Pour rebondir sur Léon Bloy :
« On vous a dit, n’est-ce pas ? que mes violences écrites offensaient la
charité. Je n’ai qu’un mot à répondre à votre théologien. C’est que la Justice
et la Miséricorde sont identiques et consubstantielles dans leur absolu. Voilà
ce que ne veulent entendre ni les sentimentaux ni les fanatiques. Une doctrine
qui propose l’Amour de Dieu pour fin suprême, a surtout besoin d’être virile,
sous peine de sanctionner toutes les illusions de l’amour-propre ou de l’amour
charnel. Il est trop facile d’émasculer les âmes en ne leur enseignant que le
précepte de chérir ses frères, au mépris de tous les autres préceptes qu’on leur
cacherait. On obtient, de la sorte, une religion mollasse et poisseuse, plus
redoutable par ses effets que le nihilisme même.
Or, l’Evangile a des menaces et des conclusions terribles. Jésus, en vingt
endroits, lance l’anathème, non sur des choses, mais sur des hommes qu’il
désigne avec une effrayante précision. Il n’en donne pas moins sa vie pour tous,
mais après nous avoir laissé la consigne de parler « sur les toits », comme il a
parlé lui-même. C’est l’unique modèle et les chrétiens n’ont pas mieux à faire
que de pratiquer ses exemples. Que penseriez-vous de la charité d’un homme
qui laisserait empoisonner ses frères, de peur de ruiner, en les avertissant, la
considération de l’empoisonneur ? Moi, je dis qu’à ce point de vue la charité
consiste à vociférer et que le véritable amour doit être implacable. Mais cela
suppose une virilité, si défunte aujourd’hui, qu’on ne peut même plus prononcer son nom sans attenter à la pudeur… »
(Léon Bloy, Le Désespéré)