Douche froide sur le plateau de BFM TV. Emmanuel Todd vient délivrer un discours qui n’est pas du tout du goût de la propagande actuelle. C’est même l’inverse. Face à celui qui décrit La Défaite de l’Occident, la féroce gardienne de l’oligarchie Apolline de Malherbe est bien à la peine pour défendre le narratif officiel.
De brillant intellectuel de gauche à « agent pro-russe » pas très Charlie, la relégation médiatique d’Emmanuel Todd
Emmanuel Todd se fait rare sur les médias français. L’historien, démographe, autrefois de tous les plateaux télés, n’y est à présent plus en odeur de sainteté. Une voix discordante au milieu des courtisans, une analyse froide au milieu des indignations dictées par l’émotion et l’idéologie progressiste totalitaire, Emmanuel Todd dérange en France.
Au point que son ouvrage précédent, au titre éloquent, La Troisième Guerre mondiale a commencé est paru au Japon, édité par un Nippon. Une sorte de pied de nez à son pays qui ne veut plus de lui, enfin qui ne peut surtout plus entendre ses analyses et encore moins ses prédictions. Pour les médias c’est un « prophète de malheur », un décliniste, évidemment considéré comme un « poutinophile » par Libération, « intellectuel pro-russe » selon Le Monde. Il n’avait pas été non plus très Charlie. Et ça c’est carton rouge. Il est bien sûr déclaré « complotiste » et à ce titre excommunié par Rudy Reichstadt dans le très sérieux site de référence Conspiracy Watch. C’est sans appel.
Alors forcément chaque nouveau livre d’Emmanuel Todd est un événement, non seulement par son contenu, mais aussi par les réactions qu’il suscite, notamment dans une presse totalement dévouée à la protection de l’oligarchie.
Pour gérer un client pareil le Système a envoyé sa meilleure élève, la championne de la défense des intérêts des puissants et du dogme mondialiste : Apolline de Malherbe. C’est donc parti pour ce Face à Face, c’est le titre de l’émission, qui promet d’être intéressant.
Et ça commence fort, l’égérie de BFM décrit un livre « dérangeant », « crépusculaire ». Celle-ci poursuit en énonçant le constat sombre dressé par l’auteur : « C’est l’Occident lui-même qui a engagé sa propre défaite. Une défaite morale et une défaite économique. » L’air grave, et le ton accusateur, la présentatrice essaie fort logiquement de faire avouer à l’hérétique son appartenance au camp du mal. Elle entame donc son exorcisme républicain afin que le démon se démasque. C’est donc parti pour le sujet qui fâche : la Russie. Loin de se démonter, Emmanuel Todd refuse le dogme officiel, à savoir des méchants Russes agresseurs et des gentils Ukrainiens agressés :
« Ce qu’il m’a semblé percevoir, c’est une Russie tout à fait stable et effectivement en position défensive sur ses frontières et un Occident qui est pris dans une trajectoire agressive un peu bizarre. Je pense que les gens n’ont pas compris le sens de l’effondrement de l’Union soviétique ».
Emmanuel Todd a en effet été le premier à « pronostiquer » la fin de l’URSS dès 1976, s’appuyant notamment sur le taux de natalité et le taux de mortalité infantile. Des taux, qui à présent, sont passés à l’Ouest. La natalité française (et occidentale en général) est en chute libre. Todd rappelle en outre que « le taux de mortalité infantile russe actuel est maintenant inférieur au taux de mortalité infantile américain ».
On touche là à la principale accusation qui est faite à Emmanuel Todd, à savoir d’être un « agent du Kremlin ». Accusation dont il ne cessera d’essayer de se défendre durant tout l’entretien, sans jamais céder sur le fond.
Sur la guerre Ukraine/Russie toujours : « Les États Unis sont tombés dans un piège en Ukraine et se retrouvent à affronter une Russie. » Apolline tente de rectifier : « piège tendu par la Russie », coupe t-elle. « Non, tendu par eux-mêmes et le nationalisme ukrainien », assène Todd.
En refusant de dénoncer ce qu’en Occident il est convenu de nommer « l’agression russe », l’intellectuel franchit encore une ligne rouge. Mais il en rajoute une couche : « On a imposé à l’Ukraine des souffrances abominables en l’entretenant dans l’illusion que l’Occident avait les moyens industriels de soutenir la guerre. » Bref, l’incompétence totale, ou le summum du cynisme.
« État zéro de la religion » et nihilisme occidental
Dénatalité, désindustrialisation, mais aussi disparition du fait religieux, Todd brosse un Occident en état de décomposition avancée.
« Le passage de la religion d’un état actif, où les gens vont aux offices religieux, croient en Dieu, etc., à un état zombie dans lequel ils ne vont plus à la messe, ils ne croient plus en Dieu, mais où subsistent des comportements et des attitudes collectives qui donnent de la cohérence aux sociétés ; puis à un état zéro, où il n’y a plus rien, qu’une angoisse qui produit le nihilisme. »
Le nihilisme, point central de son ouvrage et cause majeure de la défaite de l’Occident qui, croyant avoir triomphé de tout, finit par se suicider par le néant qu’il a lui-même créé.
« Une puissante pulsion nihiliste aux États-Unis. Une recherche de guerre, de violence d’une société qui n’a plus de dirigeants autonomes, qui a perdu sa matrice protestante. Qui ne sait plus où elle va. Qui décline et qui envenime et provoque des conflits partout dans le monde. »
La France dans tout ça ? Emmanuel Todd coupe court : « Ce qui caractérise le système français actuellement c’est une impuissance totale. La France n’existe pas. Elle est maintenant alignée sur les États-Unis. Elle est contrôlée par l’OTAN. » Voilà qui a le mérite de la clarté. Et d’enfoncer le clou pour ceux qui compteraient sur nos hommes politiques pour nous sortir de là : « La classe politique oligarchique européenne, qui aurait pu, ou qui a semblé s’émanciper, doit être surveillée de très près par la NSA américaine. »
Un discours que l’on n’a pas l’habitude d’entendre sur les télés françaises. Qui dit tout de notre situation, entre soumission et impuissance consentie, envers l’Empire américain. Plus que jamais obsédé par la conservation de sa suprématie et que le déclin et l’absence de morale rendent dangereux.
« L’une des obsessions des Américains, c’est d’empêcher, depuis le début, la coopération de l’Allemagne et de la Russie. C’est la terreur des géopoliticiens américains. »
Mais Emmanuel Todd nous réserve le meilleur pour la fin. Poursuivant sur le nihilisme, et sachant que le poisson pourrit toujours par la tête, il se lance dans une violente charge contre les élites américaines :
« La classe dirigeante américaine, les géopoliticiens, c’est une caste vide de morale dont il ne reste qu’une préférence pour l’argent et la guerre. Et une sorte de jouissance à mettre le désordre en Eurasie. Au contraire de ce que tout le monde pense. On se dit “qu’allons nous devenir quand les États-Unis ne nous protégeront plus ?” Pas du tout. On sera en paix ! La meilleure chose qui peut arriver à l’Europe, c’est la disparition des États-Unis. ».
C’est le coup de grâce.
Emmanuel Todd : "La meilleure chose qui pourrait arriver à l'Europe, c'est la disparition des États-Unis" pic.twitter.com/nmk3599a1T
— BFMTV (@BFMTV) January 11, 2024
L’intervention est déjà très remarquée et relayée à l’étranger. Et pour cause, alors que c’est un quasi paria en France, Emmanuel Todd est considéré dans le reste du monde comme le dernier grand intellectuel français. Une voix qui porte. Et qui vient de porter un coup à l’oligarchie, sans la nommer trop précisément.