Le dernier Sommet des Amériques, qui s’est tenu dans la ville colombienne de Cartagena, s’est soldée par un fiasco pour les États-Unis. Evitant soigneusement de s’étendre sur le contenu, les médias américains (et européens) n’ont eu d’yeux que pour une affaire de scandale sexuel.
Sensation, sensation...
La presse belge en a longuement parlé : des membres des services secrets américains, autrement dit des responsables de la sécurité du président étatsunien, ont été surpris dans leurs chambres d’hôtels en compagnie de prostituées.
Le plus navrant dans cette histoire, c’est que l’affaire a éclaté parce que l’un des protagonistes a refusé de payer pour les services offerts. Les médias américains se sont déchaînés à un point tel que le président Obama s’est vu contraint de condamner ce dérapage en place publique.
Un événement qui pourrait bien jouer un rôle décisif lors de la prochaine campagne électorale, mais qui a pratiquement occulté un fait bien plus marquant : les États-Unis ne parviennent plus aujourd’hui à imposer leur dictat à l’O.E.A., du jamais vu !
L’os cubain
On savait déjà que certains Etats sud-américains avaient exigé la levée de l’embargo économique imposé à Cuba et la participation de l’île aux conférences et autres activités de l’O.E.A.
Fait nouveau : cette prise de position est désormais unanime ; seuls les États-Unis et le Canada s’opposent encore à la participation cubaine. Pourtant, l’hôte de l’événement, le président colombien Santos lui-même, s’est prononcé en faveur des opprimés ; une première pour les Américains qui ne parviennent même plus à convaincre leur plus fidèle allié d’Amérique latine. Plus fort encore, Santos a décrété que cette conférence au sommet serait la dernière sans Cuba.
Honduras si, Cuba no !
Un point de vue que partagent d’ailleurs tous les chefs d’États présents - de droite comme de gauche, dont le Honduras, un pays dont le gouvernement institué suite à un coup d’Etat n’est reconnu que par les États-Unis. Il est à noter que la présence de l’Etat d’Amérique centrale à la conférence a incité le président équatorien Rafael Correa à ne pas se déplacer personnellement. L’hypocrisie de l’embargo américain sur Cuba a déjà fait couler beaucoup d’encre. Pourtant, cela n’empêche pas, par exemple, le gouvernement américain de faire du commerce avec la Chine communiste, ou encore avec des régimes de droite qui ne font que peu de cas des droits de l’homme (rappelons que l’embargo américain sur Cuba est légitimé par de prétendues violations de ces mêmes droits).
La palme de l’hypocrisie revient toutefois au Canada qui, nonobstant une politique étrangère traditionnellement calquée sur celle du grand-frère américain, est devenu le premier partenaire commercial de Cuba (certainement depuis que l’embargo imposé par les U.S.A. annihile toute concurrence de la part des sociétés de l’Oncle Sam).
Décriminaliser le trafic de drogue
Certains anciens présidents sud-américains avaient autrefois appelé à revoir la politique de lutte contre le trafic de drogue. Ils préconisaient de décriminaliser l’usage de drogues afin de ne plus envisager le problème que d’un point de vue social. Tous les pays présents à la conférence adhérèrent à cette proposition, tous… sauf les États-Unis (et le Canada).
Obama n’offrit qu’un fade argument qui ressemblait plutôt à une demi concession. Bien qu’il négligeât largement le contenu de l’argumentation lors de son intervention dans une conférence de presse, il ne s’en montra par moins ouvert à la "poursuite des discussions". Quant à son homologue canadien, le premier ministre Harper, il finit tout de même par voter contre alors qu’il avait d’abord suivi une partie des arguments avancés.
Pour les États-Unis, il est essentiel de maintenir la gestion militaire du problème du trafic de drogue en Amérique du Sud, raison officielle de leur présence dans la région. Retour au pays, la lutte contre la drogue vise principalement à permettre le contrôle social des minorités ethniques ainsi que des couches les plus pauvres et les plus professionnellement défavorisées de la population. Il va sans dire que la criminalisation du trafic de drogue masque aussi des intérêts économiques, car outre les budgets faramineux consacrés aux financement des forces de l’ordre, le système carcéral privé américain vit de cet important afflux de prisonniers dont le seul crime est d’avoir simplement détenu de la drogue.
Las Malvinas Argentinas
Même sur un problème aussi marginal que celui des Malouines, les États-Unis et le Canada n’obtiennent plus ce qu’ils demandent. Tous les pays présents à la conférence (à l’exception évidente des deux précités) ont approuvé la requête de l’Argentine : le pays souhaite en effet asseoir sa souveraineté sur l’archipel des Malouines (Las Malvinas, dit-on là-bas) et faire condamner la mainmise de la Grande-Bretagne.
Un succès qui n’en est pas un...
De la conférence au sommet de l’O.É.A, Obama a surtout retenu le traité de libre échange signé par la Colombie et les États-Unis, un accord qui entrera en vigueur en mai prochain – soit bien en avance sur le planning initial. Un autre signe de faiblesse à plus d’un titre. Tout d’abord parce que le commerce des États-Unis avec la Colombie est plutôt marginal ; ensuite, parce que cet accord n’a été négocié et conclu de manière bilatérale qu’entre ces deux seuls pays. Il sort donc du cadre général de la conférence au sommet de l’O.É.A. Le hasard veut simplement que l’’un et l’autre se soient déroulé en même temps.
... mais qui masque un échec
La signature de ce traité bilatéral est surtout une énième conséquence d’un échec encore plus retentissant. Jadis, l’ancien président George W. Bush - imité depuis par son successeur, avait souhaité conclure un accord de libre échange avec le continent sud-américain tout entier : le Free Trade Agreement of the Americas (F.T.A.A.). Un fiasco monumental ! Pire même : sous l’impulsion de l’Argentine, du Brésil et du Venezuela, plusieurs pays ont tout bonnement conclu plusieurs nouveaux accords entre eux, au nez et à la barbe des Etats-Unis et du Canada.
Ces accords entérinaient notamment la création de l’Unión de Naciones Suramericanas (UNASUR - Union des États sud-américains) et de la Banco del Sur (Banque du Sud), autant de bâtons dans les roues américaines. Bien que ces institutions n’en soient encore qu’à un stade embryonnaire, leur seule naissance et leur importance croissante ne laissent rien présager de bon pour les États-Unis. Ajoutons encore à cela la Comunidad de Estados Latinoamericanos y Caribeños (CELAC), une organisation qu’ont même rejoints les plus fidèles alliés des États-Unis dans la région.
Droits de l’homme et Colombie…
Comme si cela ne suffisait pas, la signature de l’accord américano-colombien a soulevé de sérieuses objections de la part de certains membres du propre parti démocratique du président Obama qui ne goûtaient que très peu les atteintes aux droits de l’homme enregistrées en Colombie. Ils faisaient ainsi surtout référence aux nombreux massacres de représentants syndicaux, des actes horribles qui hypothèquent sérieusement la lutte sociale en Colombie. Deux petites semaines avant la conférence au sommet de l’O.É.A., le gouvernement local a d’ailleurs approuvé une série de lois et de règlements visant à endiguer le problème. Cela dit, il n’est absolument pas certain que ces mesures vont avoir un effet quelconque. Ces deux dernières années, les États-Unis ont du également lâcher du lest sur un autre sujet. Sous le prétexte habituel de la "lutte contre le trafic de drogues", l’Oncle Sam voulait installer sept bases militaires en Colombie. Les mass-media américains et européens se sont empressés de ne voir là qu’un nouveau délire du président vénézuélien Chavez. Pourtant, celui-ci a reçu le soutien de la plupart des pays d’Amérique latine qui ont bien compris qu’il ne s’agissait, en fin de compte, que d’une nouvelle tentative de la part du puissant voisin du Nord d’imposer sa présence militaire sur le continent. Les États-Unis se sont donc vus contraints de faire marche arrière.
Les États-Unis demeurent un acteur puissant
Bien que l’hégémonie américaine sur le sud du continent s’affaiblisse à vue d’œil, il ne fait aucun doute qu’il faudra encore compter pendant quelques années sur ce puissant interlocuteur dans la région. En témoigne l’accord signé avec la Colombie, dans le but d’étendre le fameux Plan Colombia aux états d’Amérique centrale. Toujours le même prétexte de la lutte contre le trafic de drogues pour justifier une présence militaire accrue…
L’histoire de l’Amérique latine se répète : entretenir de bons contacts avec les autorités militaires en place, en vue de préparer efficacement les futurs coups d’états.
En 2008, Wikileaks publiait des notes provenant de l’Ambassade américaine au Chili. Celles-ci confirmaient que les États-Unis maintenaient leur stratégie de copinage avec les forces militaires sud-américaines afin "d’endiguer le phénomène Chavez". Autrement dit, afin de garder le contrôle sur ces gouvernements qui préfèrent défendre les intérêts de leurs concitoyens aux détriments de ceux des multinationales américaines (et européennes). La lutte contre le "trafic de drogues" doit rester l’une des priorités du gouvernement américain, car elle est le principal instrument de domination sur le sud du continent.
Silence des médias
Les médias européens ont à peine survolé cette conférence au sommet, un comportement qui s’inscrit dans la lignée d’un phénomène plus global. Le tournant à gauche est historique (et à l’encontre de la tendance européenne), et pour la première fois de son histoire, l’Amérique du Sud semble vouloir se diriger vers une réelle indépendance et une authentique souveraineté. Une évolution certes réjouissante ; mais il convient de garder la tête froide. En effet, les élites économiques d’Amérique latine n’ont pas encore dit leur dernier mot, et les États-Unis peuvent encore se montrer très dangereux, un peu comme un ours blessé.
Cependant, la dernière conférence au sommet de l’O.É.A. est un excellent présage, en ce qu’elle nourrit l’optimisme et l’espoir d’un monde meilleur.