La loi du 8 décembre 2011 relative au « Certificat d’obtention végétale » (COV), proposée par un sénateur UMP, soutenue par le gouvernement de Nicolas Sarkozy et votée par la majorité UMP, a gravé dans le marbre l’interdiction de semer le grain récolté et l’obligation, dans cette hypothèse, de payer des royalties aux semenciers-sélectionneurs dès l’usage en deuxième génération des semences vendues sur le marché.
Bien que François Hollande, alors candidat à la présidentielle, se soit engagé [1] à retirer ce texte, ses décrets d’application sont en cours de préparation.
Pour comprendre les enjeux de cette loi, il faut en connaître le contexte technique : là où les méthodes de sélection agronomique n’ont pas réussi à rendre le grain stérile ou dégénérescent en deuxième génération (hybrides F1), les semenciers cherchent, par des méthodes juridiques cette fois, à recréer le marché captif extrêmement lucratif que les hybrides F1 leur ont permis de s’aménager.
C’est ainsi qu’ils sont parvenus à interdire la reproduction de leurs semences par le biais des droits de propriété intellectuelle applicables aux variétés végétales (le COV), et à faire qualifier la semence récoltée de contrefaçon, sur le plan international d’abord (Convention UPOV dans sa version de 1991), puis au niveau européen (Règlement 2100/94) et plus récemment sur la scène nationale.
Cela signifie donc qu’au-delà d’un seul usage, la semence vendue ne peut plus être utilisée, même à des fins personnelles, sur l’exploitation.
C’est un peu comme s’il n’était pas possible d’écouter un CD plusieurs fois ou qu’un logiciel informatique devait s’autodétruire passé un certain délai, pour obliger les consommateurs à racheter ces produits régulièrement. Ici les semenciers ont tiré parti du caractère auto-reproductible des semences pour prétendre que, au delà de la première génération et alors même qu’il s’agit du même matériel génétique, le droit d’usage du produit était expiré.
C’est ainsi que la règlementation a mis en place, rappelons-le, une grotesque « Contribution VOLONTAIRE OBLIGATOIRE », faite, comme la dîme naguère, d’une fraction de la récolte obtenue, pour qui dans les campagnes oserait semer le grain récolté. Cela afin de « financer les activités de recherche » des semenciers-sélectionneurs…
Mais par qui les agriculteurs se sont-ils laissés hypnotiser pour accepter une sémantique aussi arrogante ?
Et comment les semenciers, menés par le Groupement National Interprofessionnel des Semences (GNIS), ont-ils réussi à imposer dans les esprits de nos députés l’idée que la survie de la sélection variétale impliquait d’interdire aux agriculteurs de semer une partie de leur récolte ?
L’exposé des motifs de la proposition de loi, de même que les rapports réalisés par les parlementaires POINTEREAU et LAZARO fournissent une réponse.
Ainsi parlait donc Thierry LAZARO le 9 novembre 2011 devant la Commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale :
« Le COV est un outil indispensable pour notre recherche. (…) Je l’ai dit dans mon propos liminaire, sur les 74 entreprises françaises concernées, 70 % sont des PME familiales. Si l’on compte quelques coopératives importantes, elles n’ont rien à voir avec des groupes comme Monsanto. (…) Notre secteur semencier n’a pas la puissance des multinationales. La vraie question consiste donc à savoir si nous disposons ou non des moyens de financer la recherche. »
La proposition de loi commence également ainsi :
« Le secteur semences français occupe une place prépondérante en Europe (1er pays producteur) et dans le monde (2ème exportateur mondial), notamment grâce à ses 73 entreprises de sélection de semences, dont une majorité de coopératives et de PME familiales. »
=> Il s’agit ici ni plus ni moins du baratin du GNIS sur le secteur semencier français.
En effet, le groupement aime à entretenir les images d’Épinal d’une France agricole encore dominée par une majorité de petites entreprises familiales ou artisanales, et où les plus gros acteurs sont régulièrement présentés comme des « coopératives », attachées à un terroir régional et au monde paysan.
Cette présentation des choses a l’avantage de masquer la toute-puissance des entreprises de sélection, les phénomènes de concentration, la présence étrangère et force ainsi l’apitoiement de nos décideurs publics.
Mais la réalité est toute autre.
En effet, le GNIS confond systématiquement, pour les besoins de la démonstration, entreprises de sélection et entreprises de production de semences, de même que leurs chiffres d’affaires respectifs.
Or, en France, la sélection et la production de semences sont deux activités distinctes, aux enjeux très inégaux. Les activités de sélection représentent 71 entreprises, qui se dédient à l’obtention de « variétés » nouvelles et à l’enregistrement au Catalogue de ces obtentions. L’activité de production, quant à elle, représente 225 entreprises, qui ne font que multiplier les semences par des contrats signés avec environ 18 000 agriculteurs multiplicateurs, puis les conditionnent pour la vente. Ce dernier secteur n’est pas particulièrement intéressé à l’application stricte des droits de propriété intellectuelle.
Les semences de grandes cultures et fourragères
Or, un « Palmarès des firmes de semences grandes cultures et fourragères » (les plus concernées par la pratique des semences fermières), publié récemment par la presse agricole, fait apparaître, après quelques regroupements d’entreprises appartenant aux mêmes groupes : un marché partagé entre seulement 35 entreprises, dont les dix plus grosses réalisent près de 74% du chiffre d’affaire global de tout le secteur.
De plus, le reste des entreprises présentes sur ce marché, si, compte tenu de leur chiffre d’affaires individuel, peuvent être apparemment rattachées aux groupes des PME ou des TPE, un examen plus détaillé montre qu’elles sont pratiquement toutes des filiales de gigantesques groupes de l’agroalimentaire, ayant des implantations multinationales (Groupes Euralis, Florimond Desprez, Maïsadour, Saaten Union, Terrena, Barenbrug, Acolyance, Scael, Unéal, De Sangosse, etc.).
C’est ainsi que, dans le palmarès précité, 12 entreprises seulement apparaissent comme des entreprises indépendantes.
Enfin, au Top 10 des plus grosses entreprises, 4 sont des multinationales étrangères (Pioneer, Monsanto, Syngenta, KWS).
Les semences potagères
Quant au secteur des semences potagères, et au phénomène de concentration qui n’a pas manqué de s’y produire, les chiffres ne sont pas disponibles. Le GNIS ne publie que des chiffres généraux, qui, ici encore, cumulent les activités de sélection et de production.
Cependant, un examen détaillé du Catalogue officiel français, pour quelques espèces, permet de se faire une idée : sur 15 espèces [2] potagères examinées, le géant Limagrain détient 61,16 % des variétés F1 et 5 multinationales, en général, contrôlent 90 % des variétés F1.
Ces multinationales sont essentiellement les suivantes : Limagrain, Monsanto, Syngenta, Bayer, Sakata. Une seule est française, les 4 autres sont étrangères.
Pour quelques espèces, parmi les 5 premiers groupes peuvent également se trouver les entreprises : Gautier, Rijk Zwaan, Hollar Seeds. Une seule est française, les 2 autres sont étrangères.
=> On est donc loin des 70 % de PME françaises avancés par le GNIS et repris par nos parlementaires injustement apitoyés. Et le régime du COV récemment renforcé bénéficie aux géants multinationaux de ce qu’il est légitime d’appeler « l’industrie semencière ».
Quant à la nécessité pressante de permettre aux entreprises de sélection de financer leurs activités de « recherche » en ponctionnant les agriculteurs, notons que celles-ci sont loin d’être à plaindre sur le plan économique, à la différence de ceux-là.
Le GNIS a publié une enquête rétrospective sur la période 2005-2011 aux termes de laquelle il apparaît qu’en 5 ans l’ensemble du secteur semences a fait une progression de 23 %. Or les plus fortes progressions sont observées dans les secteurs oléagineux (+58 % – chiffre d’affaires qui passe de 162 M€ à 256 M€), céréales à paille (+26 % – CA qui passe de 270 à 341 M€) et pommes de terre (+25 % – CA qui passe de 129 à 161 M€), secteurs les plus directement concernés par le « problème » des semences de ferme !
De plus, le prix des semences certifiées est exorbitant par rapport à celui de la semence fermière et il n’a pas cessé d’augmenter.
Ainsi, les statistiques publiées par l’INSEE font apparaître une hausse de 414 % du prix des semences et plants entre janvier 1975 et janvier 2013 .
Comparé au coût des semences de ferme de maïs, par exemple, les semences commercialisées par les semenciers sont pratiquement cent fois plus chères, selon un ancien Directeur de Recherche à l’INRA et un professeur à l’université Harvard.
=> Ce qu’il faut ici comprendre c’est que, comme dans la vente d’un CD, d’un logiciel informatique ou de tout produit manufacturé, le paysan n’a aucun lieu de « rémunérer le sélectionneur pour ses activités de recherche », puisque celui-ci a déjà perçu cette rémunération lorsqu’il lui a vendu ses semences pour la première fois.
Ce qu’il fait sur son exploitation de ce travail de sélection qu’il a acquis, présent ou non sur la descendance de la première graine, ne devrait regarder que lui.
Mais il faut se rendre à l’évidence : ce n’est en fait pas la rémunération d’un travail effectif de recherche que poursuivent les sélectionneurs, mais la recherche d’une rémunération sans travail, c’est-à-dire une situation de rente.
Le législateur ne devrait pas se rendre complice de ces aspirations à la féodalité.
Les semenciers, comme tous les autres acteurs de l’économie, n’ont aucun droit à rendre leurs consommateurs captifs, et leur prospérité ne devrait dépendre que de la mise sur le marché de produits innovants et séduisants pour leur clientèle.
Que les semenciers souhaitent obtenir des semences de céréales ou d’oléagineux le même profit qu’avec les semences de maïs, pour lequel les hybrides F1 leur assure un marché captif, est une chose. Que cette prétention soit légitime en est une autre. Et qu’elle ait été reconnue par certains traités internationaux ne la rend pas immuable.
Rappelons aussi que d’autres traités internationaux [3], signés par la France et l’Union européenne, ont reconnu le droit inaliénable des paysans à semer le grain récolté. Il serait temps de donner application à ces traités là.
Quant aux agriculteurs, il est urgent qu’ils reviennent à ce qu’ils n’auraient jamais dû abandonner : les variétés paysannes du domaine public, librement reproductibles.
Rien ne les empêche de poursuivre le très prolifique travail de sélection qu’ils ont interrompu il y a cinquante ans en se soumettant au dictat des technocrates de l’agronomie.
C’est le message que véhicule, partout, l’association Kokopelli, qui milite pour la liberté et l’autonomie des paysans, et dont la collection est intégralement fertile et libre de droits.
Kokopelli, le 26 mars 2013