Après des semaines de latence, la crise de l’Euro est en passe de connaître une accélération dramatique.
En Grèce, avec la double annonce de la suspension des négociations avec le FMI et de la suspension des prêts de la BCE aux banques, le « bank run » (ou panique bancaire) modéré que l’on connaît actuellement peut à tout moment s’amplifier et devenir incontrôlable. Or, l’effondrement du système bancaire grec signifierait, et il ne faut avoir aucun doute à ce sujet, la sortie de l’Euro pour ce pays. Alors que de nouvelles élections ont été programmées pour le 17 juin, il est désormais possible que la question de la présence de la Grèce dans la zone Euro soit tranchée en réalité par les marchés.
En fait, la politique d’austérité imposée par la Troïka ne fonctionne pas. Elle pousse la Grèce dans une dépression qui réduit ses ressources fiscales et reproduit le déficit budgétaire. C’est une politique absurde et inhumaine. Les dirigeants qui ont signé le mémorandum semblent soit ignorer tout de l’économie et de l’histoire, car nous savons depuis les années 1930 que de telles politiques sont condamnées à l’échec, soit ils ont sciemment commis un crime contre leur propre pays. Les Grecs ont eu raison de se révolter. C’est par la reconstruction de l’économie qu’il faudrait en réalité procéder. Mais pour cela, il faudrait investir massivement dans le pays, ce que l’on se refuse de faire. On continue de s’y refuser. La sanction des marchés sera implacable.
Comme si cette crise ne suffisait pas, deux autres viennent frapper à la porte.
En Espagne, l’adjudication, jeudi dernier, d’une somme de 2,54 milliards d’euros s’est faite dans de mauvaises conditions. Les taux à 4 ans sont montés au-dessus de 5% et les taux à dix ans atteignent 6,3%. Le rapprochement rapide des taux à court terme avec les taux
À long terme est le symptôme indubitable d’une crise de liquidité. On croyait ce type de crise réglée par les prêts accordés par la Banque Centrale Européenne aux banques (les LTRO). Nous voyons qu’il n’en est rien. L’Espagne est, désormais, dans la même situation que début novembre dernier. La dégradation de la note de 16 banques espagnoles par l’agence Moody’s vient ajouter une nouvelle pierre à l’édifice de la crise.
Mais cette dégradation est logique quand on sait que le pourcentage de crédits qui ne sont pas remboursés atteint désormais 8,1% de l’encourt total. Encore faut-il savoir que ce chiffre est une moyenne générale pour le système bancaire espagnole. Dans certaines banques régionales, on atteint des taux de plus de 10%. Le pays est pris en étaux entre une récession qui provoque un taux de chômage historique (quasiment 25% de la population active et plus de 50% des moins de 30 ans) et une crise bancaire massive, qui vient de l’insolvabilité des ménages, elle-même le produit de la baisse des revenus qui est provoquée par ce chômage sans précédent.
Cette crise bancaire n’est aucunement une surprise. Elle avait été annoncée par l’auteur de ces lignes en septembre dernier. Elle est désormais une réalité. La seule solution possible est que l’État prenne à son compte les dettes privées, mais la somme nécessaire atteint désormais de 170 à 250 milliards. Sous la menace d’un « bank run » qui peut se déclencher très rapidement, le gouvernement ne pourra plus tergiverser et devra demander rapidement à bénéficier de l’aide européenne par l’entremise du Fond Européen de Stabilisation Financière (FESF).
À ceci s’ajoute de très mauvaises nouvelle d’Irlande. Les banques de ce pays, déstabilisées par une récession profonde, vont avoir besoin d’une aide supplémentaire venant en addition aux 63 milliards d’Euros que le gouvernement irlandais a déboursé ces trois dernières années pour leur venir en aide. L’Irlande, si l’on en croit un rapport établi par la Deutsche Bank, devrait demander elle aussi une nouvelle aide au FESF.
Ces mauvaises nouvelles ne sont pas directement liées. La Grèce s’enfonce dans une crise tant politique qu’économique alors qu’elle connaît sa cinquième année consécutive de récession et que sa richesse interne (le PIB) a baissé de 20%. L’Espagne doit faire face aux conséquences de l’immense bulle immobilière sur laquelle ses gouvernements successifs avaient fondé la croissance. L’Irlande paye un choix de financiarisation à outrance. Pourtant, comment ne pas vois que ces trois pays font partie de la zone Euro, et que les choix de politique économique qui les ont conduits à la situation actuelle sont le produit des contrainte exercées par l’Euro.
Cette situation se traduit par une aggravation rapide de la crise en Italie (ou les taux à 10 ans ont atteint 5,8%), au Portugal (déjà sous perfusion du FESF) mais aussi de la France, dont l’écart des taux avec l’Allemagne a atteint Jeudi 16 mais 1,4% (142 points de base).
Désormais attaquée de toute part, la zone Euro est en train de craquer. Seules des mesures radicales pourraient l’empêcher de sombrer. Mais, ces mesures ont été obstinément refusées tous ces derniers mois. Il est peu probable qu’elles soient prises dans les semaines à venir.
Les conséquences seront, il faut le craindre, traumatisantes non seulement en Europe, mais aussi hors de l’UE, et en particulier en Russie.
Les pays de l’Union Européenne constituent le premier client pour les exportations russes. Or, il est désormais évident qu’ils vont connaître une récession de longue durée, voire pour certains d’entre eux une dépression. Les craintes qui désormais s’expriment publiquement quant à la survie de l’Euro ont aussi des conséquences pour les réserves de la banque Centrale de Russie comme pour l’épargne des ménages et des entreprises.
Le gouvernement russe, en dépit de ses efforts, est relativement démuni face à une telle crise. Il cherche, depuis quelques mois, à constituer autour de la Russie un bloc commercial avec l’Union Douanière. Mais il doit désormais se préoccuper des conséquences financières et non plus seulement économiques d’un possible éclatement de la zone Euro. Quand le navire coule, il est temps de mettre à l’eau les canots de sauvetage.
La seule question qui reste posée est de savoir si nous assisterons à un naufrage dans le désordre, ou si les gouvernements des pays de la zone Euro sauront s’entendre pour trouver une issue concertée, qui soit le moins traumatisante possible. Il faut certes continuer d’espérer, mais il faut aussi se préparer au pire.