Nous avons vu The Zone of Interest de Jonathan Glazer, et nous avons aimé. Mais pas pour les mêmes raisons que la critique officielle, qui sur ce sujet ne peut pas être autre chose qu’unanime. Sinon panpan kukul !
The Zone of Interest, c’est le shoah movie de l’année 2024, bien qu’il y en ait eu d’autres : La Plus Précieuse des marchandises, le film d’animation d’Hazanavicius, Bardejov, sur la persécution des juifs slovaques, et puis Shoshana, l’histoire de la fille du fondateur du socialisme sioniste Ber Borochov mêlée au Stern gang, les terroristes de l’Irgoun. En passant, Avraham Stern a voulu faire alliance avec les nazis contre les Anglais, qui le fumeront en 1942. On peut parler d’un post-shoah movie.
On remarque que la production de shoah movie augmente en période de génocide des Palestiniens.
Un petit tour sur les bandes-annonces avant de passer à la critique. On commence par Bardejov, qui a l’air aussi grossier que La Rafle de Rose Bosch, avec une musique qui rappelle l’arrivée du T-Rex dans Jurassic Park.
Shoshana est plus politique, on encourage à ce propos les réalisateurs à travailler un peu cette période qui a vu naître le terrorisme sioniste, et qui se poursuit encore aujourd’hui. Cela explique beaucoup de choses.
On reparlera plus bas du coming out de Michel Hazanavicius, dont la compagne a été poursuivie récemment par un requin dans la Seine.
Pour The Zone of Interest, à ne surtout pas traduire en Intérêt de la zone, comment ne pas confier la critique officielle à Télérama ? Elle ne présente aucun intérêt, mais on aime bien se moquer de la gauche culturelle avec son obsession de l’« œuvre nécessaire ». On dirait une IA tant c’est prévisible !
Le Point titre « Un électrochoc ». Ce n’est pas une bonne idée de décourager les gens qui voudraient aller voir ce film : personne n’est électrocuté sur son fauteuil pendant la séance. Il s’agit d’un gros mensonge révisionniste de la part du canard bloc-noté par BHL. Paris Match s’en sort avec un inoffensif « Impressionnant », qui permet de ne pas se mouiller. Quant au Monde, fidèle à son habitude, il nous sert « Une œuvre d’une grande puissance ». Laquelle ? Combien de watts ? Est-ce qu’on ressort du film plus puissant ?
En vérité, au-delà du contraste démago entre la famille allemande heureuse et les détenus juifs malheureux, le Glazer est un excellent moyen de réviser son allemand et de découvrir la vie d’une famille typique des années 40. Les enfants sont bien éduqués, ils sont vifs, propres, énergiques ; la mère a une importance considérable, elle essaye en permanence d’influencer son mari (elle veut garder la baraque alors que Rudolf est muté à Oranienburg, un camp un peu naze)...
En vérité, The Zone of Interest n’est pas un énième shoah movie mais bien une étude sociologique fine de l’esprit allemand : tout est juste ! Bravo à Jonathan pour avoir caché cette déclaration d’amour au peuple allemand traditionnel derrière le vernis d’un shoah movie sans violences ni persécutions. Et puis les scènes où le chien de la maison mange en douce dans les assiettes du buffet sont cultes !
Alors évidemment, aujourd’hui, avec ses dix millions d’immigrés en dix ans, l’image de l’Allemagne a un peu changé. Mais c’est un autre sujet.
Et maintenant, le bonus Hazanavicius. Interrogé par lui-même dans Le Monde sur la montée de l’antisémitisme, plutôt que sur la montée de la violence génocidaire israélienne, le réalisateur s’est livré à cœur ouvert.
Pourquoi, depuis quelque temps, moi qui suis juif entre autres choses, qui n’en ai jamais vraiment eu rien à foutre, j’ai l’impression d’être de plus en plus obligé d’être juif ? De réagir en tant que juif, de penser en tant que juif, en gros d’être juif avant tout.
Et pourquoi j’ai l’impression que de membre d’une minorité presque comme les autres, ayant eu sa part de malheurs du monde, je suis devenu membre de la caste dominante, tête de proue de l’oppression, de l’impérialisme et de l’injustice ? Comme si être juif était devenu un truc vraiment trouble, vaguement suspect, possiblement détestable. Comment j’ai pu devenir aussi méchant en aussi peu de temps ?
Qu’est-ce qui s’est passé ? Pourquoi derrière la haine des « élites » je vois trop souvent poindre la haine des « élus » ? Pourquoi j’ai le sentiment que s’est mis en place tout un lexique qui permet de dire sans dire, d’être très clair sans être explicite ?
En résumé, sans le nommer, Michel se plaint que le génocide des Palestiniens a un peu terni l’image des juifs dans le monde, et il en souffre. Il dit quelque chose d’important ensuite :
Pourquoi j’ai l’impression qu’une force sourde cherche à faire sauter la dernière digue qui imposait un interdit ? Pourquoi j’ai l’impression que lorsqu’on aura réussi à faire du génocide juif un événement comme les autres, ou un événement très exagéré, ou encore un événement trop souvent exploité par les juifs eux-mêmes pour justifier leur pouvoir, alors la haine antijuifs pourra s’épanouir en toute quiétude, dans une tranquille sérénité ?
On parlait d’exploitation cinématographique, justement, pas de haine...