Le documentaire Syrie : le grand aveuglement, proposé le 18 février 2016 par France 2 dans son émission Un Œil sur la planète, a fait grand bruit. Beaucoup l’ont présenté comme un travail de journalisme rétablissant – enfin – la vérité sur un conflit dont les internautes, contrairement aux téléspectateurs, connaissent depuis longtemps les tenants et aboutissants.
Il faut reconnaître qu’il s’agit d’un film de grande qualité en comparaison de la propagande de ces cinq dernières années. Il aura le grand mérite de rétablir un certain nombre de vérités dans les consciences françaises, auxquelles ce même média, France 2, mais aussi les grands journaux (Le Monde, Libération, Le Figaro en tête) ont menti durant cinq ans. Le film traite en effet de sujets rarement évoqués à la télévision, comme les enjeux énergétiques qui sous-tendent la guerre en Syrie et, surtout, le soutien des chancelleries occidentales aux groupes djihadistes qui ont massacré tant de Syriens.
Mais il fait aussi l’impasse sur des enjeux essentiels (quid de la mainmise du lobby israélien sur l’ensemble des acteurs politiques américains, Congrès et Maison-Blanche inclus, ou sur la politique étrangère française ?), reste souvent dans la caricature proche de la contre-vérité (il y aurait eu au début du conflit de larges manifestations populaires et les Syriens se seraient ensuite « fait voler leur révolution »), fait intervenir, entre deux experts pertinents, un journaliste déjà pris en flagrant délit de mensonge (Georges Malbrunot), ou encore sert une conclusion en forme de manipulation de l’opinion (le flot de migrants vers l’Europe serait composé de familles fuyant la guerre).
Quant au titre du reportage, il dit tout de son omission centrale : selon les journalistes, le conflit qui ensanglante la Syrie depuis cinq ans serait le résultat d’un grand aveuglement. Adopter cette thèse, c’est considérer que les acteurs de la guerre visés dans le documentaire – au premier rang desquels les politiciens français responsables de notre politique étrangère – se sont trompés, et que le résultat désastreux est contraire à leurs intentions premières. Une thèse bien naïve, qui fait l’impasse sur une question qui mériterait une vraie réponse : n’y a-t-il pas des acteurs de la sphère politico-médiatique française qui, par leur volonté directe ou par le jeu de leurs allégeances, avaient intérêt à la destruction de la Syrie ? Ne peut-on pas considérer qu’en dernière instance, l’empire a malgré tout accompli en Syrie son objectif principal – la destruction du pays – et qu’il peut donc aujourd’hui se débarrasser à la fois de ses zélés serviteurs et de ses encombrants exécutants ?
Au final, ce documentaire – diffusé par la télévision d’État, faut-il le rappeler – apparaît comme un discours objectivement aligné sur le réajustement inévitable de la politique du Quai d’Orsay, qui malgré ses intentions guerrières n’a plus désormais en Syrie d’autre option que celle de se ranger aux décisions de la nouvelle alliance États-Unis / Russie. Et il est aussi, au passage, une manière de convertir l’opinion française à l’accueil de millions d’immigrés, à grand renfort de larmoiement sur le sort des enfants réfugiés.
Notons pour terminer que les journalistes qui ont composé ce film ont probablement, en toute bonne foi, le sentiment d’avoir visé juste et dévoilé la face cachée du conflit. Pourtant, s’il avait révélé l’imposture du vrai pouvoir en France et de son influence sur notre politique étrangère, nul doute qu’il n’aurait passé ni le filtre de la production, ni celui de la diffusion.
Ce préambule posé, nous laissons à nos lecteurs le soin de découvrir en détail cet événement audiovisuel, qui marque une inflexion claire dans la propagande médiatique sur le conflit syrien.