L’amiral Edouard Guillaud, le chef d’état-major des armées (CEMA), a évoqué la possibilité d’une guerre impliquant la Chine au cours de son audition par la Commission Défense de l’Assemblée nationale, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2012.
« Je ne crois pas à un conflit direct avec la Chine » a-t-il affirmé. « Mais, nous suivons attentivement les revendications de ce pays sur la mer de Chine méridionale, qui pourraient enclaver le Vietnam, Brunei, une partie de la Malaisie, les Philippines, la Thaïlande… La Chine recherche des ressources naturelles et développe ses ambitions. Sa démographie et les besoins de son industrie l’y conduisent naturellement. D’où la priorité donnée par l’Armée populaire de libération au développement de la marine, l’autre priorité étant l’espace » a-t-il poursuivi.
Et de conclure : « Nous sommes certes à 10.000 km de Pékin. Mais les remous des tensions en mer de Chine méridionale se propageraient jusqu’à l’océan Indien. La France y possède la Réunion et ses voies d’approvisionnement l’empruntent. Nous serions donc forcément concernés. Face aux puissances américaine, chinoise et indienne, l’Europe apparaît morcelée, se livrant à ce qui, vu de Pékin, doit ressembler à des guerres picrocholines. Nous devons prendre garde à cette évolution. J’aimerais que la prise de conscience ait lieu suffisamment tôt. »
Aussi, quels pourraient être les cas où la Chine serait amenée à réagir militairement ? Le centre de réflexion Rand Corporation vient justement de livrer une étude à ce sujet. Tout d’abord, au cours des trente prochaines années, le potentiel de l’armée populaire de libération (APL) a de sérieuses chances d’égaler, si ce n’est de dépasser, celui des forces américaines, surtout si son PIB et ses dépenses en matière de défense continuent d’augmenter au rythme qui est le leur actuellement.
Ensuite, l’APL se focalise surtout sur son environnement immédiat, même si elle a été amenée à conduire un mission militaire loin de ses bases pour protéger les navires de commerce chinois contre les pirates somaliens ou à participer à des opérations de maitien de la paix sous l’égide des Nations unies, comme c’est par exemple avec la FINUL.
Aussi, il est peu probable qu’une action offensive chinoise ait lieu au-delà de l’environnement immédiat de Pékin. Sauf dans le cyberespace… ce qui serait, selon la Rand Corporation, soit un aspect, soit le prélude d’un conflit entre la Chine et les Etats-Unis. Cela pourrait se traduire par des ripostes sur des réseaux informatiques, ce qui aurait des conséquences économiques, voire à des intimidations (en neutralisant les moyens d’observations par satellites par exemple), ce qui serait susceptible de mener à une escalade militaire entre les deux pays.
Outre ce cas particulier, d’autres scénarios impliquant une intervention militaire chinoise sont possibles. A commencer par un effondrement de la Corée du Nord, dont au moins deux causes pourraient être à l’origine : la faiblesse économique persistante (on ne mange pas à sa faim dans ce pays, y compris chez les militaires, pourtant choyés par le pouvoir nord-coréen) et une guerre de succession chez les caciques du régime à la mort de Kim Jung-il.
Si cela devait arriver, il s’ensuivrait une émigration massive de millions de personnes vers la Chine et la Corée du Sud. Ce que Pékin ne pourra pas tolérer et qui l’aménera à y déployer ses troupes. Côté américain, l’enjeu sera de prendre le contrôle des armes de destruction massive nord-coréenne (nucléaire, ogives chimiques) et de leurs vecteurs, ce qui les conduira également à intervenir. D’où une probabilité élevée d’une confrontation accidentelle avec les troupes chinoises.
Autre sujet de discorde : Taïwan, considéré comme une province rebelle par Pékin. Le risque d’une confrontation est, pour le moment, peu probable. Et cela tient aux relations économiques entre les deux pays. Mais aussi aux moyens dissuasifs déployés par les Etats-Unis pour défendre l’ancienne Formose. Seulement, ces derniers tendent à devenir moins efficaces, à mesure que la Chine développe son potentiel militaire, notamment avec le missile balistique anti-navires (anti-porte-avions) DF-21D ou encore la mise au point de son avion furtif J-20.
Et comme l’a justement souligné l’amiral Guillaud, les risques de conflit demeurent élevés en mer de Chine méridionale, où Pékin revendique la possession des îles Spratleys et Paracels, riches en hydrocarbures. Seulement, d’autres pays de la région (Vietnam, Malaisie, Philippines) ne l’entendent pas de cette oreille. Là, le risque d’un conflit est potentiellement élevé, surtout avec l’entrée en service annoncé du premier porte-avions chinois (le Shi-Lang) et le développement des capacités de ravitaillement en vol de l’APL. Là encore, avec le jeu des alliances et des accords de défense, les Etats-Unis seraient concerné par une éventuelle guerre.
Les contentieux territoriaux sont également la cause des mauvaises relations entre la Chine et le Japon. A cela s’ajoute le ressentiment de la première à l’égard de l’archipel nippon depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Cela a motivé une adaptation des forces d’auto-défense japonaises, lesquelles craignent aussi une provocation nord-coréenne. Mais là encore, Tokyo peut compter sur le parapluie américain. Et tant que ce sera le cas, le risque d’un conflit avec Pékin semble peu probable.
Enfin, la dernière hypothèse est sans nul doute la plus cauchemardesque puisqu’elle suppose une guerre entre la Chine et l’Inde, les deux puissances rivales du continent asiatique, qui possèdent toutes les deux l’arme nucléaire. Les motifs d’un conflit entre New Delhi et Pékin, par ailleurs allié d’Islamabad, dont on connaît les sentiments si peu fraternels à l’égard des autorités indiennes, ne manquent pas.
Les deux pays se disputent en effet des territoires frontaliers et, surtout, le projet chinois de détourner les eaux du Bramapouthre pour alimenter Pékin inquiète New Delhi. D’où l’élaboration par l’état-major indien d’une doctrine dite de « double front », qui doit permettre de mener des offensives multiples à la fois contre le Pakistan et dans le nord himalayen, c’est à dire à la frontière chinoise.
Si l’impact pour l’Europe et la France serait assez limité dans le cas des autres scénarios, il en irait autrement dans l’hypothèse d’un conflit militaire entre l’Inde et la Chine, ne serait-ce que pour les conséquences économiques qu’il induirait, au-delà des pertes humaines que l’on peut imaginer très importantes chez les deux belligérants.