faveurs, à l’autre les couronnes d’épines…

 

Pour vous abonner à la revue Éléments : revue-elements.com

 

Pour en savoir plus sur Michel Clouscard, l’émission Apostrophes datant de 1982, où le philosophe est venu pour son livre Le Capitalisme de la séduction :

 

Notes

[1] Mona Chollet, Chez soi : une odyssée de l’espace domestique, Zones.

[2] Marie Barbier, 20 Ans magazine Anthologie, Rue Fromentin.

[3] François de Negroni, Avec Clouscard, Delga-Materia Scritta.

La mort de la presse des deux sexes, voir sur E&R :

Lire de Negroni, Clouscard et Soral, les auteurs cités dans l’article, avec Kontre Kulture :

 






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