Le putsch tranquille de l’establishment suédois, et l’étonnante intuition de Michel Houellebecq.
La nouvelle n’a pas fait la « une » des médias, et c’est pourtant un des événements les plus inquiétants de ce début de siècle. Le dernier masque de la démocratie représentative, dans sa version postmoderne et corrompue, vient en effet de tomber.
Cela ne surprendra pas les libéraux, qui savent à quel point l’étatisme électif peut se rapprocher à pas de loup des « vraies » dictatures, et de quoi il est capable lorsqu’il se sent menacé de perdre ses prébendes. On le voit déjà montrer les crocs, à grand renfort d’HADOPI, LPM et autres mesures « antiterroristes ». Mais en Suède il vient de mordre pour de bon, et saigner peut-être à mort une démocratie déjà bien abîmée par le très politiquement correct « modèle suédois ».
Les faits sont simples dans leur crudité cynique. Les dernières élections ont vu surgir un parti disons atypique, le mot « populiste » étant, en Suède comme ailleurs, un mot dépourvu de sens (tous les partis courtisent le peuple !). Avec ses 12 %, le SD ne pouvait qu’être un parti d’opposition, mais lorsqu’un autre s’est joint à lui pour rejeter le budget, le gouvernement a été mis en minorité, et son budget invalidé : situation classique de « crise gouvernementale ». Dans toute démocratie, cela entraîne la démission du gouvernement, et chez nous ce serait un des cas où la dissolution s’imposerait. C’est si évident que dans un premier temps, le chef du gouvernement suédois, Stefan Löfven [photo ci-dessus], a décidé, et annoncé pour le 22 mars 2015, la tenue de nouvelles élections.
Jusqu’ici tout va bien, me direz-vous, le peuple va trancher.
Mais voilà : les sondages se sont mis à dessiner une forte hausse du SD, l’amenant à des niveaux tels que ni l’alliance socialistes-verts, ni le centre-droit, ne puissent espérer gouverner. Craignant de perdre, avec leurs dernières plumes, les places qu’ils occupaient chacun leur tour dans une aimable alternance, ces partis ont décidé de se répartir les postes non plus alternativement mais simultanément, et pour toujours. En tout cas jusqu’en 2022, première date de révision de leur accord.
Le coup d’État
Stefan Löfven vient donc de revenir sur sa décision : les élections prévues pour 2015 n’auront pas lieu, et le résultat de celles de 2019 est d’avance neutralisé puisque l’entente des sortants, ou plutôt de ceux qui ne veulent pas sortir, est organisée jusqu’en 2022. La Suède aura donc la « chance » d’être la première démocratie du monde à connaître la composition de son gouvernement avant les élections, et à savoir qu’il restera en place indépendamment de leur résultat. C’est sûr que ça renouvelle le concept de démocratie, tellement même qu’il faudrait trouver un nouveau nom.
Mais ce nom existe déjà : comment nomme-t-on un événement où les élections annoncées sont brutalement reportées, le pouvoir annonçant que de toute façon il restera en fonction quel qu’en soit le résultat ? Bien sûr, cela n’a pas été proclamé sur fond d’hymne national par un colonel dont la garde prétorienne vient de s’emparer de la télévision : la Suède n’est pas une république bananière. C’est du moins ce que les naïfs croyaient jusqu’ici. Car si la Junte est habillée en civil, et que le parlement fait partie de la farce, c’est quand-même, très exactement, ce qu’on nomme un coup d’État.