Gilles-William Goldnadel, avocat très engagé à droite, a été élu triomphalement au Crif, au grand dam des personnalités de gauche de la communauté juive. Enfoncé dans son fauteuil, les mains croisées devant lui, Me Gilles-William Goldnadel savoure sa victoire. Voici donc le "prophète du pire" selon les personnalités de gauche de la communauté juive : de tous les candidats au comité directeur du Crif, l’avocat a été le mieux élu en décembre dernier, devenant un des hommes forts de l’instance politique des juifs de France. Après l’élection à la vice-présidence il y a deux ans de Meyer Habib, "meilleur ami" officiel de Benyamin Nétanyahou en France, l’ascension de Goldnadel marque en tout cas une étape dans l’histoire du Conseil représentatif des institutions juives de France, jusqu’ici plutôt modéré. La marque d’une droitisation de l’instance ? L’avocat récuse le terme. "Je parlerais plutôt de libération intellectuelle", sourit celui qui s’est senti poussé "par l’urgence et le péril" qu’il ressent au sein de la communauté.
Le pénaliste, âgé de 56 ans et spécialisé dans la traque de l’antisémitisme, bénéficie d’une certaine reconnaissance, du moins médiatique. N’a-t-il pas fait condamner en mars 2006 l ’humoriste Dieudonné pour incitation à la haine raciale et diffamation à l’égard des juifs ? Moins glorieusement, il a également assuré la défense d’Anne Kling, responsable du parti régionaliste et identitaire Alsace d’abord ainsi que celle de l’essayiste italienne Oriana Fallaci, qui avait notamment écrit dans La Rage et l’Orgueil (Plon, 2002) : "Il y a quelque chose, dans les hommes arabes, qui dégoûte les femmes de bon goût." Goldnadel, qui revendique une ascendance de gauche, aime tutoyer les limites, jusqu’à approcher par le passé Jean-Marie Le Pen ou l’écrivain Alain Soral et dialoguer avec eux.
Depuis 2002, la bascule vers Nicolas Sarkozy
Pour l’aile gauche de la communauté, cette arrivée tonitruante a représenté une véritable "claque", reconnaît l’avocat Patrick Klugman, élu au Crif, conseiller PS de Paris, un proche de Delanoë. Après les élections du 13 décembre, il s’est retrouvé avec quelques proches dont son successeur à la présidence de l’Union des étudiants juifs de France, Raphaël Haddad, pour un café au goût très amer.
Dépités, les deux hommes ont compté leurs pertes. Non seulement leur ennemi, Goldnadel a remporté le plus de voix, mais les principales personnalités de gauche comme Michel Zaoui et Haddad lui-même ont été battus. Klugman, et Gérard Unger, autre figure de la gauche juive et ami de Laurent Fabius, ont eux été assez mal élus ; Unger, pourtant un historique du Crif, étant même débarqué du bureau exécutif. Une purge, ou la logique de l’évolution communautaire. Depuis 2002, on a constaté la bascule vers Nicolas Sarkozy d’une communauté longtemps mitterrandienne ou socialisante. Une nouvelle réalité que subissent les juifs de gauche. "J’ai toujours trouvé que le Crif était un endroit délicieux, où tout le monde avait sa place, soupire Klugman. Ce pluralisme est menacé aujourd’hui. Par exemple, les juifs qui ont un rapport de distance avec Israël et qui ne vont pas non plus à la synagogue ne sont plus représentés."
Selon le trentenaire, on assiste au "post-trauma" des années 2000, quand la deuxième Intifada a coïncidé avec un regain d’antisémitisme, parfois violent, dans la société française. "Les juifs se représentent de plus en plus comme une citadelle assiégée, expose-t-il. D’où ce repli. Des gens qui étaient vécus comme sulfureux, de droite un peu dure, sont maintenant des personnes centrales, incarnant la pensée mainstream de la communauté juive. Les humanistes de gauche sont devenus des conservateurs de droite ! La lutte contre l’antisémitisme ne peut pourtant pas être le vecteur unique de notre relation à autrui. " Goldnadel, lui, jubile paisiblement : "Dans le temps, mes idées défrisaient, aujourd’hui, je suis d’une banalité affligeante dans la communauté."
User de toute "son influence"
Richard Prasquier, l’actuel président du Crif, veut déminer le procès en droitisation : "Ces élections sont en réalité le résultat de mécanismes très complexes. N’oubliez pas que tous ces gens se connaissent depuis des années, qu’ils ont de longues trajectoires communes." Tout en reconnaissant que "la façon dont le conflit israélo-palestinien s’est déroulé et la manière dont il a été rapporté en France a entraîné des mouvements de sensibilité à l’intérieur de la communauté", Prasquier se présente comme "le garant de la pluralité des opinions au Crif ". Si Gilles-William Goldnadel n’envisage pas pour le moment de se présenter à la "présidentielle" du Crif, fin mai, et devenir ainsi la voix des juifs de France, celui qui fut l’invité personnel de Nicolas Sarkozy lors du voyage de ce dernier en Israël en juin 2008 annonce tout de même vouloir user de toute "son influence".