Voltaire est à la mode depuis l’affaire Charlie Hebdo, mais derrière le mythe républicain, un monstre de fanatisme apparaît. Marion Sigaut démasque cette grande imposture.
Rivarol : Votre parcours personnel et politique est d’une richesse surprenante. Quelles furent les étapes de votre évolution ?
Marion Sigaut : J’ai eu une enfance et une adolescence profondément chrétiennes. Je ne me contentais pas d’aller au catéchisme et à la messe, j’y croyais sincèrement, profondément. À 14 ans j’ai découvert Teilhard de Chardin, qui m’a illuminée et a ancré ma foi encore plus profondément.
Juste après mai 68 (18 ans), j’ai subi un conflit terrible avec mon père et j’ai basculé dans un gauchisme très nihiliste. Un séjour dans un kibboutz m’a réconciliée avec des valeurs sûres, et m’a fait opérer un rapprochement avec le judaïsme, dont je ne voyais d’ailleurs pas les contradictions avec mon kibboutz. J’ai voulu devenir juive, et je me suis arrêtée (j’étais presque au bout) quand j’ai compris que le message n’était pas universel ; j’étais restée chrétienne, mais sans le savoir ni surtout le vouloir : imprégnée de la doxa républicaine, je couvrais l’Église de tous les maux. Politiquement, j’étais à gauche, jusqu’à l’extrême gauche, sincèrement, mais plus par recherche d’absolu que par conviction. Franchement, je n’ai jamais été marxiste et quand je regarde en arrière, je trouve ça drôle : marxiste, moi ! Mais c’était une époque où je croyais qu’être avec le peuple c’était être à gauche, ce qui est toute l’imposture du système.
C’est en reprenant des études d’Histoire que j’ai compris l’énormité de la mystification dans laquelle j’ai vécu : la gauche, la Révolution, la République, les crimes de l’Église, tout s’est effondré. La gauche n’est pas le peuple, la Révolution fut un coup d’État, la république est marchande et les crimes de l’Église ont été commis par ses ennemis. C’est trop fort.
Je suis revenue à ma source, la vraie : je suis catholique. Heureuse et fière de l’être désormais.
Vos livres sont une approche vivante des grands moments de l’histoire de France. Comment concevez-vous le rôle de l’historien ?
L’historien est le journaliste du passé. Il est là pour chercher la vérité et la dire. L’historien travaille d’abord et avant tout avec le travail de ceux qui l’ont précédé. Pas de recherche historique sans une solide bibliographie. Puis on va à la source : l’archive. Le fil conducteur de ces recherches est certainement lié à la personnalité du chercheur. Personnellement, je travaille à l’intuition, au sixième sens, je suis bien une femme !
Bien sûr il y a des historiens qui mentent, pourquoi n’y aurait-il pas des menteurs parmi eux ? Mais globalement, je fais confiance aux chercheurs qui ont travaillé à débroussailler un sujet et ont mis à jour des données enfouies.
Un historien recherche la vérité. C’est ce que je fais. La vérité est un absolu et sa quête est un impératif moral.
Vous sentez-vous proche d’historiens royalistes comme Pierre Gaxotte et Jacques Bainville ?
J’ai adoré Gaxotte et je n’ai fait que survoler Bainville. Mais quand je suis entrée dans les détails, de la sexualité de Louis XV par exemple pour Gaxotte, ou des Lumières pour Bainville, j’ai compris leurs limites. Mais qui est parfait ? Je ne le leur reproche pas. Quand j’ai appris (j’étais encore à gauche à cette époque) que Gaxotte était à droite, j’ai commencé à me poser des questions.
Votre époque de prédilection est le Grand Siècle français. Vous avez très bien montré la nature réelle de l’absolutisme royal. Comment définissez-vous ce système qui assurait les libertés à la base et l’ordre au sommet ?
J’ai peur de dire des bêtises… Je crois que la hiérarchie tient dans la mesure où les valeurs sont partagées et considérées comme transcendantes. C’est la foi qui fait la différence. Les bourgeois ne s’y sont pas trompés en attaquant le catholicisme.
L’absolutisme royal consistait à faire du roi l’arbitre final des conflits dans une société libre qui avait pour socle commun le catholicisme. Respect des petits, amour du prochain, sens du bien commun, justice sévère, responsabilité… Tout ça a été renversé à la Révolution, qui a validé la concurrence, l’intérêt personnel, et surtout l’intrusion de l’État dans tous les domaines de la vie des citoyens. Qui, dans un tel système, peut se dire arbitre des conflits ? Hier, au-dessus du roi c’était Dieu. Aujourd’hui, au-dessus du chef de l’État, c’est la banque. Et au-dessus de la banque…
Dans La Marche rouge, les enfants perdus de l’hôpital général, vous évoquez un des faits divers les plus sordides de l’Ancien Régime. Quels sont les dessous de cette tragédie qui rappelle certaines des pires affaires de notre époque ?
Il m’apparaît évident que des magistrats (et autres sous leur protection) se livraient à de la pédocriminalité, le seul crime inavouable et susceptible de mettre le peuple en furie. Et, jusqu’à plus ample informé, c’est la seule explication à l’affaire de l’hôpital général, qui fit de la nomination d’une amie de l’archevêque à la tête d’une institution de secours une affaire d’État qui a ébranlé le trône. Si quelqu’un a une autre explication…
Ce genre de crimes est commis par des gens qui se croient au-dessus des autres. Les élus en quelque sorte.
Les magistrats jansénistes refusaient d’obéir au roi, au pape, à la morale commune. Le crime sur les enfants est le secret qui tient les criminels ensemble, leur permet de se sentir tout-puissants (la transgression semble être leur excitation suprême).
En fait c’est le diable. Je ne croyais pas au diable jusqu’à ce que je prenne conscience de ces horreurs : le diable est là. Il est fait, d’abord et avant tout, d’orgueil, et, juste derrière, de mensonges.
Dans votre dernier livre, vous attaquez avec fougue la personnalité abominable de Voltaire. En quoi ce personnage du panthéon républicain est-il l’incarnation d’une imposture ?
Tout ce dont on se sert pour attaquer l’ancien régime et l’Église est tiré de Voltaire, qui mentait comme un arracheur de dents. Retirez tout ce que dit Voltaire, il n’y a plus de République. C‘est absolument énorme.
L’auteur de Zadig affichait un mépris des faibles et du peuple. Cette logique n’était-elle pas commune à la philosophie des Lumières ?
Très exactement. Il n’y a rien que ces gens aient détesté comme le peuple. Peuple dont je me réclame haut et fort, je ne me suis jamais sentie au-dessus de qui que ce soit.
L’idéologie de ces gens-là est ce qui fait notre malheur. Il faut les dénoncer et retrouver les vraies valeurs qui sont les nôtres.
Vox populi, vox dei. Vouloir tuer Dieu c’est tuer le peuple. D’ailleurs il y a une constante dans la haine de la religion des gens de gauche : ils disent que la religion force les gens à croire que… Le peuple croit ce qu’il croit, c’est bien le mépriser que d’imaginer qu’il se laisse ainsi imposer quoi croire, alors que le catholicisme a été le lien qui a fait tenir la France pendant tant de siècles.
À travers son œuvre, Voltaire professe une haine constante envers la religion catholique. De l’affaire Calas à celle du Chevalier de la Barre, son athéisme militant fut-il au service de certaines puissances de son époque ?
Oui certainement. Voltaire fut l‘homme des puissances capitalistes protestantes. Indéniablement. Le protestantisme, comme vision du monde (et non comme croyance intime, je ne confonds pas) est profondément marchand, individualiste, élitiste. Le catholicisme est moral, soucieux du bien commun et de l’égalité devant Dieu, c’est-à-dire ennemi du profit.
Mettre l’Église à genoux, c’était lâcher la bride à la recherche du profit dont nous voyons aujourd’hui le résultat à l’échelle planétaire. Voltaire fut le français le plus actif dans cette destruction de ce qui fit notre grandeur.
Quelle analyse, vous inspire l’attaque contre Charlie Hebdo, qui se veut l’incarnation de l’esprit voltairien ?
C’est exactement ça, l’esprit voltairien :
« Le mensonge n’est un vice que quand il fait du mal ; c’est une très grande vertu quand il fait du bien. Soyez donc plus vertueux que jamais. Il faut mentir comme un diable, non pas timidement, non pas pour un temps, mais hardiment et toujours… Mentez, mes amis, mentez… »
Tout est dit, non ?
Au fait, moi je suis Marion.