Ils étaient cinq à faire partie des critiques de la monnaie unique : Maurice Allais, Milton Friedman, Amartya Sen, Paul Krugman et Joseph Stiglitz. Un papier espagnol révèle trois noms supplémentaires de prix Nobel [1] d’économie qui voient dans la sortie de l’euro la voie de salut pour Madrid.
La seule issue pour les pays d’Europe du Sud
Après le Portugal, où le livre d’un économiste qui propose de revenir à l’escudo fait un tabac, comme le rapporte Coralie Delaume, c’est en Espagne que le débat sur l’euro rebondit. Le site Expansion a ainsi publié un papier qui révèle que pas moins de 5 prix Nobel d’économie voient dans le retour de la peseta et la sortie de l’euro le moyen pour le pays d’enfin sortir de la crise économique qu’il traverse : outre Paul Krugman et Joseph Stiglitz, dont les critiques contre l’euro sont connues, s’y ajoutent James Mirrlees (1996), Christopher Pissarides (2010) et Thomas Sargent (2011).
Thomas Sargent évoque la sortie des pays « faibles » comme une issue à la crise actuelle. Christopher Pissarides affirme que « si l’Espagne veut se sauver, elle doit revenir à la peseta (…) d’un point de vue économique, ce serait ce qu’il y a de mieux pour tout le monde. Dévaluer la peseta de 20% et recalculer la dette et les actifs espagnols sur cette base. » James Mirrlees affirme que « l’Espagne a besoin de quitter l’euro, revenir à la peseta et imprimer beaucoup d’argent et l’utiliser pour les investissements publics souhaitables et pour des politiques en faveur de l’emploi ».
Expansion rapporte également les arguments plus connus de Paul Krugman, qui a écrit sur son blog que « l’Espagne serait mieux maintenant si elle n’avait jamais adopté l’euro » et qui a expliqué plusieurs fois que la sortie de la monnaie unique permettrait de lutter contre le chômage, notamment dans son dernier livre. Il rapporte enfin les propos de Joseph Stiglitz, qui a qualifié de « suicide » les politiques menées par Madrid et Athènes et souligné que l’on peut parfaitement être un membre de l’UE sans adopter la même monnaie, complétant des propos que j’avais déjà rapportés sur le blog.
Un débat légitime, mais tronqué
Il y a un peu plus de vingt ans, la majorité des économistes étaient opposés à la constitution de la monnaie unique européenne, comme l’a expliqué Paul Krugman, opposant de la première heure, dans son dernier livre. Amartya Sen, lauréat en 1998, dénonce, dans une interview sur l’Écho « l’inflexibilité des taux de change pour des pays, comme la Grèce ou l’Espagne, où la productivité est moins élevée ». Pour lui, « tôt ou tard, la question de la viabilité à long terme de la zone euro se posera à nouveau ». Il critique aussi les politiques d’austérité, qui échouent économiquement.
Dans un parallèle saisissant, il faut aussi noter que le Parlement portugais a approuvé, vendredi 7 juin, un nouveau plan d’austérité pour compenser les mesures rejetées par la Cour constitutionnelle. Au menu : passage d’une semaine de 35 à 40 heures pour les fonctionnaires pour supprimer 30 000 postes dans la fonction publique. Le taux de chômage atteint 18 % et le PIB devrait reculer de 2 % cette année… Au même moment, le vice-président portugais de la BCE, Vitor Constancio a rompu les rangs pour dénoncer l’analyse de la crise, comme le rapporte Craig Willy sur son blog.
Il souligne que la crise n’est pas le fait de dépenses excessives des États, comme le montrent l’Espagne et l’Irlande et insiste sur le rôle du secteur privé, financé par les banques privées de tous les pays européens (entendre, incluant l’Allemagne) du fait de l’intégration financière de la zone euro après la mise en place de la monnaie unique. Il souligne le rôle des règlementations mises en place à l’échelle européenne (libre-circulation des capitaux, unification des marchés, dérégulation).
Tout ceci montre que le débat sur la pertinence de la monnaie unique est plus que légitime. Une majorité des économistes semblent aujourd’hui d’accord pour souligner le caractère bancal de l’euro. Mieux encore, ils le disent de plus en plus publiquement. Dommage qu’il soit si difficile d’en débattre en France.