Q – Entrons, de suite, dans le vif du sujet, l’enquête aurait-elle pu être conduite plus vite ?
Jacques Borde – C’est la question qui est sur beaucoup de lèvres. Évidemment, du point de vue des familles des malheureuses victimes, quelque part, on ne pourra jamais se faire à l’idée que c’était bien une enquête menée à bâtons rompus. Et, extrêmement rapidement, au regard du temps judiciaire.
Soyons honnête, dans un cadre judiciaire classique, la question ne se poserait même pas. Il ne s’est, en effet, passé que cinq jours entre l’assassinat des militaires à Montauban et l’identification de Merah. Or, objectivement, avant l’attaque meurtrière visant les trois paras du 17ème RGP, jeudi en milieu de journée, personne ne pouvait deviner que le meurtre du para du 1er RTP, dimanche soir, n’était que le premier d’une série. Quant à l’école juive d’Ozar Hatorah, elle n’aurait été diaboliquement, pour Merah, qu’un objectif secondaire, tragiquement pris pour cible parce que la cible primaire (un militaire) a fait défaut !
A priori, les enquêtes de police sont méthodiques et, sauf coup de chance, prennent du temps. Ne confondons pas Hollywood et la réalité ! Évidemment, l’appel au Parquet anti-terroriste n’a eu lieu que lundi midi, après l’attaque contre l’école Ozar Hatorah. Mais, depuis Montauban, pouvait-on estimer, à coup sûr, qu’il s’agissait d’actes relevant exclusivement du terrorisme ? Et donner un coup d’accélérateur dans cette seule direction ? Après coup, c’est facile à affirmer…
Si je suis les propos de Frédéric Péchenard, actuellement à la tête de la Direction générale de la police nationale (DGPN) – qui, désolé me convainquent plus que ceux d’estimés confrères découvrant des complots à chaque pas qu’ils font – « l’enquête de la PJ démarre le dimanche 11 mars (…). Une enquête criminelle classique. Puis les 15 mars, à 14h20, trois autres paras sont visés à Montauban. Avec la même arme qu’à Toulouse. Là, on craint qu’il y ait d’autres homicides et on a mobilisé tous les moyens, 200 enquêteurs. L’enquête se concentre sur le scooter (72 engins livrés dans les concessions de la région), les armureries, les clubs de tir (80), les licenciés de tir (12.000), les détenteurs officiels de 11,43 mm (380)… Au total, on s’intéresse à 24.000 personnes »[1].
Par ailleurs, indique Frédéric Péchenard, « les premiers résultats – les adresses IP – nous parviennent pendant le week-end. Ce sont 574 adresses au total qu’il nous faut encore identifier et cribler »[2]. Toujours selon Frédéric Péchenard, ça n’est que le lundi après-midi que Mohamed Merah « devient un suspect intéressante mais ce n’est pas le seul. On a aussi un autre profil islamique qui, je vous assure, était extrêmement intéressant »[3]. Trop tard, hélas pour les victimes de l’école Ozar Hatorah, car, toujours selon Frédéric Péchenard, c’est « le lundi soir » que l’on arrive à « une short list d’une dizaine de suspect » où Mohamed Merah « est le premier de la liste parce qu’il y a cette connexion internet avec l’ordinateur de sa mère »[4]. La suite est connue.
Tant que cette chronologie ne sera pas remise en cause, désolé, je ne pense pas qu’il soit possible de faire dire aux faits autre chose que ce qu’ils nous apprennent…
Q – Doit-on vraiment faire ce lien entre ce qui s’est passé à Toulouse et les guerres conduites par l’Europe et la France ?
Jacques Borde – Hélas, oui. Vous allez, sans doute, me dire qu’Eurosceptique et gaulliste de gauche à la fois, je fais, en cette affaire, quelqu’un d’assez peu objectif. Probablement. Alors, laissons un Européen plus affirmé que moi vous convaincre.
Sur son site Bruxelles2, Nicolas Gros-Verheyde est longuement revenu sur les tueries de Toulouse. Que nous dit-il ?
Qu’« On pouvait penser naïvement que l’intervention massive en Afghanistan dont le premier objectif était d’éradiquer le terrorisme visant les pays occidentaux avait atteint ses objectifs. Il n’en est rien. Si le passage de Merah dans un centre d’instruction d’Al-Qaïda en Afghanistan et au Pakistan n’est pas confirmé en tant que tel, il aurait cependant pu lors de ses séjours se former à certaines techniques. On pourrait alors dire que la fabrique de terrorisme que l’on visait en 2001 n’est pas encore disloquée. Et qu’il faudra désormais plus qu’attentif. Car Merah n’a pas été, en effet, « formé » » dans les années 1990 ni au début des années 2000 mais bien dans les années 2010, quand l’opération militaire en Afghanistan était normalement au plus fort de sa stratégie ».
En fait poursuit Nicolas Gros-Verheyde ,« Cela oblige, à mon sens, plus que jamais à poser la question de ce que l’on fait en Afghanistan, pour quel objectif, avec quels moyens ? Il ne s’agit pas de dire seulement qu’on se retire d’Afghanistan, mais ce qu’on l’y fait après. Pas comment on va stabiliser le pays ou l’amener vers de méthodes plus modernes de gouvernance. Mais comment on va s’assurer que le risque d’exportation terroriste qu’il semble toujours receler va être contré. Ce qui semble sûr en tout cas, c’est que la Force internationale de sécurité (FIAS) n’a pas tout à fait réussi dans cet aspect de sa mission ».
Sur ce point précis, qu’ajouter de plus ?
Q – Que dites-vous à ceux qui remettent en cause la thèse officielle, estimant que Mohamed Merah ne correspondrait pas au portait du tueur dressé par certains témoins ?
Jacques Borde – Il faudrait savoir ce que l’on veut ! Si, d’aucuns estiment que Merah n’est pas le responsable de ces tueries, qu’ils cessent alors de critiquer ce qu’ils appellent la lenteur de l’enquête et le fait qu’il n’ait pas été logé assez vite, pour reprendre le jargon policier !
Pour le reste, effectivement, Merah offre des différences avec certaines descriptions. C’est malheureusement le cas des témoignages en général et pose le problème de leur fiabilité intrinsèque. C’est, aussi, pour ça qu’on recherche des preuves matérielles dans les enquêtes policières.
Notez, par ailleurs, que si vous portez un gilet-pare-éclats sou un blouson de moto renforcé (aux coudes et aux épaules) cela va modifier votre corpulence !
Maintenant – et ça n’est pas moi qui le dit, mais le patron de la DCRI – il faut bien admettre que Mohamed Merah avait un profil difficile à cerner. Pour reprendre Bernard Squarcini, Merah « c’est un parcours atypique, jamais vu… Il ne ressemble à aucun schéma existant jusque-là »[5]. Merah aurait, notamment, affirmé, rappelle Bernard Squarcini, ne pas être « passé par les camps d’entraînement collectifs, mais aurait été formé sur mesure, une sorte de cours particuliers ès terrorisme ». Or, note Squarcini, une telle « formation sur mesure (…) ne correspond à rien de connu »[6], y compris des SR pakistanais.
Q – JSSNews vient de publier un papier émanant d’un agent de la DCRI, qu’en penser ?
Jacques Borde – Là aussi, il s’agit d’un témoignage, il convient de le prendre pour ce qu’il est. Le dénommé Sam donne un avis très personnel, mais venant d’un opératif – parlons français, c’est le FBI et le CIA qui ont des agents – de la maison DCRI, il ne saurait être rejeté. C’est une pièce, iconoclaste certes, mais une pièce à verser, comme d’autres, au débat.
Q – Le témoignage est très critique ?
Jacques Borde – Tant mieux. Cela apporte du gain à moudre au débat ! Effectivement, Sam se montre très amer contre sa maison et sa hiérarchie. Mais ce qu’il dénonce est finalement le côté pesant de l’administration française, dont, in fine, la DCRI n’est qu’un des rouages et la perfection n’est pas de ce monde.
Maintenant, comme l’a souligné Frédéric Péchenard, rappelons que la DCRI affiche un taux de réussite qui doit rendre jaloux les autres SR intérieurs occidentaux, car « grâce à l’action des SR, aucun acte terroriste islamiste n’avait été commis en France depuis 1996, alors que nous sommes une cible prioritaires et que certains de nos alliés ont été durement frappés »[7].
Je note, par ailleurs, que Sam nous ouvre des pistes intéressantes. Notamment lorsqu’il nous dit que « nous nous trouvons face à un cas d’école. Le fonctionnaire le traitant pensait avoir en lui un informateur fiable. Ce n’était pas le cas, Mohamed Merah a su habilement abuser de cette confiance pour mener à bien la mission terroriste à laquelle il était formé depuis plus de deux ans ».
On peut, effectivement, se demander si celui – celle en fait, le fonctionnaire de la DCRI en question était une femme – qui traitait Merah, n’a pas été dépassé par sa tâche. Mais là encore, c’est une question pas une certitude. Mais guère plus, Merah, comme je vous l’ai dit, avait un profil atypique difficile à cerner. Et rien ne nous dit que, dès cette époque, Mohamed Merah était, déjà, aussi déterminé. Pour reprendre, Frédéric Péchenard, « Il y aune différence entre les gens qui sont connus, les gens qui sont suivis et les gens qui sont interpellés. Pour nous Merah est un délinquant de droit commun avec une quinzaine de condamnations. Il attire l’attention de la DCRI fin 2008 parce qu’il apparaît dans l’environnement d’un activiste djihâdiste qui sera arrêté plus tard. C’est une donnée qu’on engrange ».
Q – Sam s’en prend également aux pétromonarchies arabes, cela doit vous satisfaire ?
Jacques Borde – Pour partie. Je trouve Sam un peu confus sur ce thème. Il met dans le même sac les satrapies pétrolières[8] de la Péninsule arabique et l’Iran, qui est une république, et qui, en Syrie, soutient un gouvernement en lutte avec les terroristes-liges de ces monarchies elles-mêmes alliées de l’Occident. Or, l’Iran chi’ite est, depuis toujours, un des principales cibles de ce terrorisme takfiriste qui vise, maintenant, le Liban pluraliste et multiconfessionnel. Mais, sur la fin, Sam revient sur des choses que je trouve essentielles.
Q – Lesquelles ?
Jacques Borde – Sa sévérité avec l’hypermagistrature française, notamment. Et sa manière de vouloir se tenir, elle-même au-dessus des lois. En effet, que nous dit Sam ? Que « les juges arrêtent de trouver des excuses aux individus que nous lui déferons, quand elle ne nous refuse pas tout simplement les moyens d´agir, quitte a ne pas assumer les morts qui en découlent (…). Un juge qui tue par procuration en libérant un criminel n´est jamais poursuivi, un fonctionnaire de police qui fait usage de son arme est systématiquement traité comme un assassin ». Tout cela me semble frappé au coin du bon sens !
J’aime aussi son approche – bien qu’il s’éloigne fortement du sujet – de ce qu’il dénonce comme la nouvelle kollaboration, même si je corrigerai son propos
Q – Dans quel sens ?
Jacques Borde – Pour Sam, « Tout comme il y avait des collaborateurs des nazis il y a désormais les collabos des islamistes. Dans les années 40 ils s’appelaient Je suis Partout ou Le Matin, en 2012 ils s’appellent Le Monde ou Libération (…) ».
Or, désolé, même si je pense qu’il est éminemment sain de rappeler aux Français que la collaboration avec l’hitlérisme fut, d’abord, portée par une chambre de gauche qui vota les pleins pouvoirs à Pétain, une officialité communiste qui demanda à l’occupant le droit de faire reparaître sa presse, des leaders kollabos au passé de gauche avéré : Doriot (PCF), Déat (SFIO), etc. ; j’apporterai deux correctifs à la diatribe de Sam :
1° Le qualificatif « islamiste » me semble abusif. Il faut être clair sur les termes, ceux que nous combattons sont des takfiristes. Et, comme le souligne Sam, « les Français de culture musulmane sont les premières victimes de la bouillie politiquement correcte qui est servie à longueur de journaux télévisés, dans la presse et par nos dirigeants politiques ».
2° Mais cette « bouillie » ne saurait être connotée exclusivement de gauche. La droite aussi contient dans ses rangs une lie kollaboratrice et des Je Suis Partout. Ils sont les fourriers inconditionnels de ce djihâdisme de marché dont leur maître, la puissance unipolaire nord-américaine, veut faire l’interlocuteur exclusif de l’Occident au Levant et en Orient. Ce que vous appelez le Proche et le Moyen-Orient.
Q – Pourquoi, toujours, cette différence entre, islamisme, salafisme et takfifrisme ?
Jacques Borde – Parce qu’elle est fondamentale. En soi, le salafisme n’a rien de critiquable. C’est un mouvement de retour (au sens intellectuel et introspectif du terme) à l’Islam des origines, fondé sur le Coran et la Sunna. Salafisme, As-Salafiyya, provient du mot salaf, « prédécesseur » ou « ancêtre », qui désigne les compagnons du prophète[9]. Les temps des califes rachidoun (bien dirigés), le temps de l’unité, par rapport à la fitna (la déchirure et la division entre les musulmans).
Il s’agit avant tout, du moins à l’origine, d’un Islam réformiste. Hassan al-Bannâ [10] – dont on ne cesse de reprocher à Tariq Ramadan qu’il ait été son grand-père, ce à quoi Tariq Ramadan ne peut rien – fut aussi, je vous l’ai déjà dit, l’un des créateurs du Groupe pour le Rapprochement entre les Écoles Juridiques Islamiques du Caire. Et, quitte à me répéter, Hassan al-Bannâ fut avant tout un homme de dialogue, qui, avec l’Ayatollah al-Chirazi, avait convenu d’effacer le différend entre chi’ites et sunnites. Les deux hommes seraient probablement parvenus à ce noble dessein si Hassan al-Bannâ, pourchassé par les sicaires du « roi » (sic) Farouk, homme-lige des Britanniques, n’avait pas été assassiné. Sur ordre de qui ? De Londres, à l’évidence !
On ne cesse de nous présenter, faussement, les takfiristes comme des salafistes. Que ne fait-on, comme Charles Saint-Prot, de nous parler davantage d’hommes pieux et patriotes comme Mohamed bin-Abdelkrim el-Khattabi, le grand Résistant marocain du Rif ? Qui « défendait les idées réformistes de la Salafiyya qui l’avait séduit lorsqu’il était étudiant à l’Université de Qaraouiyine » et qui faisait qu’« il était donc favorable à un État islamique moderne et tolérant appliquant la chari’a, ce qui était précisément le cas de l’Empire chérifien »[11]. La majorité des Salafi sont, si on doit se référer à une terminologie chrétienne, plus quiétistes que djihâdistes…
Q – Et les Takfiristes dans tout cela…
Jacques Borde – Eux sont l’ennemi, l’hostis ! Les Takfiri, sont des extrémistes religieux adeptes d’une idéologie violente et sectaire. Le terme takfir signifie littéralement excommunication. Les Takfiri considèrent les musulmans ne partageant pas leur point de vue comme étant des apostats, relevant de la mécréance (kufr), et donc des cibles légitimes de leur vindicte. Et, bien évidemment, ces excommunicateurs prônent – par l’entremise de leurs télécoranistes préférés, sur les chaînes TV fort obligeamment relayées par les réseaux satellitaires de l’Union européenne – l’élimination de tous les non-musulmans. Pour faire simple, à part eux, tout est à jeter, ou plutôt à égorger !…
Beaucoup d’historiens voient en eux les équivalents modernes des Khâridjites (étymologiquement, ceux qui sont sortis), ce mouvement sectaire, qui au VIIe siècle, lança la guerre contre le 4ème calife (656-661) `Abū al-Hassan Ali ibn-Abi Talib. Ceux-ci furent mis en déroute (bataille de Nahrawân, 658), mais finirent quand-même par tuer Ali. Mais, je trouve que c’est là faire un grand honneur aux Takfiri que de les comparer aux Khâridjites.
En fait, quitte à se lancer dans le comparatisme, il serait plus juste de rattacher les takfiristes aux Azraqites. Mouvement insurrectionnel, initié par Nâfi’b al-Azraq, qui éclata en 684 à Bassorah, avant de s’étendre au sud de l’Irak et en Perse.
Les Azraqites, comme nos Takfiri d’aujourd’hui, allaient fort loin dans l’intransigeance et le dogmatisme. Pour eux, étaient considérés comme des irrécupérables, donc exterminables à merci, ceux qui s’abstenaient de lever leur étendard. Un rigorisme qui ne laissait aucune place à l’opportunisme, à l’hypocrisie ou à la neutralité. La pratique de la dissimulation légale, la taqiya, des chi’ites, leur était totalement interdite. Mais surtout les Azraqites préconisaient et appliquaient une véritable forme de terrorisme.
Pour cela, les Azraqites utilisaient deux pratiques que ne connaissaient pas les sunnites : l’imtihân et l’isti’râd.
1° L’imtihân ou examen probatoire consistait à exiger de tout Azraqites néophyte, comme gage de sa sincérité, d’égorger un prisonnier.
2° L’isti’râd, ou meurtre religieux, qui autorisait la mise à mort des hommes mais aussi des femmes et des enfants, fussent-ils impubères. Les Azraqites considéraient le territoire occupé par les autres musulmans comme un territoire de mécréanace, ou dâr al-kufr, où il était licite de s’attaquer aux personnes et aux biens.
Maintenant, pour en revenir à Mohamed Merah, il convient de préciser que son profil, avant son passage à l’acte, était davantage celui d’un tabligh[12] que d’un djihâdiste ou d’un takfiriste. Donc pas franchement alarmant et, surtout, pas illégal. En général, les Wahhabi, et encore plus les Takfiri, les accusent de prêcher des croyances erronées qui n’appartiennent pas à l’Islam. Théoriquement ils n’appartiennent pas au même monde.
Q – Sinon, qu’a-t-on appris de récent à propos des frères Merah ?
Jacques Borde – Que les SR militaires – plus précisément la Direction de la sécurité & de la protection de la défense (DPSD), connaissait Mohamed Merah. Et, aurait transmis les données à son sujet à ses cousins[13] de la DCRI.
Q – Certaines sources font état du séjour d’Abdelkader Merah au Caire, cela n’a pas inquiété ?
Jacques Borde – Apparemment pas. Mais si le frère (et la sœur) de Mohamed Merah, selon un policier de la DCRI, auraient bien séjourné au Caire dans une école coranique liée aux réseaux takfiristes, je vous rappelle que, depuis peu, l’Ikhwân al-Muslimîn, est supposée être notre nouvel ami de trente ans, en Égypte. Printemps du Caire oblige !
Q – Que pensez des critiques de l’ancien préfet Prouteau ?
Jacques Borde – Prouteau est l’ancien patron du GIGN. Il a donc une expertise, avérée quoiqu’ancienne, dans le domaine des neutralisations de forcenés et d’hommes armés. Je retiendrai donc que deux de ses critiques.
1° Celle où il nous dit : « Comment se fait-il que la meilleure unité de la police ne réussisse pas à arrêter un homme tout seul ? Il fallait le bourrer de gaz lacrymogène à très haute dose (« incapaciteur » respiratoire). Il n’aurait pas tenu cinq minutes. Au lieu de ça, ils ont balancé des grenades à tour de bras. Résultat : ça a mis le forcené dans un état psychologique qui l’a incité à continuer sa « guerre ». D’autant qu’il avait prévenu qu’il irait jusqu’au bout, qu’il finirait avec les armes ».
2° Celle d’une souricière à tendre à Mohamed Merah. « On aurait pu lui tendre une souricière. Attendre qu’il sorte et le coincer. Cela peut paraître présomptueux mais, en soixante-quatre opérations menées par le GIGN sous mon commandement, il n’y a pas eu un mort ».
Mais, là, il semblerait que les hommes du Raid[14] aient été repérés à leur arrivée ! Et, à partir du moment où le patron du Raid, le contrôleur général Amaury de Hauteclocque, s’est vu confier la mission de neutraliser le tueur de Toulouse, c’est lui qui a dirigé l’assaut et non Prouteau ou qui ce soit d’autre ! Sur l’usage des gaz, Hauteclocque, seul juge des moyens à mettre en œuvre, a estimé que comme « On avait fait exploser les fenêtres pour éclairer l’intérieur de l’appartement et voir ce qu’il s’y passait. Avec toutes les voies d’aération qu’il y avait, les gaz auraient été extrêmement inefficaces. Et aussi gênant pour lui que pour nous ».
Q – Pour finir, pensez-vous qu’il y a eu instrumentalisation politique ?
Jacques Borde – Bien évidemment. Mais il y a – toujours – une part d’instrumentalisation politique dans ce genre d’affaire ! Vous voulez des exemples ? Rappelons-nous :
- L’Affaire des Irlandais de Vincennes (1982), accusés à tort, Mitterrand regnante, de la tuerie de la Rue des Rosiers.
- L’Affaire du Rainbow Warrior (1985), avec un certain Laurent Fabius à Matignon.
- L’Affaire d’Ouvéa (1988), en pleine cohabitation Mitterrand-Chirac.
- L’Affaire du pasteur Doucé (1990), pour n’en citer que quelques-unes.
- Et, last but not least[15], l’Affaire Colonna-Erignac (1998), un certain Sarkozy Nicolas est à l’Intérieur, place Beauvau. Là, oui, on peut dire que les enquêteurs ont pris tout leur temps. Et pour quels résultats ?…
Maintenant, si je vous voulais finir sur le ton de la provocation, je vous dirai bien que que ce qui est à marquer d’une pierre blanche (louche, diraient des adeptes du complot) dans cette affaire Merah est que – contrairement à ce que veulent nous faire croire certains – elle a été résolue en si peu de temps. Cinq jours, seulement après l’assassinat des militaires à Montauban…
[1-7] Le Journal du Dimanche (25 mars 2012).
[8] Qui sont tout sauf monolithiques dans ces domaines, comme dans d’autres. Le Qatar et les Émirats arabes unis ayant des approches sensiblement différentes sur les questions du terrorisme et du Levant.
[9] Dont Abu Bakr as-Siddiq, `Umar ibn-al-Khattab, `Uthman bin-Affan, `Ali ibn-Abi Tâlib, Talhah ibn-Ubaydullah, Zubayr ibn-al-Awwam, Abd ar-Rahman ibn-Awf, Sa`d ibn-Abi Waqqas, Abu Ubayda ibn-al-Jarrah, Sa`îd ibn-Zayd, communément appelés Al-Ashara Mubashara (les dix compagnons promis au paradis) par le prophète de l’Islam.
[10] Le Fondateur du Djam’iyyat al-Ikhwân al-Muslimîn, ou Association de la Fraternité des musulmans, incorrectement traduit par Frères musulmans.
[11] Mohammed V, ou la monarchie populaire, p.70, Charles Saint-Prot, éditions du Rocher, ISBN 978-2-268-07269-2.
[12] Pour faire simple, un prosélyte de l’Islam.
[13] Collègues dans le jargon des SR.
[14] Raid pour Recherche Assistance Intervention Dissuasion.
[15] Le dernier, mais non le moindre, dans la langue de Diderot.