Egalité et Réconciliation
https://www.egaliteetreconciliation.fr/
 

Après l’accord États-Unis/Iran, le monde se réorganise

En juillet, le mensuel politique serbe de référence, Geopolitika, a interviewé Thierry Meyssan sur la situation dans les Balkans et au Proche-Orient. Nous reproduisons ici cet entretien avec des notes sur les dernières évolutions. Pour l’analyste, les relations internationales sont dominées par la volonté états-unienne de garder le économique contrôle global et d’empêcher l’émergence de nouveaux rivaux, la Russie, la Chine et l’Union européenne. L’affrontement se joue à la fois au Proche-Orient et en Ukraine. Le basculement de l’Iran, d’une position révolutionnaire et anti-impérialiste à une position nationaliste et à une ambition d’influence régionale, redistribue toutes les cartes.

Gepolitika : Monsieur Meyssan, la Serbie et le Sud-Est de l’Europe en général, ont été « inondés » par la vague des immigrants. S’agit-il d’un processus spontané ou est-ce que quelqu’un serait intéressé par le déplacement d’une partie importante de la population du Proche-Orient, d’Afghanistan et d’autres pays vers le vieux continent ? Est-ce qu’il y a quelqu’un qui voudrait priver le président el-Assad du soutien de son peuple en encourageant les migrations depuis la Syrie ?

Thierry Meyssan : Personne n’avait prévu l’ampleur de la vague de migrants actuelle. Ils proviennent principalement de Syrie, d’Afghanistan et de la Corne de l’Afrique. Contrairement à ce que prétendent les politiciens occidentaux, il ne s’agit ni de gens à la recherche du niveau de vie européen, ni de personnes qui tenteraient d’échapper à des régimes dictatoriaux. Ce sont simplement des êtres humains qui fuient les combats car leur pays est en guerre, généralement du fait des politiques occidentales.

Les politiciens européens n’ont toujours pas compris que cette migration est la conséquence de la stratégie états-unienne depuis 2001. Washington ne cherche plus à prendre le contrôle d’États, mais à détruire les États et à imposer un chaos dans lequel rien ne peut s’organiser sans leur volonté. C’est la théorie du philosophe Leo Strauss qui a formé de nombreux responsables du secrétariat à la Défense.

Cependant il est désormais évident pour les États-uniens que si le chaos sert localement leurs intérêts, il ne peut être contrôlé et tend à s’étendre. Les migrants sont désormais si nombreux qu’ils peuvent déstabiliser des États que Washington imaginait stables. Il semble que l’administration Obama vienne de modifier ses choix : abandonner la théorie du chaos et revenir à la confrontation classique de la Guerre froide. C’est en tous cas ainsi que j’interprète à la fois la nomination du nouveau stratège du secrétariat à la Défense, James H. Baker, la publication de la nouvelle Military Strategy par Ashton Carter, et les déclarations du prochain chef d’état-major interarmes, le général Joseph Dunford.

Nous devrions donc voir, dans les années à venir, ce flux migratoire s’atténuer. Mais il faudra au moins deux ans pour que les populations réagissent à ce changement de stratégie. La crise actuelle va donc d’abord s’amplifier avant de se résoudre lentement.

Geopolitika : Deutsche Welle et d’autres médias occidentaux annoncent avec malveillance la chute prochaine du régime en Syrie. Quelle est votre opinion sur la situation au front, qui est en train de devenir vraiment compliquée ? Comment aider l’armée syrienne, bien sûr, avant tout de façon militaire ? Est-ce que la Syrie peut toujours compter sur le soutien de la Russie pour l’armement, et sur l’aide de l’Iran, l’Irak et le Liban en ce qui concerne le personnel ?

Thierry Meyssan : Les médias occidentaux prennent les rêves israéliens pour une réalité. Cela fait quatre ans qu’ils nous annoncent chaque semaine la chute imminente du « régime ». En fait, la situation a été critique à la mi-2012, mais est parfaitement contrôlée aujourd’hui.

Sur 23 millions de Syriens, 3 à 4 millions sont réfugiés à l’étranger, 18 à 19 millions soutiennent la République arabe syrienne et environ 500 000 soutiennent les jihadistes. Les médias occidentaux masquent cette réalité en publiant des cartes absurdes sur les « zones libérées » par les jihadistes. Or, l’Armée arabe syrienne a prit le parti de ne sécuriser que les villes et d’abandonner les déserts, qui représentent plus de la moitié du territoire. De son côté, l’Émirat islamique tient 3 villes et des routes à travers le désert. Les médias occidentaux font semblant de croire qu’il contrôle tout le désert. C’est simplement ridicule.

La guerre a déjà été gagnée. Les événements actuels se poursuivront néanmoins tant que l’on fournira des mercenaires, de l’argent et des armes aux jihadistes. Ce qui logiquement devrait cesser après la signature de l’accord bilatéral secret entre les États-unis et l’Iran, parallèlement à l’accord multilatéral sur le nucléaire des 5+1.

Concernant les alliances, pour beaucoup d’habitants du Proche-Orient, la partition de la Syrie historique par les Britanniques et les Français en 1916 (accords Sykes-Picot) a créé des États, mais n’a pas changé les peuples. Beaucoup de Libanais considèrent qu’ils forment un seul peuple avec les Syriens. Et ce sentiment existe, dans une moindre mesure, en Jordanie et en Palestine. Lorsque le Hezbollah est venu se battre en Syrie, il a affirmé intervenir non pas pour protéger la Syrie, mais le Liban. On voit bien aujourd’hui qu’il avait raison : si le Hezbollah n’avait pas sécurisé la frontière syro-libanaise du côté syrien, le Liban serait aujourd’hui ravagé par la guerre.

La Russie, quant à elle, a toujours protégé la Syrie lorsque son existence était menacée, et elle continuera de le faire. Mais il serait naïf de croire que Moscou fera plus. Elle a soutenue la Syrie — comme la Novorossia — au Conseil de sécurité, mais n’est pas intervenue directement dans les combats — ni en Syrie, ni en Novorossia—. Elle a même refusé de fournir des armes essentielles comme des images satellitaires ou des détecteurs de tunnels [1].

L’Iran a changé au cours de cette guerre. Au départ, à l’époque de Mahmoud Ahmadinejad, les Iraniens étaient prêts à mourir pour leur idéal anti-impérialiste. Aujourd’hui, avec cheik Hassan Rohani, ils pensent à intégrer le commerce international et à étendre leur zone d’influence. Téhéran va donc continuer à soutenir Damas, mais il est vital pour la Syrie de se trouver de nouveaux alliés au risque d’être bientôt dominée par les Perses.

Lire la suite de l’article sur voltairenet.org

Notes

[1] Cet entretien a été réalisé avant l’accord Washington/Téhéran du 14 juillet. Depuis, un groupe de travail militaire russo-syrien a été mis en place. Moscou a renforcé son aide militaire et commencé à partager du renseignement avec Damas.

Voir aussi, sur E&R :

 
 






Alerter

7 Commentaires

AVERTISSEMENT !

Eu égard au climat délétère actuel, nous ne validerons plus aucun commentaire ne respectant pas de manière stricte la charte E&R :

- Aucun message à caractère raciste ou contrevenant à la loi
- Aucun appel à la violence ou à la haine, ni d'insultes
- Commentaire rédigé en bon français et sans fautes d'orthographe

Quoi qu'il advienne, les modérateurs n'auront en aucune manière à justifier leurs décisions.

Tous les commentaires appartiennent à leurs auteurs respectifs et ne sauraient engager la responsabilité de l'association Egalité & Réconciliation ou ses représentants.

Suivre les commentaires sur cet article

  • #1246337
    Le 14 août 2015 à 11:02 par Titi
    Après l’accord États-Unis/Iran, le monde se réorganise

    Croire que le Sénat US, à genoux devant Sion, ratifiera l’accord, c’est croire au père Noël .

     

    Répondre à ce message

  • #1246371
    Le 14 août 2015 à 12:40 par Bastian
    Après l’accord États-Unis/Iran, le monde se réorganise

    Les USA ont toujours cet avantage considérable d’aller porter la guerre chez l’ennemi, grâce à ses armées puissantes. Cuba a résisté 50 ans avant de céder et l’Iran 40 ans.
    Maintenant, on assiste à une course contre la montre car la Russie et la Chine ne peuvent rien faire avant l’effondrement de l’économie américaine qui est maintenue sous perfusion, ils doivent en effet ne pas céder aux provocations et aux tentatives d’intimidation de l’oncle Sam, c’est une vraie partie d’échec et les USA mettent toutes leurs forces dans la bataille pour rester la nation la plus puissante du monde.

     

    Répondre à ce message

  • #1246389
    Le 14 août 2015 à 13:37 par Florent
    Après l’accord États-Unis/Iran, le monde se réorganise

    Peut-on prendre pour argent comptant les analyses de T Meyssan, ou serait-il judicieux de les tempérer en fonction du rôle de manipulation (partielle) qu’il serait contraint de respecter ?

     

    Répondre à ce message

    • #1246532
      Le Août 2015 à 16:48 par Francois Desvignes
      Après l’accord États-Unis/Iran, le monde se réorganise

      Les vérités entâchées d’erreur de Meyssan sont plus justes que les manipulations enjolivées de quelques vérités de l’Empire.

      Il est très bien informé
      Libre
      Courageux

      C’est la version journalistique de Tintin (lui-même reporter)

      Donc, il peut se tromper.

      Mais le plus souvent que sur l’accessoire et toujours de bonne foi.

       
  • #1246445
    Le 14 août 2015 à 15:05 par michel
    Après l’accord États-Unis/Iran, le monde se réorganise

    La force principale des Etats-unis,c’est qu’elle n’est pas une nation au sens pur du terme,ce n’est pas un peuple avec une culture et une langue propre.Ce n’est que l’extension de l’Empire britannique avec des populations venus des 4 coins du monde.Cela fait un pays mais pas plus.
    Ils ont absorbés toutes les ressources du monde depuis leur création en 1783 et sont devenus n°1 à la faveur de 2 guerres mondiales et grâce aux capitaux venus du monde entier.

    Ensuite,habilement du reste,ils se sont présenté comme vertueux,garant de la sécurité mondiale,une sorte d’ange gardien mais la réalité a fini par éclater puisque blanche neige n’était autre que le diable.

    Enfin,nombre de pays et de gouvernements pleurent et se plaignent des agressions états-uniennes mais ils continuent à collaborer avec eux et demeurent dans toujours dans le système fabriqué aux Etats-unis,c’est ahurissant et honteux.

    Mais il y a une fin à tout et tout Empire s’écroule un jour et se voit écraser par une nouvelle puissance qui impose sa loi.A court terme,les Etats-unis devraient encore conserver un peu de leur suprématie mais la messe est dîtes car la Chine va bientôt s’imposer.

    Pour l’Iran,difficile d’évaluer son rôle à l’avenir mais tout porte à croire qu’il s’inscrit dans le monde multipolaire voulu par la Chine et la Russie avec plusieurs puissances dominantes.

     

    Répondre à ce message

  • #1246562
    Le 14 août 2015 à 17:43 par Laurent Guyénot
    Après l’accord États-Unis/Iran, le monde se réorganise

    Dans ce que j’ai lu de Léo Strauss, je n’ai trouvé nulle trace d’une théorie du chaos constructeur. J’aimerais que TM nous donne sa source.

     

    Répondre à ce message

  • #1246642
    Le 14 août 2015 à 20:19 par ferdinand
    Après l’accord États-Unis/Iran, le monde se réorganise

    "Aujourd’hui, avec cheik Hassan Rohani, ils pensent à intégrer le commerce international...".
    Pour ce faire, ils doivent adhérer au système économique dit "Rothschild" de Banques Centrales Indépendantes (ou privées), dont les règles sont décidées à la Banque des Règlements Internationaux de Bâle, en Suisse.
    Cela va permettre aux usuriers internationaux d’endetter l’Iran grâce aux intérêts prélevés sur la création monétaire et c’en est donc terminé de la souveraineté économique de ce pays, puisqu’une fois endetté c’est à ses créanciers qu’il devra obéir.

     

    Répondre à ce message