(suite) Vous avez, vous aussi, « choisi d’essayer de comprendre », Recteur. De comprendre, entre autres choses, que ce qui nous détermine, vous, moi et les autres, ne fait pas qu’échapper à notre emprise ; ces déterminants sont, en plus, contradictoires. Vous êtes même bien tombé ; en toutes modestie soit dit. Tenez : je vous parlais de « citoyenneté allemande » et voila que j’habite en Allemagne ; réalisation d’un rêve inavouable ? Non ; je n’aime pas les Allemands. Je suis contre l’immigration, aussi ; je suis un immigré. Je me dirais que j’aurais failli à mon devoir éducatif, si mon fils s’engageait dans l’Armée, mais je sais bien que c’est à la Légion étrangère qu’il ferait la meilleure expérience humaine. Les mots me manquent pour dire à quel point je déteste ce qu’on fait faire à la grande Muette et combien je méprise ses chefs ; pourtant, je dit parfois à mes filles aînées (leur cadette promet le pire !) que « l’Armée leur ferait le plus grand bien » et je le pense vraiment ! Je ne regrette pas d’avoir fait le service militaire chez les Fusiliers marins, au contraire de tous (tous) mes camarades de promotion - « scientifiques du contingent » - mais je quittai la Royale avec un profond mépris pour les officiers que je fréquentais au mess ; avec le plus grand respect, en revanche, pour l’officier marinier* qui forma notre trentaine d’EOR (élèves officiers de réserve) au métier des Armes et nous dit, haut et fort, le dernier jour des classes, que pour rien au monde il ne voudrait monter en grade... Comme je le comprends !
* c’est à dire un sous-officier
Ah, ce n’est pas simple de vivre dans l’Empire, Recteur !