Quatre pays d’Europe de l’Est – Pologne, Hongrie, Tchéquie et Slovaquie – haussent le ton dans le dialogue avec les autorités de l’UE. Dans une interview, l’ex-Premier ministre de la Slovaquie Ján Čarnogurský explique que son pays est « forcé d’accueillir des réfugiés » et est « privé de la possibilité de régler lui-même ce problème ».
D’après lui, le flux de migrants en Europe occidentale est provoqué par la pression exercée par Paris et Berlin sur la Syrie par le biais des sanctions. « Ils ne peuvent pas survivre dans leur pays pour des raisons économiques, alors ils partent en UE où on nous force à les accueillir », déplore Ján Čarnogurský.
Forcés d’accueillir des réfugiés
Le conflit entre les États d’Europe de l’Est et Bruxelles s’est aggravé le 13 juin quand la Commission européenne a initié la procédure d’adoption de sanctions contre les pays refusant d’accueillir des réfugiés du Moyen-Orient. Trois États étaient visés par les fonctionnaires européens : la Pologne, la Hongrie et la Tchéquie, accusées de violer l’accord européen de 2015. À eux trois, ces pays devaient accueillir 11 000 migrants mais au final la Tchéquie n’a hébergé que 12 personnes, alors que Varsovie et Budapest n’ont accepté aucun réfugié.
Le commissaire européen aux affaires intérieures Dimitris Avramopoulos rappelle que l’Europe de l’Est devait recevoir uniquement des migrants ayant fait l’objet de « vérifications minutieuses », dont « l’identité avait été établie et les empreintes digitales prélevées », et qui, par conséquent, ne représentaient aucun danger pour les pays d’accueil. « Seulement trois pays ne remplissent pas leurs engagements en matière d’accueil de migrants », s’indigne Avramopoulos.
L’Europe de l’Est ne voit pas le problème du même œil. La Pologne, la Hongrie et la Tchéquie mettent en avant que l’hébergement de migrants n’a pas reçu l’approbation de l’opinion publique dans leur pays. Cela signifie que se soumettre à Bruxelles dans cette situation reviendrait à renoncer à sa souveraineté.
Ces deux approches antagonistes conduisent à une collision juridique. « Les décisions prises se transforment en lois obligatoires à appliquer, même par ceux qui ont voté contre », rappelait en juin le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker. Le Premier ministre hongrois Viktor Orbàn, lui, se réfère aux sondages et aux résultats du référendum de 2016 sur l’accueil de migrants (92 % ont voté contre avec un taux de participation de 44 %), en insistant sur le fait que la Hongrie ne pouvait pas être liée par une décision collective de l’UE.
Pourquoi la France a renversé Kadhafi
« Le fait est que les pays de l’UE mènent une politique lamentable au Moyen-Orient. Prenez la Libye. Actuellement, le principal flux de migrants à destination de l’UE passe par ce pays. Mais c’est la France qui, sans mandat de l’ONU, a renversé en 2011 le gouvernement libyen stable, provoquant une vague migratoire. Dans ce cas, qu’elle en assume la responsabilité, pas nous ! », argumente Ján Čarnogurský.
Ce dernier explique également que les divergences « vont plus loin qu’on ne le pense », et que les pays d’Europe de l’Est auraient préféré « un autre moyen de répartir les migrants ». « Il y a deux ans, notre Premier ministre actuel Robert Fico a déclaré que la Slovaquie était prête à accueillir seulement des chrétiens du Moyen-Orient, car la société slovaque est chrétienne. Les chrétiens auraient donc pu s’adapter le mieux. On n’en parle plus officiellement. Mais je n’écarte pas l’éventualité d’un retour à cette position. Il est à noter qu’aucun des chrétiens du Moyen-Orient arrivés en Europe n’est encore devenu terroriste. »
Les politiciens polonais sont encore plus intransigeants sur le thème religieux – en Pologne la majeure partie de la population est croyante. Le ministre de l’Intérieur Mariusz Blaszczak a déclaré que dans les pays de l’UE, les petites communautés de musulmans s’étaient agrandies grâce à la migration. « Souvenons-nous que les nombreuses communautés islamiques actuelles en UE ont commencé par un nombre très réduit de premiers arrivants », a commenté Varsovie.
Le litige entre les deux Europe se réglera au tribunal
Dans l’espoir d’éviter les sanctions (selon les experts, il est question d’un long processus qui prendra des années) les Européens de l’Est vont tenter de contester devant la Cour de justice de l’UE à Luxembourg le caractère obligatoire de l’accueil des migrants. La première décision préliminaire sera rendue fin juillet quand le procureur général annoncera sa position. En attendant des nouvelles de la cour, la Tchéquie se prépare aux élections – ce qui pousse les politiciens locaux à être plus fermes envers les migrants qu’auparavant.
« C’est effectivement le cas, a confirmé à Sputnik-Tchéquie le politologue tchèque Jan Miklas. Le Parti social-démocrate tchèque, qui est actuellement le parti principal mais est en perte de vitesse, sait que s’il prônait l’accueil de réfugiés sa popularité déjà en baisse chuterait encore plus. D’un autre côté, le parti ANO qui prend de l’importance et son leader Andrej Babis ne saperont en aucun cas leur éventuel succès aux prochaines législatives en acceptant d’accueillir des réfugiés. Les politiciens au pouvoir – or ils connaissent la popularité des sentiments anti-migration – se présentent donc devant leurs électeurs comme des héros qui défendent les "intérêts nationaux" face à l’UE. En réalité ils défendent avant tout leurs propres intérêts, et la crise des réfugiés est un bon prétexte qui aide à conserver sa position tout en détournant l’attention des problèmes réels dans le pays et en dehors. »