« La patrie ou la mort, nous vaincrons ! »
L’audacieux leitmotiv de Thomas Sankara n’est pas sans rappeler le célèbre « J’aime ma patrie plus que mon âme » de Machiavel. Mais cet absolu politique, jusqu’alors trop peu concrétisé, ne bénéficie d’aucune aura historique car seuls les vainqueurs jouissent d’une mémoire. Qui, aujourd’hui, pour nous parler de ce président des pauvres qui a refusé l’ordre du monde et revendiqué un peu de majesté pour son peuple ? Qui pour rappeler qu’entre l’espoir et le mythe, Thomas Sankara fut l’exception politique ayant mis tout en œuvre pour conjurer la misère asservissante de son Burkina Faso ?
Ce pays, alors quasi dépourvu d’industrie, était au début des années 80 l’un des plus nécessiteux de la planète : climat sahélien au nord, soudanais au sud, quelques vallées fertiles et du manganèse en sous-sol. Pas d’accès à la mer. C’est dans cette configuration infernale que notre jeune nationaliste a refusé d’être l’esclave des hommes libres ; qu’il a refusé les dépendances néocoloniales, la corruption des pays voisins et les financements de la Banque mondiale. Il a pris à bras le corps le destin de son pays en centralisant l’économie sur les besoins concrets de la population, en s’attaquant à la bureaucratie et en limitant de façon drastique le budget de l’État. État qui fut jusqu’alors une machine au service de la classe dirigeante pour asseoir sa domination et défendre ses intérêts.
Désormais les ministres au mandat court et non-renouvelable furent contraints d’accepter de modestes indemnités et privilèges quant à leurs fonctions : Renault 5 à la place de la Mercedes ; voyage à l’étranger en seconde classe et simples hôtels ; un champ à disposition de chaque fonctionnaire pour leur consommation personnelle et la prise de conscience des réalités agricoles du pays ; le port obligatoire deux fois par semaine du « Faso dan fani » un habit 100 % coton produit, tissé et cousu au Burkina, dont Sankara lui-même faisait la publicité lors de conférences internationales ! Cet investissement et effort de tous, cette résistance aux logiques financières, consuméristes et prestigieuses de notre Empire permit au budget national et donc aux investissements publics de tripler de 1983 à 1987.
Sankara n’avait que faire du pouvoir. Seul ce qu’on pouvait réaliser avec pour le peuple l’intéressait. Un pouvoir donc aux mains des burkinabés pour favoriser enfin l’essor de leur nation : l’éducation, la nourriture, l’eau, l’habillement et le logement pour tous, une politique de santé et une autre en direction de la femme, une réforme agraire et foncière, une justice sociale et une lutte obstinée contre la corruption, dont les procès étaient diffusés à la radio…
Mais dans un monde qui cherche avant tout à être rentable plus qu’à satisfaire ses besoins, la probité révolutionnaire et démocratique (l’une peut-elle d’ailleurs se réaliser sans l’autre ?) d’un Sankara est antinomique, voire insolente, à toutes nos politiques qui cherchent inlassablement des paravents ou des excuses pour ne pas entendre les impératifs populaires. On ne peut trop exiger des hommes. L’assassinat du jeune chef d’État burkinabé le 15 octobre 1987 stoppa définitivement l’une des plus incroyables expériences politiques contemporaines…
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