Toute idéologie basée sur le mensonge doit nécessairement un jour faire face au dévoilement de ses manipulations. Éternel retour du réel. Les féminismes contemporains, qui malgré leur diversité s’accordent souvent autour du mythe de la « libération » de la femme contre les « stéréotypes » et « oppressions » en tout genre, se retrouvent donc aujourd’hui à devoir affronter – et expliquer – un mouvement Internet né outre-Atlantique : « Women Against Feminism » (Femmes contre le féminisme).
Ce petit mouvement fait parler de lui, grâce notamment à la participation des internautes. Le principe est simple : chacune peut envoyer une photo d’elle-même, un « selfie », avec une pancarte commençant par « I don’t need feminism because… » (Je n’ai pas besoin du féminisme car…). La photo est ensuite publiée en ligne, sur le blog ou la page Facebook de « Women Against Feminism ». Cette dernière compte plus de neuf milles mentions « J’aime ».
L’affaire est tout à fait cocasse, car aussi bien la forme (viralité sur le Web) que le fond (fantasmer la féminité comme une réalité sociale) sont similaires aux méthodes habituelles de diffusion de l’esprit de pleurniche féministe. Loin de puiser dans une idéologie construite, ce mouvement est plutôt de l’ordre de la réaction. On y retrouve l’absence de pensée structurée et la mentalité nombriliste propres à notre époque. Au final, c’est souvent en évoquant « l’égalité » et au nom du « choix » que ces filles refusent de se voir comme des « victimes » et d’être associées au féminisme contemporain. Bref, c’est l’arroseur arrosé !
- « Je n’ai pas besoin du féminisme car : je suis responsable de mes actes ; je crois en l’égalité réelle ; je ne suis pas une victime ; je respecte les hommes et je n’ai pas besoin de les rabaisser pour me valoriser ; il est passé d’un mouvement pour les droits à une organisation sexiste, corrompue et haineuse. Voilà à quoi ressemble une anti-féministe. »
- « Je n’ai pas besoin du féminisme car j’aime quand les hommes font des compliments
sur mon corps. »
- « Je n’ai pas besoin du féminisme car je veux quitter mon job et mettre de côté mon rêve de devenir mécanicienne pour être mère au foyer. Mon mari m’aime et me respecte. Je le sers, ainsi que nos trois enfants. »
- « Je n’ai pas besoin du féminisme car être mère au foyer est mon propre choix, et mon mari qui travaille ne devrait pas être harcelé. »
De quoi donner des cauchemars à Isabelle Alonso !
Dans les chroniques pseudo-intellectuelles de la presse (de « gauche » comme de « droite »), l’initiative est bien entendu accueillie avec beaucoup d’aigreur et de mauvaise foi [1]. L’explication première retenue, en une ligne, consiste à dire que ces filles à pancarte sont « jeunes », c’est-à-dire inconscientes, et que leur argumentation est paradoxale, provocatrice [2]. Quand on se souvient que l’idéologie bien-pensante s’impose par des opérations « lycéens en jupe », il y a de quoi ricaner.
Évitons toutefois de dénigrer ces jeunes anonymes du Web, malgré leur approche quelque peu désordonnée et très confuse sur le plan conceptuel. On retiendra surtout que, peut-être, des décennies après Clouscard, ces jeunes filles se rendent compte que derrière la rhétorique crapuleuse de la femme opprimée devant « s’émanciper », il y a le gouffre de la consommation, le règne libéral de l’argent et du chacun pour soi. Et que finalement, les meilleurs boucliers pour leur féminité restent encore la structure familiale (ce lieu archaïque d’oppression et de violence…) et les marques traditionnelles de l’altérité (ces stéréotypes larvés…).
Les différents mouvements sociétaux au service du système (gays et féministes en tête) sont progressivement passés de la manipulation sentimentale au communautarisme agressif. Si cette nouvelle posture leur permet de racketter plus efficacement divers lois et passe-droits, la vraie nature de ces lobbies se dévoile néanmoins chaque jour un peu plus.