Dimanche 6 mars 2022, il est 15 heures, il fait frais mais beau à Lyon, deuxième ville française par l’importance économique. Des grappes de Lyonnais et de non-Lyonnais montent de partout sur la butte de la Croix-Rousse pour assister au meeting de Jean-Luc Mélenchon au Gros Caillou, cette place qui surplombe la ville. La Croix-Rousse est ce camp de travail qui regroupait 30 000 esclaves des soieries lyonnaises au milieu du XIXe siècle, et d’où est né le premier soulèvement ouvrier, qui inspirera Marx puis Lénine. On connaît la suite.
La foule se presse contre les barrières, la place est déjà noire de monde, impossible de voir la scène, alors on écoute. Discours enregistrés ou en live, difficile de savoir. Ça oblige à tendre l’oreille, comme Jean-Luc qui a avoué un jour son problème de légère surdité qui le forçait à se sur-concentrer sur ce qu’il entendait. On doit deviner qui parle : un Ukrainien en anglais sur la guerre, un vieux Français sur la paix, une jeune LFI, peut-être Manon Aubry, la préférée de Jean-Luc ?
Les 5 milliardaires les plus riches possèdent autant que 27 millions de Français.
Mais ce n'est jamais assez pour eux et les ultrariches ont gagné 237 milliards € pendant la pandémie.
Avec @JLMelenchon, nous partagerons enfin les richesses dans ce pays !#MelenchonLyon pic.twitter.com/r960hMFyCI
— Manon Aubry (@ManonAubryFr) March 6, 2022
C’est bien qu’on parte de cette coupure entre super riches et super pauvres, parce que c’est le nœud du problème, et de Mélenchon, et de la France. Le public de ce meeting, qui représente grosso modo l’électorat de Mélenchon, est constitué en grande partie du sous-prolétariat.
Sociologiquement, c’est indéniable : jeunes « crasseux » selon l’expression infamante de Jean Messiha, zonards et punks à chiens, bobos désargentés, vieux gauchistes, camés & alcoolos, très peu de jeunes femmes, pas mal de profs (reconnaissables entre tous à leur look ÉducNat), beaucoup d’étudiants (on imagine en socio, histoire ou psycho), des intermittents, des artistes, des antifas qui vendent le journal Liberté (un euro pour la cause), des curieux, quelques flics des RG avec leurs baskets neuves. Une bourgeoise qui s’est perdue pendant sa promenade dominicale, et un habitant « béret 1945 » à moitié sourd qui nous demande ce qu’il se passe sur la place.
Bref, le prolétariat est parti à droite chez Marine, le sous-prolétariat est resté à gauche chez Méluche. C’est ce qui différencie ces deux populismes.
Cela veut dire que Mélenchon doit s’adresser à ces gens-là, de la classe dite inférieure, plus vraiment aux ouvriers ou à la classe moyenne. L’électeur de Mélenchon, s’il a un boulot, c’est un boulot mal payé ou précaire. Du coup, difficile de lui faire faire grève, d’ailleurs, JLM appelle rarement à la grève. Les discours de LFI sont destinés à faire du bien à cette catégorie sociologique : on dénonce les riches, les dictateurs, les bellicistes. Le meeting avait justement pour objectif la paix, un peu comme en 36.
Si vous ne décidez pas, rappelez vous que vous ne déciderez plus. Hollande a déclenché la guerre au Mali, et Macron l’a continuée. On a voté une seule fois en 9 ans et on n’en a pas reparlé !#MelenchonLyon #MeetingPourLaPaix pic.twitter.com/QF4HYFYUvp
— Jean-Luc Mélenchon (@JLMelenchon) March 6, 2022
Mélenchon, qui est un fin politique, sait très bien qui domine, il doit donc servir à ses troupes électorales un discours qui va les valoriser, et dévaloriser l’Ennemi, le Riche, le « salaud » au sens sartrien, sans toucher à la clôture électrifiée. Le problème, avec le logiciel gauchiste, est toujours le même : on finit toujours par buter sur le pouvoir profond, qu’on ne peut dénoncer, ou définir trop précisément, sous peine de radiation du jeu. Alors on en reste à des généralités, de grandes et belles phrases. Ce qui fait un peu mal au cul, pour des anti-impérialistes, c’est de basculer dans le camp de l’OTAN...
Face à l'horreur de la guerre, tous nos efforts doivent viser un cessez-le-feu & le retrait des russes.
“On ne fait pas la guerre pour se débarrasser de la guerre” disait Jaurès.
Ne nous laissons pas prendre au piège de l'escalade militaire tendu par Poutine ! #UkraineRussiaWar pic.twitter.com/wHVckClfQq
— Manon Aubry (@ManonAubryFr) March 1, 2022
Pour les amateurs de méluchisme
On vient de comprendre que le discours qu’on a entendu au départ, avant l’arrivée sur scène du catcheur, était celui de Mathilde Panot, pas de Manon Aubry. Le leader maximo arrive à 29’35 sur scène, à la manière d’un catcheur américain (ne manquez pas l’entrée de Rusev, 8e du classement, à 6’22).
Mais la politique mainstream, comme le catch, est un sport truqué. On ne parle jamais du pouvoir profond, pourtant hautement explicatif des arbres qui s’abattent sur la tête des peuples : qui les coupe, et pourquoi ? Et quand un membre de LFI commence à en parler, à l’instar de Kuzmanovic, on le fout dehors. Il y a bien un populisme intelligent et un populisme idiot à gauche, et on peut dire la même chose du complotisme.
Jean-Luc (ou un autre), quand tu cibleras le pouvoir profond, quand tu ne prendras pas ton public pour un enfant, tu auras nos voix. Le Système te bordurise, t’invisibilise pour reprendre le verbe à la mode, autant y aller à fond !
Que les médias veulent cacher le plus grand meeting de la campagne n'est pas banal. Tout est fait pour rendre invisible nos meetings. Mais Jean-Luc Mélenchon progresse chaque jours n'en déplaise à ceux-ci. #UnAutreMondeEstPossible https://t.co/6Kh1NXEB30
— Michel Duchatelet (@mdcouln) March 7, 2022
Dans la dynamique de ce gros meeting de campagne réussi, qui écrase tous les autres meetings des candidats de gauche, impopulaires au possible, les cadres de LFI se frottent les mains : un second tour ne semble plus impossible. Et c’est BFM TV qui le dit !
Jean-Luc Mélenchon, cette « tortue sagace », comme il se surnomme, se rapproche lentement mais sûrement de la barre de qualification pour le second tour de la présidentielle. C’est en tout cas ce que veulent croire ses proches. Ils assurent qu’il ne faut que quelques points à grignoter pour que Jean-Luc Mélenchon se qualifie. Le candidat parle lui-même d’un « trou de souris » qui peut lui permettre d’accéder au second tour.
« Ça roule bien », savoure son directeur de campagne, Manuel Bompard, dans Le Parisien ce dimanche. « On est dans les clous de la feuille de route qu’on s’était fixée : un début de cristallisation en février qui se prolonge en mars. Et qui rend possible l’hypothèse de notre présence au second tour ».
Les sondages, bidonnés à mort pour faire monter Macron et Pécresse, qui sont à la ramasse en réalité, confirment une remontée de Mélenchon, qui doit être troisième derrière Marine et Zemmour, ou Zemmour et Marine. Les populismes, de droite ou de gauche, ont le vent en poupe, comme en 1933 ! Et si jamais ils fusionnent, on ne vous raconte pas...