Egalité et Réconciliation
https://www.egaliteetreconciliation.fr/
 

Afghanistan : une note secrète critique l’armée américaine

Placée au cœur de la révision stratégique de la nouvelle Administration américaine, la formation des forces de sécurité afghanes est pour l’heure mal engagée. C’est en tout cas ce qui ressort des confidences d’un officier de la coalition, qui a passé une partie de l’automne à Kaboul.

Dans son discours du 2 décembre sur l’Afghanistan, Barack Obama a annoncé que le transfert de l’autorité aux forces locales, prélude à un désengagement de l’armée américaine, commencerait dès juillet 2011. D’ici là, espèrent les Américains, la jeune Armée nationale afghane (ANA) aura vu ses effectifs passer de 85 000 à 134 000 hommes. Un optimisme guère partagé par le président Hamid Karzaï, qui estime qu’il faudra au moins quinze ans pour former une armée et une police dignes de ce nom.

Dans une note confidentielle que s’est procurée Le Figaro, l’officier de la coalition, qui tient à rester anonyme, critique la manière, très anglo-saxonne, dont sont formés les Afghans. Ces derniers, dit-il, sont convoqués à Kaboul pour des stages sans qu’aucun logement ne leur soit offert. Ils se perdent dans les « traductions intégrales d’énormes manuels américains ». Leur solde étant insuffisante, ils choisissent parfois de déserter pour offrir leurs services aux talibans, qui offrent de meilleurs salaires. Ceux qui sont originaires de Kaboul refusent de quitter la capitale et monnaient leur poste auprès des fonctionnaires corrompus du ministère afghan de la Défense. Le facteur ethnique entretient lui aussi un « décalage entre les officiers formés à Kaboul et ceux qui combattent dans les brigades ».

Un archipel fermé

Trop peu d’initiatives sont laissées aux militaires afghans. Leurs vieux AK 47 (fusil d’assaut kalachnikov), que les Afghans maîtrisent parfaitement bien, ont été remplacés de manière autoritaire par des M 16 américains flambant neufs, mais encombrants. « On ne permet pas aux Af ghans de combattre à leur manière, en petites bandes très agressives (c’est-à-dire comme les rebelles que nous avons en face de nous) tout en ayant du mal à en faire des bataillons et des brigades manœuvrant à l’occidentale », déplore l’officier.

Pour noircir encore le tableau, il affirme que « la galaxie de la formation est un champ de bataille feutré entre alliés », qui tentent d’enraciner leur influence sur le principal dossier géopolitique du moment. Résultat : « L’investissement humain et matériel est démesuré par rapport au résultat obtenu. » Le mois dernier, l’amiral Mike Mullen regrettait lui aussi la lenteur avec laquelle se met en place le corps de 912 officiers américains censés former leurs collègues afghans. Parce que la formation n’est pas considérée, con trairement à la participation aux combats conventionnels, comme un accélérateur de carrière aux États-Unis, les volontaires sont peu nombreux et parfois d’un niveau insuffisant, déplorait le chef d’état-major interarmées américain.

Pour l’officier, la coalition et ses représentants, qui ne se déplacent qu’en blindés, comme de « petits corps étrangers », ressemble à une immense machine « tournant un peu sur elle-même et souvent pour elle-même ». Le quartier général de l’Isaf, qui compte 2 000 membres, et les bases de Kaboul forment un « archipel fermé à l’immense majorité de la population ».

Renverser la tendance

Quant aux méthodes de combat des forces américaines, elles n’ont guère évolué, selon lui, depuis le Vietnam. La puissance de feu américaine transforme en « héros » les rebelles qui osent la défier et les bavures qui en découlent effritent le soutien de l’opinion publique. « Cette façon de faire la guerre à distance est perdante à terme. McChrystal (commandant des troupes américaines) veut enrayer cette spirale « vietnamienne », mais il s’agit là d’un combat à mener contre la culture de sa propre armée », prévient l’officier.

Et les Français, dans tout ça ? Coincés dans cet ensemble complexe, responsables de deux zones, dont l’une, la Kapissa, particulièrement difficile, ils travaillent auprès de la population, mais ne peuvent, faute de renforts, sortir de leur position « défensive ». D’autant que dans « les petites armées occidentales “tertiairisées” », les fonctions de commandement et d’encadrement ont tendance à prendre le pas sur les opérations de combat.

Même si elle sera « longue et difficile », la guerre n’est pas perdue pour autant, affirme l’officier, « parce que les talibans sont détestés » par la population. Mais pour renverser la tendance, il faudrait favoriser l’avènement d’un gouvernement moins corrompu à Kaboul et obtenir un « arrêt total » du soutien pakistanais aux mouvements rebelles. Son appel à doubler les salaires des militaires semble avoir été entendu, puisqu’un responsable américain a promis une augmentation des soldes… L’officier propose enfin d’intégrer des militaires afghans dans les unités combattantes de la coalition. « L’association des compétences tactiques des cadres occidentaux et de la connaissance du milieu des guerriers locaux a donné d’excellents résultats dans les guerres au milieu des populations. » À bon entendeur…