Zemmour versus BHL
Les deux faces du judaïsme politique
(Youssef Hindi)
Éric Zemmour a déclenché une dispute intra-communautaire [1] opposant d’une part la tendance qu’il représente, les likoudniks de France, l’aile droite, néoconservatrice, du judaïsme politique, et de l’autre, les juifs libéraux, l’aile gauche.
Les principales frappes sont venues de Bernard-Henri Lévy – qui a reproché à Zemmour d’aller trop loin dans le réhabilitation et la justification [2] de l’extrême droite – et du grand-rabbin de France, Haïm Korsia (de la tendance libérale), qui est allé jusqu’à qualifier Zemmour d’antisémite. [3]
Ce qui est reproché à Zemmour, juif pratiquant orthodoxe, ce n’est pas qu’il aurait une « haine de soi », mais la stratégie de la tendance juive qu’il représente. L’aile gauche du judaïsme reproche à son aile droite d’embrasser trop fortement le nationalisme et d’ouvrir ainsi la boîte de l’antisémitisme.
L’aile droite du judaïsme politique opte plutôt, comme je l’ai expliqué à plusieurs reprises, pour un remplacement de l’extrême droite ; et pour ce faire, Zemmour et les siens doivent apparaître comme étant de crédibles nationalistes français, d’où les références à Barrès, Bainville et Maurras.
Nous allons analyser ici les causes fondamentales de cette dispute, ainsi que ses tenants et aboutissants, avant d’en venir au fond du fond de la question qui les occupe tous, à savoir le volcan en activité de l’antijudaïsme qu’il s’agit de contenir. Le reste, nous le verrons, n’est que divergences sur la stratégie et dispute sur les marges.
Zemmour-BHL : dispute talmudique
Le 18 octobre 2021, Bernard-Henri Lévy brise le « tabou » de la judéité d’Éric Zemmour dans un texte titré Ce que Zemmour fait au nom juif :
« Chacun y pense ? Mais personne ne semble décider à en parler. Zemmour est juif. » [4]
Cette « révélation » qui n’en est pas une est faite par un des tenants du judaïsme politique en France sept mois après la parution de L’Autre Zemmour, livre dans lequel sont analysés en profondeur les rapports de Zemmour au judaïsme en tant que religion et projet politique.
Les attaques de BHL contre son coreligionnaire sont toutefois précédées par quelques mots de satisfaction et de réjouissance à la vue de l’opération Zemmour qui détruit le Rassemblement national et Marine Le Pen. Le milliardaire communautariste ne peut pas non plus s’empêcher de se moquer des laudateurs d’extrême droite du polémiste sarkozyste (les futurs cocus du zemmourisme comme hier du sarkozysme), originaire, comme lui, d’Algérie :
« On notera, si l’on est optimiste, que c’est l’électorat, non de Mme Pécresse, mais de Mme Le Pen qu’il a commencé par atomiser et que cela, quarante ans après l’apparition du Front national, n’est pas forcément une mauvaise chose. On trouvera plaisante, si on a l’humeur à sourire, l’ironie, la ruse ou le piège de l’Histoire qui font que la vieille extrême droite antisémite se donne un champion répondant à un type d’homme qui n’était pas précisément son genre. »
Puis viennent les griefs que BHL fait à celui qui s’apprête à annoncer sa candidature à la magistrature suprême :
« Il y aura, à l’inverse, les pessimistes qui, voyant cet homme chevaucher les pires obsessions de l’ultra-droite, craindront que cette identification n’alimente, en réaction, un antisémitisme d’ultra-gauche qui ne demandait qu’à prospérer et dont il sera d’ailleurs, lui, Zemmour, l’une des victimes. »
Bernard-Henri Lévy reproche ici au « juif Zemmour » de légitimer l’extrême droite, de la justifier, et avec elle tout son héritage antijuif. À quoi s’ajouterait l’identification, par l’extrême gauche, de Zemmour et des juifs de sa tendance comme une extrême droite xénophobe défendant les intérêts d’une oligarchie cachée derrière les musulmans.
Voilà un cocktail explosif qui se combinerait alors avec une critique socio-économique refaisant surface depuis le XIXe siècle et qui désignerait comme ennemis Zemmour et le milliardaire Lévy. La peur du pyromane BHL est le retour de flamme :
« Et sans doute y aura-t-il, un jour, des historiens pour voir dans cette affaire un cas extrême de la mécanique décrite par Hannah Arendt : on vit bien des « israélites » si éperdument épris de francité qu’ils en nourrirent, comme le Bloch de Proust, une définitive honte de soi ! des juifs allemands ressortant du placard leur casque à pointe de la guerre de 14 quand les nazis vinrent, en 1933, les chercher pour les mener au Lager ! pourquoi pas un Zemmour dont les parents furent, comme les miens, déchus de leur nationalité par Vichy et qui vocifère sur les plateaux que Pétain les a protégés ? »
Cette attaque a suscité une réponse de l’intéressé sur CNews le 14 octobre 2021 chez Pascal Praud [5]. Et Zemmour répond ainsi à BHL :
« Qu’est-ce qu’il fait Bernard-Henri Lévy ? Il m’assigne à résidence ethnique et religieuse. Il dit je suis d’abord un juif et je ne dois pas me comporter comme cela. Moi, je considère que je suis d’abord un citoyen français, que ça lui plaise ou non. Et je suis face à un peuple, à un pays qui est le mien, qui est le peuple français, que j’aime et que je pense en danger de mort et que je veux sauver pour cela… Ça, c’est ma première réponse.
Bernard-Henri Lévy fait du communautarisme, et son universalisme est le chemin le plus court vers le communautarisme le plus infecte. Ça, c’est ma deuxième réponse. »
Après avoir pris ses distances verbales avec le communautarisme juif dans lequel il baigne pourtant, Éric Zemmour endosse son costume de juif de droite « assimilé » pourfendeur des juifs de gauche :
« Ce que dit Bernard-Henri Lévy, ce que dit Anne Sinclair, ce qu’ils défendent, c’est un positionnement moderne de juifs de gauche… Ce qu’ils disent eux, ce n’est pas le judaïsme, c’est une vision des juifs de gauche, modernes, émancipés au XIXe siècle.
Le judaïsme qu’est-ce que c’est ? J’ai fait quelques études là-dessus, pardonnez-moi, j’ai eu mon enfance pétrie de judaïsme parce que mes parents étaient très pratiquants. Le judaïsme qu’est-ce que c’est ? Une terre, un peuple, une loi. Une terre, la terre d’Israël ; un peuple, le peuple juif ; une loi, la loi juive donnée à Moïse. C’est cela le judaïsme. »
Et là il raccroche le judaïsme à la droite nationaliste française :
« C’est plus proche de Barrès que de Zola. D’ailleurs, Bernard-Henri Lévy le sait lui-même puisque quand il est à Jérusalem il est beaucoup plus proche de Barrès que de Zola. Seulement, il joue à Zola à Paris et Barrès à Jérusalem. Il faut choisir. Avec monsieur Bernard-Henri Lévy c’est simple, il n’y a de bon nationalisme que non français. »
Puis, Zemmour, que BHL a accusé « d’alimenter l’antisémitisme d’ultra-gauche », l’accuse à son tour d’être « le plus grand fabricant d’antisémitisme qui soit au monde ! C’est-à-dire que à chaque qu’il parle, les gens se mettent à voir réveiller leur antisémitisme ». Cela fait une somme importante d’« antisémitisme ».
La préoccupation principale de Zemmour et BHL est bien l’antijudaïsme. Nous y reviendrons plus bas.
Le coming out de Zemmour : « Éric, vous êtes juif ? »
Toujours chez Pascal Praud, Éric Zemmour a profité de l’occasion pour faire son coming out juif :
« Je suis d’une famille très traditionnelle, très pratiquante, d’Algérie, tout le monde le sait. Mes parents avaient une application assez stricte de la religion, moi beaucoup moins. Mais j’ai gardé certaines traditions que j’aime beaucoup. »
On voit là qu’il a été contraint par la force des choses, sans doute par L’Autre Zemmour, de révéler à la télévision qu’il vient d’un milieu juif orthodoxe. Puis, pour atténuer ce propos, il ressort le couplet du juif assimilé :
« Mais je voudrais dire quelque chose. Mon judaïsme s’inscrit dans la grande tradition des israélites français qui sont défini par deux phrases : un, Clermont-Tonnerre, 1791, "Rien aux juifs en tant que nation, tout en tant qu’individus" ; deuxième phrase, Napoléon qui dit au Sanhédrin qu’il réunit "Vous devez considérer désormais que Paris est votre Jérusalem". C’est exactement ce que je pense.
Et, dernière chose, pour répondre à Bernard-Henri Lévy qui me traite de fasciste etc., je dis qu’aujourd’hui, les juifs français, les Français de confession juive, savent très bien qu’on les tue, non pas au cri de "Heil Hitler" mais au cri de "Allahu Akbar" et que ça change tout. »
Jusque-là Zemmour restait très discret sur cette dimension fondamentale de son identité. Suivant le principe de dissimulation (cf. L’Autre Zemmour) – à ne pas confondre avec l’assimilation qu’il revendique – il laissait sa judéité dans un lointain arrière-plan pour ne pas braquer sa clientèle catholique et de droite.
Dans cette dialectique BHL permet ici à Éric Zemmour de se présenter comme un juif assimilé à qui le communautarisme fait horreur.
Or – je ne vais pas y revenir ici dans le détail – j’ai démontré dans mon livre L’Autre Zemmour qu’Éric, se faisant appeler « Moïse » à la synagogue, est un tribaliste endogame radical, marié dans sa communauté, fêtant les bar mitsva de ses fils, ayant passé sa scolarité dans des écoles juives confessionnelles (Lucien de Hirsch et Yabné), allant à la synagogue tous les shabbat (samedis) et le tout sans être croyant [6]. Ce qui est le signe, non pas d’un attachement à des traditions qu’il « aime beaucoup », mais d’un sectarisme archaïque.
Et nous avons appris que son intime conseillère, Sarah Knafo (alias l’Esther d’extrême droite), est également issue de sa communauté. Preuve là encore d’un communautarisme qui sent le racialisme et l’enfermement dans la pureté ethnique. Zemmour connaît Sarah Knafo depuis qu’elle a 13 ans ; son père est d’ailleurs un ami d’Éric. [7] Tout cela sent une très forte odeur d’endogamie, voire plus…
Cette dispute talmudique l’opposant à BHL est une façon d’anticiper le procès en tribalisme, en non-assimilation. Un moyen de désamorcer la bombe qui lui exploserait tôt ou tard à la figure, puisque l’on a pu constater que parmi les lecteurs de L’Autre Zemmour et de mes autres textes sur le sujet figurent des journalistes et personnalités aussi variés que Laurence Ferrari – qui a fait allusion devant Zemmour à sa « dissimulation » (titre d’un chapitre de L’Autre Zemmour), à sa « taqîya » [8] –, Didier Maïsto, Aude Lancelin [9], et des personnalités de la droite nationale.
Sans oublier Jean-Luc Mélenchon qui a récemment déclaré au sujet d’Éric Zemmour :
« Il reproduit beaucoup de scénarios culturels (du judaïsme) : "On ne change rien à la tradition, on ne bouge pas, oh mon dieu la créolisation quelle horreur..." Et tout ça, ce sont des traditions qui sont beaucoup liées au judaïsme. Ça a ses mérites, ça lui a permis de survivre dans l’histoire... » [10]
Bien sûr, Mélenchon a été accusé d’antisémitisme pour avoir tenu ces propos.
Il ne faudrait pas que la figure de Zemmour réconcilie toutes les tendances idéologiques de France qui ont pour point de convergence la désignation d’un ennemi commun : l’oligarchie qui rémunère et soutient Zemmour.
BHL inspirateur de Zemmour : opposition et complémentarité
Éric Zemmour et Bernard-Henri Lévy se disputent, mais comme deux talmudistes. Ils sont en désaccord sur les marges, mais partagent un socle commun. Et je vais le démontrer ici, comme je l’ai fait dans L’Autre Zemmour.
Le 28 septembre 2019 lors de la « Convention de la droite », Éric Zemmour a tenu un discours (retransmis en direct à la télévision par LCI) durant lequel il comparait l’islam au nazisme, ce qu’avait fait avant lui Bernard-Henri Lévy, père du néologisme « nazislamisme ». [11]
Rappelons au passage que le bibliste Jean Soler a avancé nombre d’arguments solides pour démontrer l’inspiration judaïque du nazisme. [12] En effet, l’exceptionnalisme racial, le suprémacisme inégalitaire et les rêves impérialo-millénaristes sont le propre du judaïsme [13] et non de l’islam qui est une religion universaliste et égalitaire.
C’est là un cas typique d’inversion accusatoire dont sont coutumiers BHL, Zemmour et consort.
Mais ce n’est pas le seul emprunt de l’élève Zemmour au maître BHL. Le plus énorme est tout de même le propos sur la France catholique d’origine juive.
En 2016 paraît L’Esprit du judaïsme, livre de Bernard-Henri Lévy dans lequel il affirme que les juifs ont cofondé la France. Pour BHL la « source hébraïque » constitue les « tréfonds de la mémoire de la France ». D’après le philosophe milliardaire juif « il y a un tabou qui ne sera plus levé et qui est celui, devenu secret d’État et de pensée, de la contribution, dès l’origine, à travers les textes les plus séminaux, des fils de Jérusalem à une œuvre que l’on continue de nous présenter comme fille exclusive d’Athènes et de Rome. » [14]
Deux ans plus tard, avec son livre Destin français, Éric Zemmour vint en appui de BHL en greffant aux racines chrétiennes, grecques et romaines, « des racines juives » à la France. Zemmour reprend les mots de Bernard-Henri Lévy. Porté par la même outrecuidance il écrit dans Destin français, au chapitre « Saint Louis, le roi juif » :
« Les Francs sont le nouveau peuple d’Israël. Dès l’époque carolingienne, le peuple franc "est considéré comme le nouveau peuple élu" [...] Comme la fidélité des rois d’Israël à leur Dieu a fait la gloire du peuple élu, la christianisation sans tache des rois de France assure le destin glorieux de leur nation. À la fin des temps, le roi de France fait sien le destin messianique d’Israël…
La France catholique et la France républicaine unies dans un même combat pour la grandeur éternelle d’une France messianique et civilisatrice. Ces Frances sont en vérité une seule et même France, celle qui s’était parée avec Saint Louis des atours du peuple élu…
Israël a été pendant des siècles le modèle de la France. La France devient à son tour le modèle d’Israël…
Sans le nationalisme juif, la France s’abîme dans la sortie de l’Histoire d’une nation millénaire dépossédée de son État, de son passé, de ses racines, de son territoire même… » [15]
BHL et Zemmour ont un socle commun, le judaïsme. Ils participent tous les deux du judaïsme politique et de sa propagande délirante sur la chimérique « civilisation judéo-chrétienne ».
Ils s’opposent sur les marges mais se complètent. BHL reproche à Zemmour de vouloir déclencher une guerre civile ; Zemmour reproche à BHL de déclencher des guerres extérieures ; mais l’un comme l’autre sont des fauteurs de guerre, à deux échelles différentes.
L’un, Zemmour, invite par exemple les jeunes français à se battre contre leurs concitoyens de confession musulmane :
« La question qui se pose donc à nous est la suivante : les jeunes Français vont-ils accepter de vivre en minorité sur la terre de leurs ancêtres ? Si oui, ils méritent leur colonisation. Sinon, ils devront se battre pour leur libération. » [16]
Et l’autre, BHL, jubile de voir les jeunes soldats français se faire tuer :
« Je suis fier de la France quand elle envoie ses soldats se faire trouer la peau pour libérer un peuple africain du joug islamiste. » [17]
Ils sont tous les deux promoteurs, quand on combine leurs discours, de la guerre civile raciale planétaire.
L’opposition entre la droite et la gauche du judaïsme politique
La controverse actuelle au sein de la communauté juive française entre l’aile gauche et l’aile droite (représentée par Zemmour) du judaïsme politique est la continuité d’une opposition à l’échelle internationale entre juifs libéraux et likoudniks. Ce conflit à plusieurs causes : la radicalisation religieuse des dirigeants israéliens qui met en danger la diaspora ; l’alliance avec les conservateurs et l’extrême droite occidentale qui donne un tampon de validité à son héritage antisémite.
La pomme de discorde est encore la stratégie pour conjurer l’antijudaïsme.
Une partie de la diaspora juive, libérale, pourvoyeuse de fonds de l’État hébreu (et qui garantit, via ses lobbies, le soutien apporté par les pays occidentaux à Israël), perçoit depuis quelques temps le radicalisme religieux d’Israël comme un danger. En effet, l’affirmation de plus en plus outrancière du caractère religieux de l’État juif et sa légitimation sur une base biblique, sa politique d’épuration ethnique fondée sur la Torah et le Talmud [18], les atrocités dont sont victimes les Palestiniens… Tout cela contribue à faire augmenter tendanciellement l’hostilité envers Israël, et par suite, au judaïsme et aux juifs à travers le monde ; ce qui met par conséquent en péril la diaspora.
Raison pour laquelle le président du Congrès juif mondial, Ronald Lauder, qui a financé la carrière politique de Benyamin Netanyahou, s’en est pris à ce dernier, lorsqu’il était Premier ministre, à deux reprises dans le New York Times [19] en 2018. Il a ainsi fustigé la politique israélienne :
« Les juifs de l’ère nouvelle ont fusionné notre fierté nationale et notre appartenance religieuse avec un dévouement au progrès humain, à la culture du monde et à la moralité.
Conservateurs et libéraux, nous croyons tous en un sionisme juste et un judaïsme pluraliste qui respecte chaque être humain. Ainsi, lorsque les membres du gouvernement actuel d’Israël sapent l’alliance entre le judaïsme et l’éveil, ils annihilent la quintessence de l’existence juive contemporaine. » [20]
Outre le danger que présente la politique israélienne pour les juifs du monde entier, on a là l’illustration d’une opposition entre les juifs libéraux, qui défendent un judaïsme réformé, représenté ici par Lauder, et les juifs orthodoxes, qui ont pris le pouvoir en Israël. Et c’est eux que pointe du doigt Lauder quand il écrivait en mars 2018 :
« En se soumettant aux pressions exercées par une minorité en Israël, l’État juif aliène une grande partie du peuple juif. » [21]
Par ailleurs, la vague souverainiste qui balaye l’Occident depuis 2016 a conduit Israël à se repositionner en faveur de ce populisme européen qu’il tente de récupérer. Cette tentative fut notamment illustrée par un livre écrit par le journaliste israélien Anshel Pfeffer, correspondant de The Economist et éditorialiste au journal israélien Haaretz. Son ouvrage, intitulé Bibi, est une biographie valorisante de Netanyahou, dont Anshel Pfeffer redessine les traits pour en faire un homme cultivé, un brillant visionnaire, leader mondial et un exemple des dirigeants politiques, tel qu’Orbán, Trump et Poutine.
Dans un entretien – titré « Pour les Trump, Poutine, Orbán… Netanyahou fait office de patriarche » [22] – accordé au journal Libération, le journaliste israélien avance que :
« Pour les Trump, Orbán, Salvini, Duterte, Abe ou même Modi et Poutine – toute une génération de leaders qui défient le modèle progressiste occidental fondé sur le respect des droits de l’homme –, Netanyahou fait office de patriarche, de modèle. Ils se disent : ‘‘Ce type est en poste depuis si longtemps, gagnant élections après élections, et il fait ce qu’on a toujours voulu faire : dire à la gauche et aux médias d’aller se faire foutre.’’ La conséquence, c’est que dans le club des grands de ce monde, les dirigeants à la Macron ou Merkel sont mis en minorité. Il est plus difficile que jamais de peser sur Netanyahou… »
C’est précisément la ligne adoptée par Éric Zemmour qui expliquait en mai 2018 à la radio RTL, alors que les Israéliens tiraient sur des manifestants palestiniens :
« Israël est la cible privilégiée des médias occidentaux qui ne cessent de dénoncer la brutalité des méthodes de la démocratie illibérale… Mais à Budapest comme à Varsovie, à Moscou comme à Jérusalem, les peuples votent massivement pour des gouvernements que ces grands médias vilipendent. » [23]
Je l’ai écrit plus haut, les juifs ne voient pas tous d’un bon œil ce rapprochement que tente Israël avec les souverainistes européens. Les libéraux, l’aile gauche du judaïsme politique, s’insurgent contre cette alliance avec les populistes qu’ils considèrent comme « antisémites ». Car l’histoire nous a montré que le nationalisme européen n’est pas franchement philosémite...
Le 19 septembre 2018, le journal Haaretz a publié un article titré « L’État d’Israël contre le peuple juif ». [24] Et le journal de la gauche israélienne s’alarme :
« Israël s’est allié à des régimes nationalistes, même antisémites… Un tremblement de terre est en train de doucement secouer le monde juif. »
Haaretz rappelle que « au XVIIIe siècle, les juifs ont commencé à jouer un rôle décisif dans la promotion de l’universalisme, car l’universalisme leur promettait l’émancipation de leur sujétion politique. À travers l’universalisme, les juifs pouvaient, en principe, être libres et égaux à ceux qui les dominaient. C’est pourquoi, dans les siècles qui ont suivi, les juifs ont participé en nombre disproportionné aux causes communiste et socialiste. C’est aussi pour cela que les juifs étaient des citoyens modèles dans des pays comme la France ou les États-Unis. Toutefois, l’histoire des juifs en tant que promoteurs des Lumières et des valeurs universelles touche à sa fin. Nous sommes les témoins stupéfaits de nouvelles alliances entre Israël, des factions juives orthodoxes à travers le monde, et un nouveau populisme global où l’ethnocentrisme et même le racisme tiennent une place centrale. »
Parmi les nouveaux « amis » d’Israël, on compte la Hongrie de Viktor Orbán. Ce dernier, qui est devenu un ennemi acharné du financier juif américain (d’origine hongroise), maître des révolutions colorées, George Soros, a trouvé, dans cette lutte, un allié en la personne de Benyamin Netanyahou. Ainsi que l’a mis en évidence le chercheur Pierre-Antoine Plaquevent, Israël soutient donc Orbán contre Soros, en échange de la promesse de la part du gouvernement hongrois de lutter par tous les moyens contre la montée de l’antisémitisme et de l’antisionisme. [25] Orbán a d’ailleurs, lors d’un discours public, inclut Israël dans la liste des nations qui résistent à Soros. [26]
Mais les juifs libéraux, représentés par Haaretz, ne croient visiblement pas à cette amitié israélo-hongroise :
« Sous le gouvernement de Viktor Orbán, la Hongrie montre des signes troublants de légitimation de l’antisémitisme. En 2015, par exemple, le gouvernement hongrois a annoncé son intention d’ériger une statue de commémoration à Balint Homan, un ministre de l’ère holocaustique qui a joué un rôle décisif dans le meurtre et la déportation de près de 600 000 juifs hongrois. Loin d’être un incident isolé, quelques mois plus tard seulement, en 2016, une autre statue a été érigée en l’honneur de Gyorgy Donáth, un des architectes de la législation anti-juive durant la Seconde Guerre mondiale.
Il n’est donc pas surprenant d’entendre Orbán employer une rhétorique antisémite durant sa réélection en 2017, spécialement contre George Soros, le juif, milliardaire philanthrope américano-hongrois qui soutient les causes libérales, incluant l’ouverture des frontières et l’immigration. Réanimant les clichés antisémites à propos du pouvoir des juifs, Orbán accuse Soros de nourrir les intentions de subversion de la Hongrie. »
Paradoxalement, Haaretz, journal de gauche « universaliste », reproche à Netanyahou de « préférer les alliés politiques (Orbán) aux membres de sa tribu [Soros] ».
La même critique est faite à Netanyahou concernant son rapprochement avec la Pologne et le président philippin Rodrigo Duterte, « un homme qui s’est fièrement comparé à Hitler ».
Du point de vue des juifs libéraux, cette stratégie politique d’Israël remet en cause la structure tripartite qui fonde la doctrine politique israélienne s’appuyant sur les communautés juives de la diaspora, les intérêts sécuritaires d’Israël et les alliances en politique internationale avec les puissances démocratiques du monde.
La Shoah, sacralisée dans un Occident déchristianisé, joue quant à elle le rôle de ciment idéologique qui maintient cette structure doctrinale aujourd’hui fragilisée.
Là encore, le fond de la controverse est la question du maintien des positions des élites juives en Occident et même leur sécurité. Je le répète, ceci explique pourquoi la question de l’antijudaïsme est au cœur de la dispute entre Zemmour et BHL.
L’antijudaïsme au centre des préoccupations de Zemmour et BHL
C’était déjà le cœur du débat entre Éric Zemmour et Bernard-Henri Lévy le 26 juin 2020 sur CNews. Le débat tournait essentiellement autour d’une question fondamentale pour eux : « Qui est antisémite aujourd’hui ? ». Et la deuxième question qui découle de la première : « Comment conjurer cet antisémitisme ? ».
Sur les réponses à ces deux questions, BHL et Zemmour divergent. Du moins, en apparence, car ce qui est le plus intéressant au sujet de l’antijudaïsme, c’est le non-dit, c’est ce que taisent BHL et Zemmour et sur lequel je disserterai un peu plus loin.
Bernard-Henri Lévy ouvre le bal :
« J’ai passé mon enfance et mon adolescence, comme vous d’ailleurs, à lire des écrivains français que j’admirais. Et puis, à des moments, j’avais 12 ans, 13 ans, je pleurais parce que je découvrais que ces écrivains que j’admirais étaient ANTISÉMITES ! »
Et Zemmour de rétorquer :
« J’ai connu la même chose. Et alors ? Je continue à les admirer. »
BHL reprend :
« Je sais bien que c’est ça, la France. Je sais bien que c’est ça, la France. Et je sais que le combat d’un Français aujourd’hui – la littérature française est ce qu’elle est –, c’est de faire en sorte que ces sentiments-là qui allaient de soi à l’époque de Montherlant, à l’époque de Paul Morand, il est bon, aujourd’hui, qu’ils n’aillent plus de soi. Il est bon que nous soyons nombreux à trouver qu’ils font du mal à la société, qu’ils font du mal à la République. Qu’ils jettent les humains les uns contre les autres, et qu’ils fomentent la guerre ! Moi, je ne veux pas la guerre ! »
Éric Zemmour lui reproche alors d’être à l’origine d’un nouvel antisémitisme :
« Mais vous avez réinventé l’antisémitisme ! Les militants islamistes et les militants noirs, ils sont antisémites ! Et ce qu’ils vous reprochent, c’est d’être juif ! Et ce qu’ils reprochent à SOS Racisme c’est d’être juif ! Aujourd’hui dans les banlieues, les juifs qui se font taper dessus, c’est par des musulmans ou des Noirs ! C’est pas par des gens qui ont lu Maurras ! Alors arrêtez avec ça ! »
Mais BHL ne se démonte pas :
« Y a pas qu’eux, y a pas qu’eux, Éric Zemmour. Et les gens qui sont en train, à l’instant même, pendant que nous parlons, de m’insulter et peut-être de vous insulter aussi sur Twitter, c’est pas sûr qu’ils soient tous islamistes. Vous avez peut-être des bons maurrassiens ou des bons fachos ou des bons militants du Front national qui sont en train, à l’instant même, de déverser des tombereaux d’ordures.
Il y a, en France, deux antisémitismes. Il y en a un en effet qui s’alimente à l’islamisme radical, et il y en a un autre qui est un vieil antisémitisme français. La différence entre les deux, c’est que sur le second, sur le vieil antisémitisme français, vous ou moi et d’autres, nous avons un peu prise, c’est notre affaire, ce sont des livres qui nous ont nourris, ce sont des livres que nous essayons de continuer, on peut agir ! On peut faire que l’antisémitisme ne soit pas une idée comme une autre, mais que ce soit une pensée criminelle.
L’antisémitisme islamiste, on peut, et il faut, moi je passe ma vie à ça, je suis allé le dénoncer au Pakistan, je suis allé faire l’enquête sur Daniel Pearl, je suis allé, pour faire mes histoires pour Le Monde, sur les guerres oubliées, je suis allé au contact de ça, bien sûr. Mais c’est vrai, que ce sera à la fin des fins une affaire entre "islam" et "islam". »
Éric Zemmour sait que l’antisémitisme et l’antijudaïsme les plus prégnants historiquement viennent d’un certain nationalisme et du catholicisme. Son discours philo-français et philo-chrétien brossant dans le sens du poil les Français vise à contenir cette défiance latente vis-à-vis des juifs.
Lorsque, pour convaincre le spectateur devant sa télévision, Zemmour dit à BHL : « Le judaïsme est inclus dans le christianisme », celui-ci lui répond : « NON, NON, NON ! Le judaïsme n’est pas inclus dans le christianisme ! ». Zemmour se reprend alors : « Mais le christianisme reconnaît le judaïsme, il prend le message. »
Ce débat qui consiste à savoir qui du musulman ou du chrétien est (le plus) antisémite n’est qu’une diversion pour masquer l’antijudaïsme qui leur fait véritablement craindre pour l’avenir des élites juives. Avant d’y venir nous allons nous pencher sur la réalité statistique des deux antisémitismes – nationaliste et musulman – dont BHL et Zemmour nous rebattent les oreilles.
L’antisémitisme imaginaire face à la réalité statistique
Concrètement, les actes antisémites, d’après les chiffres du ministère de l’Intérieur, n’ont pas augmenté ces dernières années. Ils connaissent des variations très importantes d’une année à l’autre, mais la tendance n’est pas à la hausse, contrairement à ce que racontent les tenants du judaïsme politique : à la fin de l’année 2000 on comptait 743 actes antisémites ; en 2001, année des attentats du 11 Septembre, il y n’y a eu que 219 actes contre les juifs ; en 2018 on en dénombre 541, un chiffre bien inférieur à ceux de 2014 (851) et 2015 (800). [27]
La loi française interdisant les statistiques ethniques, il est impossible d’évaluer la proportion afro-musulmane des auteurs de ces actes.
De plus, les chiffres peuvent être trompeurs, en ce que la confession juive de la victime n’induit pas que l’agresseur ait commis son forfait contre un juif parce que juif.
Pour ce qui est des agressions antisémites médiatisées, il s’agit majoritairement d’histoires imaginaires. En effet, de nombreuses affaires de fausses agressions antisémites ont éclaté, avec des faux témoignages de juifs qui en surajoutaient dans la victimisation. À titre d’exemples de fausses agressions antisémites :
Le 13 octobre 2000, le grand-rabbin (de 1987 à 2009) de France Joseph Sitruk raconte une histoire d’agression antisémite deux semaines après le début de la seconde intifada : « Nous avons appris que [dans une école juive du XIXe arrondissement de Paris] des jeunes gens avaient été poignardés, six précisément. L’un d’eux est décédé des suites de ses blessures. C’est extrêmement grave. C’est la première fois qu’un juif est assassiné en France depuis la guerre, parce qu’il est juif et uniquement parce qu’il est juif. »
Le jour même, la police se rend sur place pour constater finalement que le grand-rabbin avait tout inventé. [28] Le grand-rabbin de France s’est avéré être un menteur, tout comme son successeur, Gilles Berhneim, le mythomane qui s’est rendu coupable de plusieurs plagiats et qui a usurpé le titre d’agrégé de philosophie. [29]
Le 3 janvier 2003, le rabbin Gabriel Farhi est victime d’une agression au couteau antisémite dans sa synagogue (Paris XIe). L’agresseur aurait crié « Allahou Akbar », après avoir envoyé une lettre de menace au Mouvement juif libéral de France. Le contenu de la lettre laissait accroire qu’il s’agissait d’un pro-palestinien. Les autorités et les médias français s’en mêlent. En réalité, le rabbin avait inventé toute l’histoire et s’était auto-mutilé. [30]
Le 1er novembre 2003, le propriétaire d’un restaurant casher, L’Altrium à Aubervilliers, le brûle en le faisant passer pour un incendie antisémite. On a découvert qu’il s’agissait en fait d’une arnaque à l’assurance.
Le 9 janvier 2004, Alex Moïse, un militant pro-israélien ayant participé à la création de la Fédération sioniste de France et de Radio Shalom, dépose une plainte au commissariat de police suite à des menaces de mort et des injures antisémites : « Sale youpin », « Tu vas crever, sale sioniste, tu vas crever ». Il attribue ces menaces et insultes anonymes à un partisan de Dieudonné. Cinq mois plus tard, le 6 mai 2004, Alex Moïse est condamné à 750 euros d’amendes et deux mois de prison avec sursis après une enquête qui a prouvé qu’il s’était adressé à lui-même les menaces et les insultes antisémites par téléphone.
Le 22 août 2004, le centre social juif de la rue Popincourt (Paris XIe) a été incendié après avoir été tagué avec des inscriptions nazislamistes (!) : « Les juifs dehors », « Sans les juives, le monde serait heureux », « Itler = la France », « Vive l’Islames ». Le président de la République, le maire de Paris, les organisations juives, le CRIF, le ministre des Affaires étrangères israéliens s’émeuvent. Et il s’est avéré qu’un homme de la communauté juive fréquentant le centre, Raphaël Benmoha, était le coupable de l’incendie. Ni musulman ni nazi.
Toujours en 2004, une jeune femme a prétendu avoir été agressée antisémitiquement dans le RER D par six personnes. Il s’est avéré que tout cela n’était qu’affabulation. [31]
Le 10 octobre 2007 : une collégienne juive de 13 ans affirme avoir été agressée par trois voleurs dans l’escalier du métro parisien « Église de Pantin », parce que juive. Confondue après avoir livré plusieurs versions de son récit, elle finit par expliquer s’être accidentellement blessée avec un grillage. [32]
Le 10 février 2015, peu après les attentats de Charlie Hebdo, des tags antisémites ont été faits par un couple de juifs se disant victimes d’antisémitisme.
Il y a aussi le cas de Tsion Sylvain Saadoun, un professeur juif, qui a prétendu être agressé au couteau par trois individus se réclamant de Daech, quelques jours après les attentats du 13 novembre 2015 à Paris. Il s’agissait d’une invention pour laquelle monsieur Saadoun a été condamné à six mois de prison avec sursis. [33]
Compte tenu de cette propension à affabuler et de la paranoïa qui règne dans une partie de la communauté juive, peut-ont accorder un crédit total aux statistiques d’agressions antisémites ?
Cela n’empêche pas le démographe et statisticien Emmanuel Todd d’affirmer (sans chiffres pour appuyer son propos) :
« La recrudescence de l’antisémitisme est une réalité, non seulement en France mais dans l’ensemble du monde occidental. Ce nouvel antisémitisme n’est pas toujours bien compris. Je passe rapidement sur les restes probables d’antisémitisme dans la bourgeoisie française de province. Ces dernières années, on a surtout vu se développer un antisémitisme des banlieues au sein des populations d’origine maghrébine. »
Selon Emmanuel Todd « ce phénomène est avéré », mais il n’apporte aucun élément de preuve, sinon une impression peu scientifique.
Le démographe poursuit ainsi son raisonnement :
« L’erreur serait de l’interpréter comme découlant principalement de la politique d’Israël vis-à-vis des Palestiniens. On observe un antisémitisme du même type en Angleterre, où on a affaire à une immigration certes musulmane, mais essentiellement d’origine pakistanaise. Doit-on supposer un immense intérêt pakistanais pour la Palestine ? C’est peu probable…
En revanche, si nous traversons l’Atlantique, nous découvrons aux États-Unis des populations noires antisémites et, ici, nous ne pouvons sérieusement imaginer qu’elles se sentent une communauté de destin avec la Palestine. Il y a eu, certes, une petite mode de la conversion à l’islam chez les Noirs américains mais la plupart d’entre eux sont protestants et notamment baptistes, plus pratiquants en moyenne que les Américains blancs. »
Pour Emmanuel Todd (qui essaye là de se faire bien voir après son livre Qui est Charlie ?), cet antisémitisme des basanés du monde occidental aurait pour origine « le ressentiment envers les plus éduqués, et plus particulièrement, envers la part surreprésentée au sein de ces éduqués supérieurs : les juifs. », tandis que « l’antisémitisme d’autrefois était associé à l’argent ». [34]
En somme, l’antisémitisme trouverait sa source dans une jalousie cultivée par les goyim (non-juifs), et non pas en raison d’une praxéologie politique, économique et sociale.
Une brève histoire de l’antijudaïsme
que craignent et taisent Zemmour et BHL
La stratégie de Zemmour et des néoconservateurs autour et derrière lui, consiste, non pas à combattre un antisémitisme islamique (qui n’a pas fait ses preuves statistiques en France), mais plutôt à endiguer la résurgence d’un antijudaïsme socio-économique millénaire. Un antijudaïsme matérialiste, non racial, qui a pris, au XIXe siècle, une forme socialiste, lequel a alimenté celui d’extrême droite. Cet antijudaïsme d’extrême droite que pourfend sans cesse BHL depuis des décennies.
Pour conjurer cet antijudaïsme socio-économique, Zemmour et BHL appliquent la traditionnelle stratégie par tiers interposé [35] , consistant à s’allier avec un ennemi potentiel contre un tiers : le musulman contre le Français de souche, le Français de souche contre le musulman, le Noir contre le Blanc, etc.
Faisons appel à l’histoire de longue durée pour saisir la nature de cet antijudaïsme dont n’osent parler Zemmour et BHL, et qu’évoque à demi-mot Emmanuel Todd quand il parle de « l’antisémitisme d’autrefois associé à l’argent ».
Contrairement à l’idée reçue, l’antijudaïsme chrétien n’est pas la cause première des pogroms à travers l’histoire. Bien au contraire, un des objectifs premiers de l’Église a été durant des siècles de convertir les juifs et non pas de les exterminer ou de les chasser d’Europe. Les expulsions et les pogroms ont pour cause quasi exclusive les pratiques économiques des juifs et leurs conséquences sur les populations. Avant la naissance du christianisme, et en dehors de l’Europe, ce sont ces mêmes causes qui ont suscité la colère et la violence des peuples envers les juifs.
Bernard Lazare (1865-1903), Français juif et dreyfusard que l’on ne saurait soupçonner une seconde d’antisémitisme, retrace l’histoire de l’antijudaïsme de l’Antiquité à l’époque moderne dans son ouvrage L’antisémitisme, son histoire et ses causes (1894). Il met en évidence la constante économique et sociale de cet antijudaïsme. Par exemple, dans l’Antiquité, à Alexandrie (en Égypte), la majorité des juifs étaient riches, ils étaient armateurs, commerçants, agriculteurs :
« Les Ptolémées (NDA : ils ont régné sur l’Égypte entre 323 et 30 av. J.-C.) leur donnèrent la charge de fermiers des impôts ; ce fut une des causes de la haine du peuple contre eux. En outre ils avaient obtenu le monopole de la navigation sur le Nil, l’entreprise des blés et l’approvisionnement d’Alexandrie... Et la colère contre ces étranges accapareurs, formant une nation dans la nation, grandit... » [36]
Dans la Rome antique également, « là aussi les excessifs privilèges des Juifs, les richesses de quelques-uns d’entre eux, comme leur luxe inouï et leur ostentation, provoquèrent la haine du peuple. » [37]
Les historiens juifs et les auteurs philosémites ont souvent écrit que la pratique du prêt à intérêt avait été imposée aux juifs par les chrétiens ; or, le prêt à intérêt était déjà courant dans les royaumes antiques d’Israël et de Juda. Et par la suite, les juifs ont appris le métier de la banque durant leur exil à Babylone (VIe siècle av. J.-C.), bien des siècles avant la naissance du Christ. [38]
Abraham Léon (1918-1944), intellectuel juif marxiste mort à Auschwitz, récuse une autre thèse philosémite proche de celle que nous venons de mentionner :
« Il va sans dire que prétendre, comme le font la plupart des historiens, que les juifs ont commencé à s’occuper du crédit seulement après leur éviction du commerce, est une grossière erreur. Le capital usuraire est frère du capital commercial. Dans les pays d’Europe orientale, où il n’y eut pas d’élimination des Juifs du commerce, on rencontre un nombre respectable d’usuriers juifs.
L’exemple de la Pologne prouve encore la puérilité du schéma habituel des historiens juifs qui prétendent expliquer la fonction commerciale ou usuraire des Juifs par les persécutions. Qui avait donc interdit aux Juifs de Pologne de devenir agriculteurs ou artisans ? Bien avant les premières tentatives des villes polonaises de lutter contre les juifs, tout le commerce et toute la banque de ce pays reposaient déjà entre leurs mains.
En réalité, l’éviction des juifs du commerce a eu pour conséquence de les cantonner dans une des professions qu’ils avaient déjà pratiquées auparavant. » [39]
De l’Antiquité à la Renaissance en passant par tout le Moyen Âge, les pogroms et les expulsions des juifs, explique Bernard Lazare, eurent pour cause première la destruction économique engendrée par le prêt à intérêts et la collecte abusive de taxes. Ce qui provoquait l’exaspération des pauvres pressurés et spoliés [40] comme celle de la noblesse dépossédée.
Abraham Léon a une interprétation des causes de l’antijudaïsme proche de celle de Bernard Lazare. Dans sa rigoureuse étude, La Conception matérialiste de la question juive (1942), il observe :
« À mesure que l’usure devenait l’occupation principale des juifs, ils entraient de plus en plus en rapport avec les masses populaires et ces rapports empiraient sans cesse. Ce n’était pas les besoins de luxe qui poussaient le paysan ou l’artisan à emprunter chez l’usurier juif mais la détresse la plus noire. Ils engageaient les instruments de travail qui leur étaient souvent indispensables pour assurer leur subsistance. On peut comprendre la haine que devait éprouver l’homme du peuple pour le juif en qui il voyait la cause directe de sa ruine, sans apercevoir l’empereur, le prince ou le riche bourgeois qui s’enrichissaient grâce à l’usure juive. C’est en Allemagne surtout, où l’usure a pris sa forme la plus "populaire", principalement aux XIVe et XVe siècles, que s’est le plus manifestée la haine contre les juifs, haine qui aboutit aux massacres antijuifs et aux "incendies" des juifs (Judenbrand). » [41]
D’ailleurs, quand Emmanuel Todd évoque, sans s’appesantir, l’ancien antisémitisme fondé sur l’argent, c’est évidemment à cette histoire qu’il pense, cette histoire de la révolte sociale qui s’amalgame au pogrom, comme l’a expliqué l’économiste et historien (fondateur de l’historicisme économique) allemand Wilhelm Roscher (1817-1894) :
« Beaucoup de persécutions antijuives dans la période du Moyen Âge et dans lesquelles il s’agissait en premier lieu d’anéantir les traîtres, doivent être considérées comme des formes médiévales de ce qu’on appelle aujourd’hui une révolution sociale. » [42]
À la Renaissance, avec la transformation économique qui passe du capitalisme d’échange au capitalisme industriel, les juifs sont supplantés par les grandes maisons bancaires européennes chrétiennes (de Venise et d’Allemagne principalement). Les révoltes ne touchent plus les juifs mais les protestants… Toutefois, avec le protestantisme, écrit Bernard Lazare, « c’est l’esprit juif qui triomphe ». [43]
La fréquence très importante des pogroms et des expulsions de juifs durant plus de 1 500 ans était due au fait que les usuriers et collecteurs d’impôts israélites, qui jouaient le rôle intermédiaire entre d’un côté les rois et l’aristocratie terrienne, et de l’autre le peuple pressuré, étaient en première ligne et enduraient ainsi la colère populaire. C’était les risques du métier, le prix à payer pour s’enrichir grassement.
Dans l’Europe du XVIe siècle, le siècle protestant, on cessa de légiférer contre les juifs. [44] Par la suite, notamment, au XVIIe siècle, les juifs vont s’adapter à la nouvelle économie, et passer des Monts-de-piété (organisme de prêt sur gage), du prêt à la consommation, de la collecte d’impôts, à la finance internationale, notamment à Amsterdam (centre de la finance européenne, avec Florence) puis à Londres.
Les juifs usuriers devenus grands banquiers ne sont plus directement aux prises avec les peuples, et les pogroms se font moins fréquents.
Mais dans certaines régions, comme en Pologne, ils continuent leurs activités traditionnelles – ils sont collecteurs d’impôts, distillateurs, usuriers, intendants seigneuriaux – jusqu’au milieu du XVIIe siècle où ils vécurent prospères.
« Riches, puissants, ils avaient subsisté en égaux à côté des chrétiens, traités comme ceux du peuple au milieu duquel ils habitaient ; ils n’avaient pu néanmoins se livrer qu’à leur habituel commerce, à leurs vices, à leur passion pour l’or. Dominés par les talmudistes, ils ne surent rien produire sinon des commentateurs de Talmud. Ils furent les alliés des nobles dans leur œuvre d’oppression abominable, et quand les Cosaques de l’Ukraine et de la petite Russie, conduits par Chmielmicki, se soulevèrent contre la tyrannie polonaise, les juifs, complices des seigneurs, furent les premiers massacrés. En dix ans, dit-on, on en tua plus de cent mille, mais autant tua-t-on de catholiques et surtout de Jésuites. » [45]
Au XVIIIe siècle, les grandes institutions bancaires juives naissent (Rothschild, Warburg...) – sans oublier la banque de la famille Goldschmidt qui existe depuis le XVIe siècle et dont Vincent Bolloré est un descendant par sa mère [46] – et avec elles, un nombre croissant de juifs accèdent à « l’aristocratie » financière, s’enrichissant comme jamais. C’est l’époque contemporaine qui commence, les juifs s’éloignent du prêt à la consommation, et se dirigent vers les banques d’affaires ; activité plus lucrative et physiquement moins dangereuse. Le banquier d’affaire n’apparaît pas immédiatement aux yeux des peuples.
À partir du XIXe siècle, en Europe de l’Ouest, ce sont les intellectuels, les écrivains, les journalistes, qui vont révéler au grand public les scandales financiers qui vont déclencher les violences anti-juives.
Cet antijudaïsme économique porté par des socialistes se manifesta dès les débuts de la finance et de l’industrialisme juif. On trouve cet antijudaïsme sous la plume de Charles Fourier (1772-1837, considéré comme le précurseur du socialisme) [47] et Pierre-Joseph Proudhon (1809-1865, penseur socialiste anarchiste), qui mettaient en évidence l’action des juifs intermédiaires, agioteurs et improductifs.
L’antijudaïsme économique est encore plus marqué chez d’autres comme Alphonse Toussenel (1803-1885, journaliste, écrivain, socialiste disciple de Fourier) [48], qui influença Édouard Drumont (1844-1917). Drumont, que nos contemporains pointent du doigt comme le héraut de l’antisémitisme d’extrême droite est en réalité l’arbre qui cache la forêt de l’antijudaïsme socialiste. En effet, comme l’explique bellement Georges Bernanos (1888-1948), Édouard Drumont ne commence pas avec la question juive, il démarre par une critique sociale inspirée des événements de la Commune de Paris (1871) qui va le conduire finalement au rôle économique des juifs et à son fameux ouvrage La France juive :
« Comme autour d’un symptôme, le médecin voit se construire tout à coup, s’équilibrer en un dixième de seconde, la vision d’une maladie avec le déroulement de son histoire, ses origines, ses épisodes, sa terminaison probable, Drumont paraît avoir trouvé là, parmi ces pavés gluant d’un sang fraternel, l’une des images les plus fortes, les plus solides de son œuvre, cette peinture de la bourgeoisie conservatrice, esquissée par Veuillot et Proudhon, mais qu’il a reprise à sa manière, en traits puissants, avec un génie de la vraisemblance véritablement balzacien, un sens étonnant, divinatoire, des événements et des êtres. » [49]
On trouve dans Karl Marx (1818-1883) [50] , et dans Ferdinand Lassalle (1825-1864, théoricien socialiste, homme politique allemand), tous deux juifs, les mêmes appréciations que dans Fourier et Proudhon. Avant Bernard Lazare et Abraham Léon, Karl Marx écrivait dans son texte Sur la question juive (1843/44) :
« En théorie, le juif est privé des droits politiques alors qu’en pratique il dispose d’une puissance énorme et exerce en gros son influence politique diminuée en détail. La contradiction qui existe entre la puissance politique réelle du juif et ses droits politiques, c’est la contradiction entre la politique et la puissance de l’argent. La politique est théoriquement au-dessus de la puissance de l’argent, mais pratiquement elle en est devenue la prisonnière [...] Le juif par exemple, qui est simplement toléré à Vienne, détermine, par sa puissance financière, le destin de tout l’empire. Le juif, qui dans les moindres petits États allemands, peut être sans droits, décide du destin de l’Europe. » [51]
Aujourd’hui, le système économique et financier est plus complexe que celui du XIXe siècle, mais les peuples n’ont plus besoin de passer par les écrits d’un Toussenel, d’un Drumont ou d’un Marx pour voir l’éclatante puissance financière des Rothschild – qui sont à la fois derrière Macron, Zemmour [52] et Assa Traoré [53] – et l’arrogance communautaire du CRIF qui leur impose leurs injonctions idéologiques et leur omniprésence médiatique.
Attali et David de Rothschild ne viennent pas prélever chez nous l’impôt et les intérêts de leur prêt, mais BHL et Goldnadel affichent leur superbe, leur domination à chaque apparition médiatique et font éclater leur jubilation chaque fois qu’un non-juif est condamné, censuré, spolié pour insoumission. Ils se désignent comme ennemis du peuple. Et ils réinventent eux-mêmes l’antisémitisme au XXIe siècle. Voilà ce dont s’accusent mutuellement Zemmour et BHL.
À l’inverse des périodes historiques antérieures, celui qui, à l’époque contemporaine, est visible au premier abord, ce n’est pas le banquier ou l’usurier juif mais l’homme politique qui cache des oligarques peu médiatisés. C’est d’ailleurs la traduction dans la réalité de cet aveu d’Emmanuel Macron :
« David (de Rothschild) est au courant de mon engagement, je suis son "hedge", sa couverture. Quand la gauche sera au pouvoir, je serai sa protection. » [54]
Par conséquent, nous l’avons vu avec les Gilets jaunes – que Macron, la couverture de Rothschild, a éborgnés, mutilés et matraqués –, celui qui est en danger physique, c’est le ministre, le député, le Président même, qui assument devant le peuple la politique économique du banquier à l’abri. Mais avec Internet, la donne a changé, et le pouvoir occulte, caché derrière la « couverture », est de plus en plus apparent.
C’est au fond, cet antijudaïsme-là, ces pogroms-là qui ont été les plus fréquents historiquement et en tout lieu, et c’est lui que redoutent véritablement BHL et Zemmour. C’est d’ailleurs parce qu’ils le craignent le plus qu’ils ne parlent jamais de cet antijudaïsme économique qu’ils enrobent verbalement dans les antisémitismes « d’extrême droite » et « islamo-gauchistes ».
Zemmour et BHL face aux Gilets jaunes
La révolte des Gilets jaunes a été révélatrice de la crainte qu’ont ressenti les deux faces du judaïsme politique, représentées par BHL et Zemmour qui connaissent bien cette histoire de l’antijudaïsme économique.
Dès le premier acte des Gilets jaunes, Bernard-Henri Lévy a « senti » le potentiel « antisémite » du mouvement qui ne portait pourtant que des revendications économiques. BHL y a sans doute vu le début du cheminement emprunté par Drumont, de la question socio-économique à la question juive.
Dans un tweet du 17 novembre 2018, Bernard-Henri Lévy a qualifié le mouvement Gilets jaunes de poujadiste, avant d’ajouter :
« Échec d’un mouvement qu’on nous annonçait massif. Irresponsabilité des chaînes d’info qui attisent et dramatisent. Soutien à Macron, à son combat contre les populismes et à la fiscalité écolo. » [55]
Le lendemain, dimanche 18 novembre 2018, il tweetait :
« Je ne vais pas vous parler d’antisémitisme, ni du torrent de haine qui se déverse sur internet et qui, parmi d’autres, me vise parfois. J’aimerais vous parler de ce qui s’est passé, hier, dans notre pays. De la République. Des Gilets jaunes. Il s’est passé hier quelque chose de très important. Parce qu’un mouvement est inorganisé, auto-organisé, sans chef, il serait sans lendemain, sans identité politique ? Je ne crois pas. S’est produit, hier, un événement politique majeur.
Dans ce qui est en train de se lever en France, il y a de la détresse, de la souffrance mais aussi de la colère. Noble et belle, cette colère ? Ou passion triste ? Relire Descartes. Spinoza. Et écoutons les Gilets jaunes. » [56]
Le 24 novembre 2018, le B’naï B’rith (franc-maçonnerie juive) France tweetait :
« Ce climat insurrectionnel virant au chaos, avec ses relents nationalistes, racistes et antisémites, engage la responsabilité des apprentis-sorciers populistes qui soufflent sur les braises pour incendier la République. Attention danger. » [57]
Quelques semaines plus tard, le 6 décembre 2018, voyant le mouvement monter en puissance, BHL s’affole :
« Si les #GiletsJaunes n’ont pas le courage de virer les fachos de droite et de gauche qui les infestent, s’ils ne trouvent pas le courage de hurler, samedi, un immense « Not In Our Name », c’est tout leur mouvement qui finira aux poubelles de l’Histoire. » [58]
Puis il appelle à nouveau au soutien de la « couverture de David de Rothschild », Macron :
« Que Macron parle ou pas, que l’on soit d’accord avec lui ou non, qu’on soit pour ses réformes ou contre, n’a, à cet instant, aucune importance. Face à la montée en puissance des fachos, des factieux et des ennemis de la République, une seule option digne : #SoutienAuPresidentMacron » [59]
En février 2019, BHL lâche enfin sur Europe 1 :
« On ne peut malheureusement pas dire que l’antisémitisme est aux marges du mouvement, c’est le cœur du mouvement. » [60]
De son côté, Zemmour qui prônait déjà depuis quelques années la guerre civile ethnique, a été très gêné par ce mouvement social et populaire qui réfutait tout son discours de choc des civilisations. Contrairement à BHL, il n’a pas pris de front les Gilets jaunes mais a balayé d’un revers de main leurs revendications (lui qui touche un salaire mensuel de 40 000 euros et des millions d’euros de droits d’auteur) [61]. Lors d’un débat sur CNews face à Alexis Corbière le 4 décembre 2018 Éric Zemmour a répondu ainsi aux Gilets jaunes :
« On veut raser gratis. Et on a l’impression que c’est une critique faite à un régime à qui on reprocherait son excès de libéralisme alors que nous avons l’État-providence le plus lourd de l’Europe. Je pense que c’est mal réparti, mal organisé. » [62]
Près de deux ans plus tard, Zemmour s’est réjoui comme BHL avant lui de l’« échec » du mouvement des Gilets jaunes. Dans un édito du 18 septembre 2020 publié dans Le Figaro, il parlait de « fin de partie pour les Gilets jaunes », « vaincus », dit-il, « par l’extrême gauche et les voyous de banlieues ». [63]
Par ces mots, « vaincus », « fin de partie », « échec », BHL et Zemmour tentent de conjurer les fantômes du passé ressurgissant. Mais souvent les hommes provoquent ce qu’ils redoutent le plus.
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