A la Pentecôte, comme chaque week-end de fête ou presque, la SNCF a connu des perturbations importantes. Pas de pluie, de neige ni de tempête pour cette fois, mais une vague de suicides sans précédent.
Triste record lors du week-end de Pentecôte. « Nous n’avions jamais vu une telle vague d’accidents de personnes, comme l’on dit pudiquement pour dire suicide. Douze en trois jours, de samedi à lundi, c’est du jamais vu à la SNCF. C’est un traumatisme pour les conducteurs, les cheminots et les voyageurs, au delà du drame humain qui se cache derrière une telle action », déclarait alors sur Europe 1 Michel Pronost, porte-parole de la SNCF. Question du journaliste : « Comment se fait-il que les voies ne soient pas protégées ? » Question stupide à laquelle M. Pronost répondait néanmoins : « Nous allons réfléchir du point de vue technique parce qu’aujourd’hui seules les voies des lignes à grande vitesse sont protégées par des grillages. 30 000 kilomètres de voies ne le sont pas ».
Croit-on vraiment que 60 000 km de grillages (il en faut de chaque côté des voies) résoudront le problème ? C’est aussi absurde que d’envisager la construction d’un mur de Dunkerque à Bayonne pour empêcher la marée de déferler. Sans parler du coût. Et si l’on va par là, il faut aussi arracher tous les arbres du bord des routes (certains le demandent également) par crainte des accidents, ou faire fondre la neige des montagnes par crainte des avalanches et placer les villes sous cloche par crainte des tempêtes.
La réalité qu’il convient d’affronter est celle du suicide dans notre pays, pas celle de la protection des voies SNCF.
La France détient, malheureusement, des taux record de mort par suicide. Elle arrive en tête des pays européens, juste après la Finlande. Première cause de mortalité chez les 15-35 ans, le suicide fait chez nous deux fois plus de morts que les accidents de la route : plus de 10 000 personnes par an, soit un suicide toutes les cinquante minutes. Et encore ces chiffres sont-ils sous évalués d’environ 20 %, nous dit un rapport du Haut Comité de la Santé Publique.
N°1 pour la déprime, N°1 pour la consommation de psychotropes, la France est malade dans sa tête. La joie de vivre y semble plus rare encore que la croissance. « La corrélation est étroite avec le chômage, la précarité, la pression professionnelle et le relâchement des liens familiaux et sociaux », nous disent les sociologues. Quelle découverte. On pourrait alors se demander comment il se fait qu’on se suicide moins dans des sociétés infiniment plus misérables et précaires que les nôtres.
Plus encore que la SNCF, la RATP est touchée par le phénomène. Les “accidents graves de voyageurs” qui paralysent le trafic y sont quotidiens. Il faut dire que le métro parisien est hanté par quantité de marginaux et autres SDF, malades mentaux manifestes, qui devraient être à l’hôpital et pas sur les quais.
La RATP a donc mis en place une “cellule” et, au titre de la formation professionnelle, offre à ses agents « un module pour les préparer à réagir à tout voyageur en situation de mal être ». On aurait en effet constaté que « souvent, les voyageurs prêts à faire une tentative de suicide en parlent aux agents aux guichets ». Sauf qu’il n’y a quasiment plus d’agents aux guichets, remplacés qu’ils sont désormais par des machines automatiques. Alors, à qui se confier ?
Mais ceci explique sans doute cela… Corroboré d’ailleurs par les résultats d’une enquête rendue publique ce matin : la Société Saint-Vincent-de-Paul a fait réaliser en avril dernier une enquête auprès d’un millier de personnes âgées de 18 à 35 ans. Résultat : 19 % de ces jeunes – pourtant la génération la plus connectée aux “réseaux sociaux” – déclarent souffrir de la solitude. Commentaire d’un psychologue en milieu hospitalier : « La solitude est le revers de la médaille des formidables libertés dont jouissent les individus d’aujourd’hui. Nous faisons partie des premières générations qui souffrent de ce revers, à la suite de celles qui ont surtout perçu les bénéfices des libertés nouvelles, tout en profitant des cadres structurants transmis par les précédentes générations. En quelques décennies, nous sommes passés de “l’ivresse de la libération” à “l’angoisse de la liberté”. »
Une angoisse qui peut pousser vers le néant ceux qui, noyés dans cette société droguée au matérialisme, n’ont aucun cadre spirituel auquel se référer.