Il n’est pas besoin de préciser quel type de vœux nous formulons pour la Syrie en ce nouvel an. 2012 a vu une intensification des combats et destructions dans le pays, et, après l’échec de la première tentative rebelle contre Damas en juillet-août, et le lancement, au même moment, de la bataille d’Alep, une montée en forces des groupes islamistes les plus radicaux, que n’ont pu cacher journalistes et gouvernement d’Occident.
Et, d’un point de vue strictement « militaire », et en procédant par recoupement des diverses sources pro et antirégime, voire neutres, on peut dire que l’année finit mieux qu’elle n’a commencé.
Aucun succès insurgé important ou durable depuis des mois
En dépit de nouvelles tentatives en novembre-décembre, l’insurrection n’a pu reprendre pied à Damas, sinon dans quelques points de sa périphérie, et a subi des pertes cruelles.
À Alep, il semble que l’armée ait patiemment grignoté les positions des rebelles, dont il est certain qu’ils ne progressent plus. L’armée a aussi repris des positions dans la région nord de la ville, bastion de l’insurrection. Et elle les a conservées ou reconquises tant dans les environs d’Idleb qu’à Maraat al-Numan.
Homs est nettoyée pour l’essentiel et le temps où cette grande ville était baptisée « capitale de la Révolution » par l’OSDH semble loin. Même heureuse évolution pour la ville voisine d’al-Qusayr, longtemps principal point d’appui de l’ASL sur la frontière libanaise. Quant à la ville voisine de Hama, il ne semble pas non plus que la toute récente « offensive » des bandes dans ses environs ait enregistré le moindre succès significatif.
Dans le secteur nord-est, les rebelles et bandes islamistes semblent toujours acculées sur la frontière turque et n’ont pu inquiéter la ville d’al-Hassake.
Ailleurs, à Deir Ezzor dans l’est et à Deraa dans le sud, il y a des affrontements ponctuels, mais aucune bataille ou offensive d’envergure.
Disons que l’armée syrienne a ces tout derniers mois réussi à contenir ou briser les attaques des insurgés, leur infligeant, au-delà des exagérations des communiqués ou rumeurs, des pertes terribles. Et grignotant, lentement mais sûrement, les positions ennemies.
Dans le même temps, l’ASL, ou les islamistes ont vu un nouveau front s’ouvrir dans leur zone de force, celle de la frontière turco-syrienne : les milices kurdes sont entrés dans la danse, et des dizaines d’islamistes l’ont déjà payé de leur vie. Et au sud, les Druzes semblent faire de même.
Les médias français les plus acharnés à la destruction de la Syrie – ceux de la gauche « atlanto-bobo », notamment – ont entretenu, ces dernières semaines, la fiction d’une progression des rebelles. Mais sur le terrain l’OSDH ou les CLC n’ont pu relater que des « prises » de bases plus ou moins importantes, plus ou moins défendues, dans les environs d’Alep ou de Damas. Certaines bientôt reconquises par l’armée. C’est peu et les faits sont là : pas de victoire définitive et significative stratégiquement de la rébellion au cours des derniers mois de 2012. Beaucoup d’effets d’annonce en revanche, mais brasser du vent ne fait pas gagner la guerre.
La mue de l’insurrection
D’autres analystes français se montrent plus prudents : aucun des belligérants, assurent-ils, ne peut l’emporter sur l’autre. Pour ce qui est de la rébellion, ou plutôt des rébellions, c’est évident. Redisons cette vérité d’évidence, oubliée ou « contournée » par nos chers confrères : de même que quelques milliers de fanatique plus ou moins bien armés ne peuvent faire tomber une ville comme Damas ou Alep, l’insurrection ne peut longtemps rivaliser avec l’armée syrienne, avec ou sans aviation, dès lors que celle-ci est engagée en nombre. Le problème est la multiplication des fronts, que ne peut tenir simultanément l’armée, qui semble donc avoir concentré ses forces sur tous les points lui paraissant importants, laissant à la rébellion des secteurs désertiques ou périphériques. Mais s’il y a un vainqueur par KO en 2013, nous n’avons aucun doute sur son identité.
Car, dans le même temps, cette insurrection armée a non seulement mué en une entreprise djihadiste, mais elle s’est désintégrée moralement et tactiquement : des articles sont parus sur certaine dérive maffieuse des « brigades » rebelles, sur leur basculement dans le banditisme pur. D’autres ont évoqué des règlements de comptes entre faction rivales.
Bref, l’ASL a toujours été plus ou moins une fiction médiatique, mais cette fois on est sûr qu’elle ne correspond plus à rien. Les quelques milliers de combattants actifs sont morcelés en dizaines de bandes pompeusement rebaptisées « brigades » , qui guerroient pour leur compte, dans un mépris superbe des directives de l’état-major fantoche de la non moins fantoche « Armée syrienne libre » , qui a autant d’existence aujourd’hui que le « Conseil national syrien » , lequel était censé être, au début de l’année dernière, son expression politique.
Au fait, on est sans nouvelles des généraux composant, depuis la Turquie, le fameux « conseil militaire » auquel l’AFP avait consacré des articles très sérieux. Ont également disparu des échos radars le colonel ou général Ryad al-Assad, chef historique et autoproclamé de l’ASL, mais aussi Abdel Razzaq Tlass, figure charismatique de l’ASL dans le secteur Homs/al-Qusayr, cousin d’un pilier du régime baasiste et chef de l’unité « d’élite » de l’ASL, la brigade al-Farouq, qui s’est fait discrète elle aussi dans les communiqués de l’OSDH ces derniers mois.
En quelque sorte, on pourrait dire que la rébellion a subi d’importantes « restructurations » au cours du second semestre 2012 : de moins en moins de modérés, et de plus en plus d’étrangers.
La donne diplomatique a bien changé
Tout ceci augure mal d’une chance de succès de la « révolution syrienne » qui, de massacres barbares en proclamations djihadistes, a pris un visage de moins en moins avenant, et de plus en plus qatari et obscurantiste : la nouvelle « Coalition nationale » lancée à Doha n’a absolument pas élargi la base du CNS, ni ses soutiens diplomatiques. Et sur ce front diplomatique, en dépit d’insinuations, d’interprétations tendancieuses, la Russie a maintenu ses positions, enterrant définitivement à notre avis la moindre possibilité d’une intervention de l’OTAN. Mieux, il semble que la diplomatie américaine soit désormais, Clinton partie, beaucoup moins pressée d’en finir avec Bachar al-Assad.
Les politiques de l’opposition radicale peuvent encore compter sur les dollars du Golfe et les bonnes paroles et mouvements de menton de Hollande/Fabius (sans oublier bien sûr la bienveillance durable des médias bobos), mais c’est insuffisant à inverser le rapport de forces. On ne peut, de toute façon, constituer une alternative crédible et acceptable à Bachar en s’appuyant sur les fous furieux de Dieu du Front al-Nosra et les monarques obscurantistes du Golfe. Quant à Erdogan, il doit, en dépit de discours toujours belliqueux, se mordre les doigts de l’impasse dans laquelle il s’est enfermé. Enfin, l’Iran, avec l’appui de la Russie et de la Chine, mais aussi du nouveau président égyptien, est entré par la grande porte dans le jeu diplomatique autour de la Syrie, ce qui est objectivement une défaite pour les pétro-monarques.
Ce sont encore les Russes, rejoints par Lakhdar Brahimi, émissaire de l’ONU, qui ont imposé aux Américains, sinon à l’opposition radicale, le principe d’un maintien au pouvoir de Bachar al-Assad, suite à l’accord de Genève du 30 juin 2012. Accord que les Occidentaux voudraient bien « contourner », sans en avoir les moyens. Ce gouvernement syrien, qui a résisté près de deux ans à la plus formidable pression militaire, diplomatique et médiatique de ce début de millénaire, a globalement tenu bon, avec son armée et une bonne partie de son peuple, dans la tempête. Il a enregistré des défections, mais pas très nombreuses et surtout sans conséquence politique importante : qui se souvient qu’un Premier ministre de Bachar a fait dissidence ? Et à quoi ont servi la vingtaine de généraux subalternes passés à l’ennemi ?
D’ailleurs le pouvoir syrien se sent assez fort pour se déclarer, lundi 31 décembre, prêt à accueillir « favorablement toute initiative régionale ou internationale pour une solution à la crise par le dialogue et des moyens pacifiques et sans ingérence étrangère » . Et le Premier ministre syrien Waël al-Halaqi, qui s’exprimait devant le parlement de Damas, a estimé que la victoire était proche.
Peut-être al-Halaqi pêche-t-il par optimisme excessif. Mais il est fondé, croyons nous, à penser que, contrairement à ce que racontent des médias français déshonorés et décrédibilisés, l’espoir a changé de camp, fin 2012.