Violemment critiqué par le Président du Conseil Représentatif des Institutions juives de France (CRIF), qui l’a incriminé pour de supposées intentions anti-israéliennes sur une question d’examen posée à ses étudiants, le professeur Christophe Oberlin s’explique.
Silvia Cattori : Vous avez été l’objet d’attaques de la part du CRIF et du Bureau National de Vigilance Contre L’Antisémitisme. Comment vivez-vous le fait d’être gravement mis en cause ? Que s’est-il passé au juste ?
Christophe Oberlin : Depuis 30 ans j’enseigne et je suis responsable d’un certificat optionnel de médecine humanitaire depuis trois ans ; tout le monde n’est pas obligé de s’y inscrire. Je donne un cours de deux heures sur vingt heures d’enseignement en droit humanitaire dispensées par Amnesty International.
J’ai donc posé une question d’examen - sur quatre questions - partant d’un cas réel qui avait été traité par les enseignants pendant les cours et dans la plus grande sérénité, il y a quatre mois. C’est un cas pratique qui parle d’un médecin qui reçoit vingt-deux cadavres portant le même nom de famille ; cela se situe à l’hiver 2008/2009 dans la bande de Gaza. À l’aide des éléments juridiques qui ont été enseignés pendant le cours, il a été demandé aux élèves de donner une qualification juridique pour savoir s’il s’agit-il d’un crime de guerre, d’un génocide, ou d’un crime contre l’humanité ; et d’argumenter leur propos à l’aide des définitions connues de ces différents crimes.
C’est un cas pratique tel qu’on en utilise en médecine. On fait énormément d’évaluations par cas pratiques ; l’examen de la fin des études médicales se fait essentiellement sous la forme de cas pratiques. C’est l’occasion de montrer ses connaissances.
Bien entendu Si j’avais posé une question sur un cas pratique enseigné dans un cours, portant sur des femmes violées dans un camp de réfugiés au Darfour, personne n’aurait protesté. Il faut poser la même question à mes détracteurs. Auriez-vous protesté pour le Darfour ? La réponse est certainement non. La question suivante est : pourquoi ?
Et lorsqu’on me dit : mais vous posez une question sensible, etc…, je dois préciser que j’essaye d’être un pédagogue ; l’important c’est ce que les gens retiennent. Depuis trois ans, le cours se fait de la même manière ; c’est-à-dire qu’il comporte une partie d’enseignement théorique de l’histoire du droit humanitaire et de ses progrès successifs.
Prenons un exemple : si vous faites un cours formidable sur la maladie en expliquant tous les symptômes, les moyens de diagnostic, le traitement, la chirurgie, mais que vous oubliez de dire à la fin de votre cours que, malheureusement, aucun traitement ne marche, que cette maladie est toujours mortelle, c’est vraiment une omission que l’on pourrait vous reprocher car ce serait incomplet.
Ce qui est dit au cours de l’enseignement sur le droit humanitaire depuis trois ans est ceci : on vous a appris un certain nombre de choses ; mais malheureusement dès qu’un pays puissant - en gros les pays occidentaux, la France, les États-Unis, Israël, sont cités nommément dans un cours chaque année - est impliqué dans un acte de guerre, il ne respecte pas le droit humanitaire. Donc c’est un message essentiel ; il y a une pédagogie dans cet exemple qui ne consiste pas simplement à donner les définitions de ces crimes et à parler de droit humanitaire en termes de droit, mais aussi à faire savoir aux étudiants que ce droit n’est jamais appliqué dès lors qu’il s’agit d’un pays riche.
Silvia Cattori : Qu’est-ce que le Bureau National de Vigilance Contre l’Antisémitisme vient faire ici ?
Christophe Oberlin : Vous savez, en France, trois personnes peuvent fonder une association. Celle dont vous parlez a moins de 5 ans d’existence, donc elle ne peut même pas se porter partie civile. Je note quand même qu’à mon âge canonique, jamais personne ni en public ni en privé ne m’a accusé d’antisémitisme. Même le CRIF, qui m’a pourtant attaqué par écrit de façon extrêmement violente, n’a pas utilisé dans ses outrances le terme d’ « antisémitisme ». Le CRIF a par ailleurs inventé un mot - en tous cas je ne l’ai jamais entendu avant, c’est un néologisme - qui me qualifie d’« anti-israélisme ». Ce n’est pas dans le dictionnaire.
Silvia Cattori : En vous écoutant on en vient à se demander si ces fervents ambassadeurs d’Israël en France n’ont pas cherché un moyen de faire taire le chirurgien qui humanise en quelque sorte par son geste les blessés de guerre de Gaza, des résistants qu’Israël massacre et cherche à déshumaniser en les qualifiant de « terroristes » ? Du reste le président du CRIF Richard Prasquier [1] ne s’en cache même pas. « M.Oberlin se situe à la pointe extrême de la haine contre Israël et de la promotion du Hamas » a-t-il dit. N’est-ce pas le chirurgien, qui est capable d’avoir un point de vue politique en même temps qu’il soigne les blessés sur les lieux où Israël commet des crimes de guerre, que M. Prasquier a voulu viser ?
Christophe Oberlin : Il y a plusieurs questions dans tout ça. Il faudrait y répondre. Si M. Prasquier a le courage de venir discuter publiquement avec moi, je saurai, dans un débat avec lui, sérier les problèmes, ne pas tout mélanger. S’il veut qu’on parle d’Israël et de sa politique, qu’on parle de l’université et de mon enseignement, qu’on parle du Hamas, parler de tous ces sujets qui méritent débat et qui ne se discutent pas en trois phrases, je suis à sa disposition. Il y a des mélanges ahurissants : quand le président de l’université, sans me contacter, sans étudier la question qui lui a été posée par le CRIF, déclare à la presse qu’il s’agit d’une atteinte à la laïcité, tous les étudiants en droit en France, ont de quoi rire.
J’ai posé la question à une avocate spécialisée dans la diffamation. Elle m’a répondu : ce qu’à dit le président de l’université est une énorme bêtise ; et une bêtise, ce n’est pas une atteinte à votre honneur ni à votre dignité. En France, il n’y a pas de loi contre la bêtise. Autrement dit il n’y a pas de diffamation. Chaque accusation mérite d’être discutée, je suis à la disposition de tout le monde pour discuter. Je ne crains vraiment pas, à mon âge, les forces dont vous venez de parler. Cela ne me fait pas peur.
Silvia Cattori : N’est-ce pas Vincent Berger, le président de l’université Paris-Diderot qui vous a désavoué et a annoncé une enquête administrative, donnant ainsi raison à vos détracteurs du CRIF qui n’a pas respecté ce qu’il vous reproche : son devoir de réserve ?
Christophe Oberlin : Je pense qu’il est sorti de sa réserve en me condamnant publiquement et en parlant d’atteinte à la laïcité. Là, véritablement, il est sorti de son devoir de réserve et il aurait dû y penser au moment où il s’exprimait. C’est son droit le plus strict d’ouvrir une enquête administrative qui donnera ce qu’elle donnera ; je n’en ai évidemment pas peur. Lors de cette enquête, il n’y aura de ma part que des écrits. Je ne répondrais que par écrit à des questions écrites. Il n’est pas question que cela se passe à huis clos et qu’il en sorte une espèce de blâme qui apporte des informations erronées.
Silvia Cattori : Vous avez écrit à la ministre de la recherche et de l’enseignement supérieur. [2] Est-ce à dire que les choses sont allées trop loin ? Et qu’attendez-vous en retour ?
Christophe Oberlin : Ayant vu, après toutes les outrances déversées, qu’on allait demander pour moi une sanction au niveau ministériel, j’ai écrit à la ministre de l’enseignement supérieur qui a tutelle sur moi car je souhaitais l’informer de façon à ce qu’elle ne soit pas prise de court lors d’une question impromptue dans une conférence de presse ou dans un couloir, et poussée à devoir dire des choses sur un sujet dont elle n’aurait pas eu un minimum de connaissance.
Silvia Cattori : Vous semblez très serein. Comme si tout ce bruit fait autour de vous ne vous touchait pas vraiment ?
Christophe Oberlin : Franchement, cette affaire ne m’atteint absolument pas. J’ai la chance, après une bonne carrière, d’avoir une reconnaissance dans le domaine médical. D’avoir beaucoup d’amis, d’être apprécié et soutenu.
Silvia Cattori : Récemment, une conférence dont vous étiez l’orateur et qui devait avoir lieu au lycée de Lannion (sous-préfecture des Côtes d’Armor), a été interdite par le recteur de l’académie de Rennes. Voyez-vous un lien entre ces deux incidents ?
Christophe Oberlin : C’est bien clair. Cela fait deux fois en quelques semaines que le milieu universitaire, à un certain niveau, s’attaque à ma personne. Et, à chaque fois, sous des motifs dont on voit bien qu’ils découlent de pressions, des responsables universitaires sont sommés de réagir publiquement et sans avoir véritablement pris le temps de réfléchir.
Silvia Cattori : Votre ouvrage « Bienvenue en Palestine, destination interdite » [3] qui vient juste de paraître, tombe à pic. Vous y montrez précisément comment, par toutes sortes de tracasseries, Israël interdit l’accès à Gaza et à la Cisjordanie et maintient la population palestinienne emprisonnée sans que cela ne soulève de protestations chez nous. N’y a-t-il pas une totale symétrie dans les méthodes d’exclusion pratiquées par Israël contre les Palestiniens, et celle pratiquées en France par les organisations juives, par ces membres de la « Tribu » [4] qui, comme Bernard-Henri Lévy, font ouvertement allégeance à Israël ? Cela ne démontre-t-il pas qu’il y a un grave problème en France, que des citoyens honnêtes peuvent être frappés parce que les divers pouvoirs cèdent immanquablement aux pressions du lobby pro-israélien ?
Christophe Oberlin : Je crois qu’il y a effectivement un grave problème en France. Le CRIF aujourd’hui n’est pas représentatif ; je ne suis pas certain qu’il représente les gens qui y adhèrent ou sont des sympathisants. Souvenons-nous de Théo Klein, qui a été un des grands représentants du CRIF ; je me souviens qu’il tenait des propos profondément humanistes et fraternels vis-à-vis des Palestiniens. Il insistait sur le fait que le judaïsme ne devait pas s’appuyer sur le négatif, sur la victimisation, mais qu’il fallait au contraire insister sur les valeurs positives.
C’est finalement tout le contraire qui a été malheureusement développé par ses successeurs. On manque de grandes voix, du côté de la communauté juive, qui calmeraient un peu le CRIF. Aujourd’hui, le CRIF est devenu tout simplement un lobby. Il a le droit de s’exprimer en tant que lobby, mais n’a pas réellement de caractère représentatif. Je reçois beaucoup de soutien de la part de gens que je ne connais pas qui se déclarent être juifs et sont scandalisés par les outrances du CRIF.
[1] Richard Prasquier, a écrit : « Outrage devant le détournement des devoirs du maître au profit d’une tribune pour les obsessions du militant, outrage devant le mépris envers les principes hippocratiques d’égalité des patients, comme s’il n’y avait pas eu de blessés, de morts, d’invalides à cause des crimes du Hamas…, outrage devant cette volonté d’incruster dans le cerveau des étudiants la haine plutôt que le savoir ».
[2] Voir : « Cristophe Oberlin : Lettre Ouverte à la Ministre de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur », 18 juin 2012. http://www.silviacattori.net/articl...
[3] Bienvenue en palestine, destination interdite. Christophe Oberlin et Acacia Condes, Éditeur :ENCRE D’ORIENT, 2012 http://www.encredorient.com
[4] Terme utilisé par BHL, voir : « Bernard-Henri Lévy : " Je suis le représentant de la tribu d’Israël " », 6 juin 2012. http://www.silviacattori.net/articl...