Ce n’est pas nouveau, mais la crise syrienne s’invite encore une fois au Liban, particulièrement à Tripoli, la grande ville-port du Nord qui semble être l’épicentre des contradictions internes du pays du Cèdre, gouverné par une coalition pro-syrienne, mais confronté à une agitation anti-Bachar animée par les éternels Saad Hariri et Samir Geagea du front de l’opposition pro-occidentale. Agitation à laquelle contribue le repli dans le nord du Liban de rescapés de l’ASL et leurs proches, plusieurs vétérans de Homs étant soignés à Tripoli.
Toujours est-il que des affrontements ont eu lieu ce week-end ont opposés partisans t adversaires libanais du régimes syrien, et des sunnites à des alaouites. Les deux parties utilisaient l’armement léger « traditionnel » : kalashnikovs, RPG et grenades à main. Ce sous les yeux de l’armée libanaise, déployée en force dans la deuxième ville du pays. Le bilan était ce lundi – qui a vu de nouveaux échanges de tirs – de trois morts et d’une trentaine de civils, « presque tous civils » note 20 Minutes, même si cette précision ne fait guère sens dans un conflit opposant des militants armés. Un bilan plus récent parle d’au moins quatre personnes, dont un militaire abattu par un franc-tireur, tuées, et de 25 autres blessées.
Il n’est pas indifférent que même la presse française mainstream reconnaisse l’implication d’éléments salafistes dans ces incident : c’est notamment le cas du correspondant du quotidien gratuit 20 Minutes. Il semble d’ailleurs que ce soit l’arrestation, samedi, d’un de ces militants salafistes anti-Damas par des membres de la Sûreté générale libanaise, dont le chef, le général Abbas Ibrahim, est considéré comme proche du Hezbollah pro-syrien, qui ait mis – à nouveau – le feu aux poudres. L’activiste a été appréhendé pou participation à un groupe terroriste. On n’est pas certain du reste de sa nationalité – syrienne ou libanaise. Le jeune homme, répondant au nom de Chadi Mawalaouui, a été officiellement inculpé, avec cinq autres activistes, d’ »appartenance à un groupe terroriste » par le commissaire-juge du gouvernement. Et tous ont été renvoyés devant u juge d’instruction militaire.
Samedi soir, un sit-in de protestation organisé place al-Nour par les anti-syriens et les extrémistes sunnites – qui arboraient aussi bien les drapeaux noirs de l’Islam sunnite radical que ceux de l’opposition syrienne – a donné le départ des incidents violents, les manifestants commençant à faire usage de leurs armes : le correspondant de 20 Minutes à Beyrouth écrit que peu après que « d’autres points d’accès de la ville ont également été pris d’assaut par des sunnites radicaux ».
Selon d’autres sources, des groupes ont bloqué toutes les entrées de Tripoli à l’aide de pneus brûlés, isolant la ville du reste du pays, tandis que des dizaines d’hommes armés descendaient dans les rues, tirant en l’air et semant la terreur dans la ville. Dimanche, à 2 heures du matin, une roquette aurait touché le quartier sunnite anti-Bachar d’al-Qobbeh, et les extrémistes sunnites, plusieurs centaines bien armés, ont attaqué le quartier alaouite de Jabal Mohsen. De violents combats ont dès lors secoué plusieurs quartiers de la ville, toute la nuit de samedi à dimanche, toute la journée de dimanche, et, semble-t-il avec moins d’intensité, le lundi matin.
Dimanche, l’Armée libanaise a bloqué l’autoroute internationale de Zahiriya, alors que des unités des forces spéciales se sont déployées en force dans différents quartiers de la ville, et le Premier ministre Najib Mikati, lui-même un sunnite de Tripoli, s’est lui-même rendu sur place. Des échange de tirs nourris entre les manifestants islamistes et l’armée se sont produits lorsque les premiers ont tenté de s’approcher d’un bureau de la branche libanaise du Parti syrien national social (PSNS), une formation laïque nationaliste « grand-syrienne » qui soutient en Syrie Bachar al-Assad.
Beyrouth ne pourra pas éviter longtemps de trancher
Cette délocalisation de la guérilla au Liban est désolante mis absolument pas étonnante : Tripoli, située seulement à 25 kilomètres de la frontière syrienne, est on ne peut plus « perméable » aux secousses venues du voisin syrien.
D’autant que, comme nous l’avons dit plus haut, la deuxième ville du Liban tend à devenir une base arrière de la rébellion syrienne, avec plusieurs centaines de miliciens sunnites extrémistes prompts à voler au secours de leurs « frères » syriens. Avec aussi, bien sûr, le soutien politique et logistique dont bénéficient ces bandes de la part de la direction du Courant du Futur, la formation politique principale de l’opposition libanaise, dirigée par le libano-séoudien pro-américain Saad Hariri, en guerre ouverte sinon déclarée avec le gouvernement de Damas, et en conflit à peine plus feutré avec l’actuel gouvernement libanais de Nagib Mikati.
Celui-ci évite de trop répondre aux provocations des opposants syriens et libanais qui, à commencer par Hariri, bénéficient de l’appui des Américains, des Européens et, bien sûr, des Qataro-séoudiens, mais il s’efforce de contenir leurs activités, ayant déployé – en plein accord avec Damas – des troupes à la frontière pour gêner les infiltrations d’armes et de combattants vers la Syrie, et ayant saisi dans des bateaux plusieurs cargaisons d’armes destinées à la rébellion anti-Bachar.
Si Hariri, son clan et ses hommes de main sont en pointe dans cette double subversion, les autres composantes du 14-Mars – coalition de l’opposition libanaise – et certains notables de Tripoli adoptent des positions ambigües, qui encouragent les extrémistes à s’en prendre à l’armée.
Le président de la République Michel Souleïmane a convoqué le Conseil supérieur de la défense pour prendre des mesures susceptibles de ramener l’ordre et la sécurité dans cette ville. Et, bien sûr, l’armée y a envoyé des renforts en hommes et en matériels. Saad Hariri lui-même s’est cru obligé d’appeler ses amis ou alliés salafistes à la « retenue« , pour éviter le « chaos« . Un chaos qu’il a pourtant lui même plus que tout autre politicien libanais contribué semer les graines.
Enfin n’oublions pas que le Hezbollah et sa puissante milice surveille d’assez près les mouvements des opposants syriens et de leur amis libanais. La seule question qui se pose est de savoir jusqu’où et jusqu’à quand, le gouvernement retiendra son bras, et le Hezbollah sa milice, face à ces tentatives d’insurrection islamiste.
L’arrestation de Mawlaoui est-il le signe d’une volonté nouvelle de sévir de la part du gouvernement libanais ? On se souviendra que le chef de la diplomatie libanaise Adnane Mansour s’était clairement prononcé contre la pérennisation sur le sol libanais de camps de réfugiés syriens transformés en bases politico-militaires de l’ASL. Une chose est sûre : que la Syrie s’enrhume et c’est le Liban qui éternue…