Le texte qui suit est un résumé thématique point par point d’une allocution du Pr Michel Chossudovsky lors d’une conférence à l’Université des Philippines (Cebu), qui portait sur l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE) et le monde.
Introduction
Il est important d’examiner la situation en Asie du Sud-Est et en Asie de l’Est dans un contexte géopolitique plus large. La Chine, la Corée du Nord et la Russie sont des cibles potentielles en du « pivot vers l’Asie » d’Obama, qui comprend la menace conjuguée du déploiement de missiles, de la puissance navale et d’une guerre nucléaire préventive.
Il ne s’agit pas d’initiatives militaires fragmentaires. Le programme militaire de la région Asie-Pacifique sous l’égide du Commandement militaire des USA pour le Pacifique (USPACOM) entre dans un processus global de planification militaire de la part des USA et de l’OTAN.
Les interventions militaires des USA sont menées en étroite coordination. Des opérations militaires et de renseignement clandestines majeures sont en cours simultanément au Moyen‑Orient, en Europe de l’Est, en Afrique sub‑saharienne, en Asie centrale et en Asie‑Pacifique. La planification des opérations militaires se fait en coordination avec des moyens de faire la guerre non conventionnels comme les changements de régime, la guerre financière et les sanctions économiques.
La situation actuelle est d’autant plus critique que le débat en cette campagne présidentielle aux USA porte notamment sur une guerre menée par les USA et l’OTAN contre la Russie, la Chine, la Corée du Nord et l’Iran. La guerre est présentée à l’opinion publique occidentale comme une option politique et militaire.
Le programme militaire des USA et de l’OTAN englobe à la fois les principaux théâtres d’opérations et les activités clandestines visant à déstabiliser des États souverains. Le projet hégémonique des USA consiste à déstabiliser et à détruire des pays par des actes de guerre, le soutien à des organisations terroristes, des changements de régime et la guerre économique.
Bien qu’un scénario de Troisième Guerre mondiale demeure sur la planche de travail du Pentagone depuis plus de dix ans, une intervention militaire contre la Russie et la Chine est maintenant envisagée à « l’échelle opérationnelle ». Les forces des USA et de l’OTAN sont déployées essentiellement dans trois grandes régions du monde :
1- Moyen-Orient et Afrique du Nord. Les théâtres de guerre et les insurrections commanditées par les USA et l’OTAN contre l’Afghanistan, l’Irak, la Libye, la Syrie et le Yémen sous la bannière de la « lutte mondiale contre le terrorisme ».
2- Europe de l’Est, y compris la Pologne et l’Ukraine, où les manœuvres militaires, les jeux de guerre et le déploiement de matériel militaire aux portes mêmes de la Russie pourraient mener à un affrontement avec la Fédération de Russie.
3- Les USA et leurs alliés menacent aussi la Chine dans le cadre du « pivot vers l’Asie » du président Obama.
4- Le déploiement du NORAD-Northcom menace aussi la Russieà sa frontière nord‑est.
5- Dans les autres régions du monde, y compris en Amérique latine et en Afrique sub‑saharienne, l’intervention des USA est axée sur les changements de régime et une guerre économique livrée contre des pays non conformistes comme le Venezuela, le Brésil, l’Argentine, l’Équateur, la Bolivie, Cuba, le Salvador, le Honduras et le Nicaragua.
En Afrique sub-saharienne, l’offensive consiste à utiliser principalement le prétexte du « terrorisme islamiste » pour lancer des opérations de contreterrorisme sous l’égide du Commandement militaire des USA pour l’Afrique (USAFRICOM).
En Asie du Sud, Washington a l’intention de créer une alliance avec l’Inde pour mieux affronter la Chine.
Le pivot vers l’Asie et la menace d’une guerre nucléaire
Dans la région Asie-Pacifique, la Chine, la Corée du Nord et la Russie sont visées par une attaque nucléaire préventive venant des USA. Il est important de revenir sur l’histoire de la guerre et des menaces nucléaires et sur la doctrine nucléaire des USA telle qu’elle a été formulée pour la première fois en 1945 sous l’administration Truman.
Hiroshima et Nagasaki
« Nous avons découvert la bombe la plus terrible de l’histoire du monde. C’est peut‑être la destruction par le feu prophétisée dans la période dite de la vallée de l’Euphrate, après l’histoire de Noé et son arche fabuleuse (…). Cette arme est sur le point d’être utilisée contre le Japon (…) [Nous] l’utiliserons de sorte que les cibles soient des objectifs militaires, des soldats et marins, et non des femmes et des enfants. Même si les Japs sont sauvages, impitoyables, sans merci et fanatiques, nous, comme dirigeants du monde, pour le bien‑être commun, nous ne pouvons larguer cette terrible bombe sur l’ancienne capitale ou la nouvelle(…) La cible sera purement militaire (…) Il semble que ce soit la chose la plus terrible jamais découverte, mais on peut faire en sorte qu’elle soit la plus utile. » (Journal du président Harry S. Truman, 25 juillet 1945)
« Le monde notera que la première bombe atomique a été larguée sur une base militaire d’Hiroshima. Ceci parce que nous voulions dans cette première attaque éviter, le plus possible, de tuer des civils. » (Discours à la nation du président Harry S. Truman radiodiffusée le 9 août 1945).
La notion de « dommages collatéraux » de Truman en cas de guerre nucléaire tient‑elle toujours ? Des documents militaires accessibles au public confirment qu’une guerre nucléaire demeure sur la planche de travail du Pentagone.
Mais comparativement aux années 1950, les armes nucléaires d’aujourd’hui sont beaucoup plus perfectionnées et peuvent atteindre leurs cibles avec plus de précision. Outre la Chine et la Russie, l’Iran et la Corée du Nord pourraient être visées par une première frappe nucléaire préventive.
Des documents militaires étasuniens affirment que la nouvelle génération d’armes nucléaires tactiques est inoffensive pour les civils. Tout dépendant du modèle, la mini‑bombe nucléaire B61 a une capacité explosive variable (du tiers de la force de la bombe d’Hiroshima à presque 12 fois plus).
Doctrine nucléaire et folie politique
Ne nous berçons pas d’illusions, le plan du Pentagone de faire « exploser la planète » au moyen d’armes nucléaires perfectionnées s’applique toujours.
Les armes nucléaires tactiques ont été fabriquées en vue d’être utilisées dans des « conflits conventionnels avec des pays du Tiers‑Monde » de l’Après‑guerre froide. En octobre 2001, soit juste avant le 11 septembre, le secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld envisageait d’utiliser la bombe nucléaire tactique B61-11 en Afghanistan. Les cibles étaient les cavernes transformées en bunkers d’al‑Qaïda dans les montagnes de Tora Bora.
Rumsfeld disait à l’époque que les « bombes antibunker conventionnelles pourront faire le travail, (…) mais il n’a pas écarté le recours éventuel à des armes nucléaires. » (Citation tirée du Houston Chronicle, 20 octobre 2001, soulignement ajouté.)
L’utilisation de la B61-11 a également été envisagée lors du bombardement et de l’invasion de l’Irak en 2003 et du bombardement de la Libye par l’OTAN en 2011.
- Bombe nucléaire tactique B61-11. En 1996, sous l’administration Clinton, l’utilisation de l’arme nucléaire tactique B61-11 était envisagée par les USA en cas d’attaque contre la Libye
Toutes les garanties de l’époque de la Guerre froide, où l’on considérait la bombe nucléaire comme « l’arme du dernier recours », ont été mises au rebut. Les interventions militaires « offensives » à l’aide d’ogives nucléaires sont maintenant décrites comme des actes « d’autodéfense ». Pendant la Guerre froide, c’est la doctrine de la « destruction mutuelle assurée » qui prévalait, c’est‑à‑dire que l’utilisation d’armes nucléaires contre l’Union soviétique engendrerait la « destruction à la fois de l’attaquant et du défenseur ».
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