Les minorités de la société syrienne, vulnérables et sans défense, sont écrasées dans le cadre d’un conflit qui augmente en intensité, se caractérise toujours plus comme lutte entre les différentes factions, se colore de sectarisme et de confessionnalisme.
C’est ce qu’indique, dans une note envoyée à l’Agence Fides, un jeune chrétien, évacué avec sa famille à Hassaké, qui y raconte l’expérience de la petite ville de Ras al-Ain, à la frontière avec la Turquie, en Haute-Mésopotamie.
La population civile de la zone au-delà de l’Euphrate (est de la Syrie) a été bouleversée par le conflit qui a provoqué un exode de civils, qui se sont réfugiés surtout dans les villes d’Hassakè et de Kamishly. De là, les évêques locaux ont lancé un appel éploré à la communauté internationale et au Pape afin « d’éviter la catastrophe humanitaire » (voir Fides 22 et 23/11/2012).
À Ras al-Ain, prise par les troupes de l’armée libre le 8 novembre dernier, sont actuellement en cours des affrontements entre des factions militaires kurdes et arabes, précédemment alliées contre l’armée régulière syrienne, signe d’une augmentation du taux de conflictualité général.
Le jeune chrétien, qui se professe proche de l’opposition syrienne et demande à conserver l’anonymat pour raisons de sécurité, explique dans un récit envoyé à Fides la condition dramatique des minorités (arabes, kurdes, syriaques, assyriens, chrétiens) en Mésopotamie :
« Au cœur de la nuit, à 02h00, le 8 novembre, les résidents de Ras al-Ain ont été réveillés par le bruit d’explosions, d’hélicoptères et de mitrailleuses. Il s’agissait des combattants de l’armée libre et des hélicoptères turcs venus en territoire syrien, qui ont facilement conquis le poste de frontière et la ville. Les militaires ont commencé à placer sous séquestre les maisons des civils pour les utiliser comme postes de combat. Parmi les maisons placées sous séquestre, se trouvait celle de mon grand-père où se trouvaient des femmes, des enfants et ma grand-mère paralysée. Tous les civils ont été expulsés de leurs maisons en pyjama, sans pouvoir prendre de documents, d’argent ou quoi que ce soit d’autre. Des militaires et des combattants sont allés plus loin : ils sont allés de maison en maison avec une liste noire pour y chercher leurs ennemis. Parmi ceux-ci, se trouvaient les noms des chefs de familles chrétiennes. Pourquoi ? »
« De ce qui a été dit – explique le jeune – il ne faut pas conclure que notre peuple est divisé par une haine sectaire. Sans l’intervention d’un voisin de ma famille, un musulman sunnite qui a prié les hommes armés de ne pas nous faire de mal, nous serions morts. Nous sommes sains et saufs et nous sommes enfuis. La population de Ras al-Ain, musulmans et chrétiens, kurdes et arabes, syriaques et assyriens, a vécu pendant des décennies dans la paix et la fraternité. Mais maintenant, ils veulent nous dresser les uns contre les autres. Pourquoi ? »
Le texte poursuit : « À Ras al-Ain, les victimes n’étaient pas seulement chrétiennes mais les chrétiens ont été les seuls à avoir été immédiatement expulsés de leurs maisons, en portant les enfants dans leurs bras, mis en fuite dans les rues jonchées de cadavres. Une intervention semblable est celle d’une armée d’envahisseurs et non pas d’une armée de libérateurs, comme se définit l’armée de l’opposition. »
La note parvenue à Fides continue : « Kurdes, arabes et chrétiens, plus de 70 000 personnes se sont enfuies, en majorité en direction d’Hassaké. En quelques heures, la ville s’est transformée en ville fantôme. Les alaouites ont subi le sort le plus dramatique : tués parce qu’alaouites. L’une des victimes étaient un instituteur qui a beaucoup aimé la ville et a instruit pendant de nombreuses années les enfants de toutes les familles. Des miliciens l’ont cherché, pris et tué devant son épouse et ses enfants qui ont été pris en otage. »
Le récit dramatique se conclut en ces termes : « Aujourd’hui, les routes sont bloquées. Un autobus de ligne entre Hassaké et Alep a été arrêté et tous ses passagers identifiés afin d’éliminer ceux qui ne sont pas sunnites. Mais qui a donné aux milices l’ordre de tuer sur la base de critères religieux ? Et même si le critère n’était pas confessionnel, quel droit auraient-ils de tuer des civils innocents ? Le droit international prévoit que même en guerre, il est du devoir des conquérants de garantir la survie et les droits des civils. Mais ce principe ne semble pas être connu par ceux qui commandent les factions militaires des rebelles. Pourquoi ? Nous avons toujours accusé le régime de ces désastres. Maintenant, nous parlons des crimes que nous avons vu de nos yeux, perpétrés par l’armée libre syrienne. »
(PA) (Agence Fides 30/11/2012)