C’est avec une grande admiration que toute une sphère politique italienne regarde la progression de Marine Le Pen, que ce soit le résultat encourageant des présidentielles de 2012, la victoire à Brignoles, ou bien encore l’engouement populaire reflété à travers divers sondages nationaux.
Les élections européennes s’approchent à grand pas et qui mieux que le Front national peut exprimer son désaccord dans le Temple de Bruxelles contre cette Union ? En Occident, le vent est en train de tourner. D’une part, il y a la volonté d’aller au-delà de la stérile alternance gauche-droite ; d’autre part, il y a un contraste effarant entre la politique ultra-libérale de l’Union européenne et les conditions sociales des citoyens. En effet, il ne relève pas du hasard que l’ascension électorale du Mouvement 5 étoiles en Italie se dirige dans la même direction, dans la mesure où ces organisations et mouvements politiques se jettent au cœur des failles du système, provoquées par les contradictions du capitalisme lui-même.
Le Front national cherche des alliés sur le continent, puisque pour former un groupe parlementaire au Parlement européen, il faut au minimum vingt-cinq députés européens d’au moins sept pays différents. Il est donc nécessaire de réunir sous un seul et même drapeau, bien qu’en gardant chacun sa propre identité, les différents leaders qui luttent contre cette Europe. Pas contre l’Europe en tant que telle, que ce soit clair, mais bien contre cette Europe. Chaque mouvement ou parti doté de voix devient utile. Qui peut donc être l’interlocuteur de Marine Le Pen en Italie ?
Ces derniers mois, quelques représentants du centre-droit italien (de la Ligue du Nord aux Frères d’Italie en passant par Forza Italia et divers groupuscules minoritaires) ont tenté d’apprivoiser le phénomène « Le Pen » et, bien à leur habitude, de se l’accaparer. Berlusconi sortira de la scène politique, il y passera certes encore un peu de temps mais finira par disparaître. Bien évidemment pas grâce à la magistrature ou à la gauche, qui en réalité n’a cessé de le maintenir en vie en faisant de l’anti-Berlusconi son cheval de bataille. Ses démissions ont été provoquées, « le coup d’État en douceur » réussi par Mario Monti, émanation de l’oligarchie (de Goldman Sachs aux pouvoirs européistes). De fait, le centre-droit est sans idées, sans véritable leader charismatique et sans grandes prospectives pour l’avenir. Il y a ceux qui, pour changer de cap dans cette phase d’immobilisme, ont regardé en direction de la France, celle vue par Marine Le Pen. Il y a Matteo Salvini, vice-président de la Ligue du Nord, il y a Francesco Storace, secrétaire de « La Droite », il y a Gianni Alemanno, leader de l’association « D’abord l’Italie » et ex-maire de Rome, et enfin il y a Giorgia Meloni de « Frères d’Italie ».
Tous ces partis, même unis, ne dépasseraient pas les 12 % si nous allions voter demain. Mais il y a un facteur d’autant plus important : toutes ces organisations n’ont aucunement la même crédibilité que le Front national, notamment en raison du fait que le parti français n’ait jamais vanté les partis traditionnels, participé à quelconque majorité gouvernementale ni même joui du soutien de l’appareil médiatique, contrairement aux personnalités citées plus haut. Pendant des décennies ces personnages ont eu les effectifs nécessaires au Parlement pour renverser le pouvoir de Bruxelles, mais ils ont surtout eu les moyens de communication nécessaires (de Mediaset aux différentes unes de journaux, en passant par les maisons éditrices aux mains de la famille Berlusconi) pour informer de la dérive ultra-libérale de la Banque centrale européenne et préparer l’opinion publique à une éventuelle sortie de l’Union.
D’un autre côté, il y a le Mouvement 5 étoiles de Beppe Grillo et Gianroberto Casaleggio (personnage énigmatique dont il faudrait traiter à part), fort de ses résultats obtenus lors des élections de février (25,55 % des voix). Malgré de nombreuses limites, il s’apparente à une alternative transversale, courageuse et avant-gardiste, qui a réussi en seulement trois années à forcer l’admiration d’intellectuels comme Massimo Fini, Dario Fo, Giulietto Chiesa, Serge Latouche, de blogueurs comme Claudio Messora, d’économistes comme Alberto Bagnai, Loretta Napoleoni, le professeur Rinaldi ou bien encore Claudio Borghi, de juristes comme Lidia Undiemi, de journalistes comme Marco Travaglio pour ne citer qu’eux. Toutes ces différentes personnalités que l’on pourrait identifier en France à d’autres, comme l’essayiste Alain Soral, le professeur Pierre Hillard, le journaliste Thierry Meyssan ou bien encore le chercheur Aymeric Chauprade.
Le Mouvement 5 étoiles est surtout parvenu à réunir étudiants et retraités, citoyens de droite et de gauche, ouvriers et petits entrepreneurs. Un modèle politique révolutionnaire d’un caractère le plus démocratique qu’il soit, qui est sorti des barrières idéologiques en refusant le langage imposé par le pouvoir (droite/gauche). C’est un mouvement qui, en quelques mois, a réaffirmé l’économie réelle sur la finance apatride, le citoyen sur le consommateur, la lire sur la monnaie unique, le travail sur le capital, l’identité communautaire sur l’hyper-individualisme, l’Italie sur l’Europe, la paix sur l’ingérence impériale américaine, les valeurs pré-politiques (honnêteté, humilité, honneur, dignité) sur les valeurs politiques (corruption, compromis, clientélisme, favoritisme), la nationalisation des secteurs clés du pays sur le libéralisme, le secteur public sur le privé.
« Portez votre voix haut et fort sinon l’Italie sera perdue. Vous ne pouvez pas croire que, avec l’aide d’une SARL et avec une poignée d’hommes au Parlement, je puisse combattre tout seul la partitocratie, la maçonnerie, le système bancaire, la BCE, le crime organisé, tous les médias. Sans vous, ce sont eux qui vaincront », avait écrit Beppe Grillo sur son blog quelques semaines après les élections. Le Mouvement 5 étoiles est seul contre tous, tout comme le Front National en France.
Récemment interviewée par la 7 (émission télé italienne), Marine Le Pen n’a pas tari d’éloges sur Beppe Grillo : « En Italie, il n’y avait pas un seul parti critique sur la question européenne, Grillo a comblé ce manque. Je suis d’accord avec lui sur la nationalisation des banques et sur le referendum pour la sortie de l’euro, je l’ai moi-même proposé. » Des rapports directs avec lui, non (« s’il souhaite me rencontrer , je suis ici »), mais « nos équipes sont en contact. La personne en charge des questions européennes m’a dit qu’elle attendait un appel téléphonique d’un des responsables du Mouvement 5 étoiles. D’ailleurs, pourquoi attendre ? Une responsabilité historique nous attend. Les forces eurosceptiques doivent se rencontrer. » Casaleggio a, par la suite, démenti sur le blog (« Aucun des collaborateurs de Beppe Grillo n’a eu des contacts avec Marine Le Pen, ni même souhaité en avoir »), peut-être pour ne pas dévoiler les cartes avant la présentation des listes électorales ou bien parce qu’il n’y a absolument aucune intention de créer le moindre contact en vue des élections de mai 2014.
Bien que le Front national ait pour symbole une flamme tricolore – reprise par le Mouvement social italien –, Marine Le Pen ne doit pas se tromper d’interlocuteur en Italie (éviter plus exactement le centre-droit italien dans son ensemble), et doit créer un regroupement anti-européiste qui rassemble toutes les entités aspirant à la souveraineté. Avec par exemple l’UKIP de Nigel Farage, l’Alternative für Deutschland (AfD) allemand et le Mouvement 5 étoiles, le concept de souveraineté nationale pourrait être mis au cœur du débat, aussi bien du point de vue économique que politique ; les prémices d’un dialogue avec la communauté musulmane d’Europe sur de nouvelles bases pourraient être lancées ; les intérêts des ouvriers, tout comme ceux des agriculteurs, des éleveurs et des petits entrepreneurs pourraient être défendus. On pourrait également s’opposer aux guerres atlantistes et aux ingérences américaines dans la politique intérieure des nations, voire même se tourner en direction de la Russie de Poutine en vue d’un monde multipolaire.
Sebastiano Caputo pour Égalité & Réconciliation
Sebastiano Caputo est fondateur et directeur du quotidien en ligne L’Intellettuale Dissidente. Il a collaboré pendant deux ans avec le quotidien de gauche national Rinascita et écrit actuellement pour La Voce del Ribelle, dont le directeur politique est Massimo Fini. Le 5 décembre prochain, il sortira son premier essai politique, Le Pouvoir. Le monde moderne et ses contradictions (Historica Edizioni, 180 pages), préfacé par Carlo Sibilia (député du Mouvement 5 étoiles) et dont l’épilogue est réalisé par Diego Fusaro (essayiste, professeur, philosophe).
Revoir l’analyse d’Alain Soral sur la montée de Beppe Grillo (extrait de l’entretien de mars-avril 2013) :