Egalité et Réconciliation
https://www.egaliteetreconciliation.fr/
 

Sarkozy cité dans l’affaire Karachi : A l’étranger, « des reporters feraient le siège de la présidence pour avoir une réaction »

Le journaliste Fabrice Lhomme explique pourquoi l’affaire Karachi rencontre si peu d’échos dans la classe politique et dans les médias...

Une poignée d’hommes politiques qui réagissent, pas une seule « une » de quotidien national ce jeudi matin. La discrétion de la classe politique et des médias est à la hauteur des révélations faites mercredi par Mediapart sur le dossier Karachi. Le rapport de la police luxembourgeoise mis au jour implique nommément Nicolas Sarkozy dans la constitution d’une société offshore ayant servi à recevoir des commissions et étaye les soupçons de rétrocommissions. Et pourtant, « il n’y a pas eu une seule minute consacrée à ce dossier aux JT de TF1 et France 2, difficile d’imaginer ça dans une grande démocratie », s’indigne Fabrice Lhomme, coauteur de l’enquête et d’un livre sur le sujet*. « Vu le type d’affaires et les révélations, les retombées devraient être importantes et là, elles sont limitées. On est face à la frilosité médiatique et à une prudence politique ». Il nous en explique les raisons.

Pourquoi les médias restent-ils discrets sur cette affaire ?

C’est un peu ce qui fait la France et c’est dommage. Il en faut beaucoup, beaucoup, beaucoup pour qu’on considère que ça fait scandale. Les médias sont un peu blasés par rapport à ces affaires. C’est à la fois un problème culturel et structurel. Car à cela, s’ajoute la fragilité économique des médias. Et la structure même des grands groupes de médias montre une dépendance très forte au pouvoir, avec des patrons proches de l’Elysée, et/ou liés à des commandes publiques, comme Dassault, Lagardère, Bolloré ou Bouygues. Ceux-là ont-ils intérêt à dévoiler de telles pratiques ? Non.

Ce serait différent à l’étranger ?

Des journalistes étrangers nous ont dit que la même affaire en Grande-Bretagne, aux Etats-Unis ou au Japon, feraient les gros titres, des reporters feraient le siège de la présidence pour avoir une réaction, des contre-enquêtes seraient menées. Eux ont pris la mesure de ce qu’était cette affaire très importante, qui met en cause la présidence actuelle, l’Etat au sens large. Alors qu’en France, on traite un jour ce dossier, le lendemain l’hospitalisation de Johnny et le surlendemain, la pénurie d’infirmière dans les hôpitaux. Tout sur le même plan. C’est inquiétant de ne pas prendre la mesure de ce qu’est une affaire d’Etat. La vitalité démocratique de la France se juge à l’aune de ces sujets. C’est pour ça que c’est grave de ne pas en parler.

Est-ce par crainte de Nicolas Sarkozy ?

Une certaine presse traditionnelle a peur d’accrocher le pouvoir, peur des conséquences et des éventuelles mesures de rétorsions. Cela renvoie au mélange incestueux entre le milieu politique, médiatique et industriel. A la décharge des journalistes français, il y a un recul de la culture de l’enquête et de l’investigation en France. Evidemment, ce type d’enquête demande de l’investissement et donc du temps.

Pourquoi les politiques font profil bas, surtout ceux de l’opposition ?

Les politiques sont toujours à la remorque des médias, d’où leur discrétion. On peut noter la timidité extrême de l’opposition sur un tel sujet. Mais la gauche traditionnelle est traumatisée par les affaires, avec Mitterrand, avec Bérégovoy, et répugne à les exploiter, comme en 2002, lorsque Lionel Jospin avait refusé d’évoquer les affaires de Jacques Chirac. Elle trouve ça sale, alors que ça fait partie de la vie publique. En plus, certains membres de l’opposition au pouvoir à l’époque ont peut-être connu les dessous les moins reluisants des ventes d’armes. La classe politique dans son ensemble n’a pas intérêt à un grand déballage.

N’est-ce pas parce que l’affaire est trop compliquée ?

Pas du tout. C’est au mieux un bon prétexte pour ne pas en parler, mais surtout une excuse. L’affaire Clearstream n’était pas moins compliquée, pourtant elle a eu beaucoup d’écho. Pourquoi ? Parce qu’un homme, Nicolas Sarkozy, l’a décidé. Ce n’est pas compliqué d’expliquer que dans le cadre d’une vente d’armes, un homme politique d’importance, aujourd’hui président de la République, s’est mobilisé pour créer une société écran pour des faits de corruption et peut-être de rétrocommissions.