Que cache la guerre des fuites de procès-verbaux dans les médias ? Deux clans s’opposeraient-ils au plus haut sommet de la justice ?
« Cocorico ! » L’Elysée exultait jeudi soir après les rétractations partielles de Claire Thibout, l’ex-comptable de Liliane Bettencourt. Mais la joie s’est révélée de courte durée.
Tout d’abord, après lecture des procès-verbaux plus complets de Mme Thibout, on se rend compte que la rétractation n’est que très partielle. Elle a maintenu ses principales accusations, à savoir que Patrice de Maistre (le conseiller financier de Mme Bettencourt mère) lui a demandé des sommes en liquide pour financer la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy et qu’André et Liliane Bettencourt ont donné de l’argent à des personnalités politiques.
380 000 euros en espèces
Le témoignage de l’ex-comptable a été conforté, hier, par celui de l’ancienne secrétaire d’André Bettencourt (décédé le 19 novembre 2007), Mme Chantal Trovel. Selon le site de l’hebdomadaire Le Point, Mme Trovel a expliqué à la police judiciaire que son patron donnait de l’argent à des politiciens. Comme Mme Thibout, elle n’a pas vu la transmission des enveloppes « en direct » mais l’ancienne secrétaire assure que « tout le personnel était au courant ».
Enfin, un autre hebdomadaire, Marianne qui paraît ce jour, s’est procuré les fameux carnets de l’ex-comptable de Mme Bettencourt. Il révèle que, durant les quatre mois précédant l’élection de Nicolas Sarkozy, 380 000 euros ont été retirés en espèce du compte que possède Mme Liliane Bettencourt à la BNP de Paris.
Pluie de procès-verbaux
L’un des épisodes les plus révélateurs de cette affaire d’Etat consiste en cette guerre des procès-verbaux à laquelle se livrent les médias et, au-delà, deux clans qui semblent s’opposer au sommet de l’appareil politico-judiciaire.
Jeudi, Le Figaro (quotidien progouvernemental) reçoit deux heures (!) après l’audition de l’ex-comptable Claire Thibout, certains extraits de procès-verbaux tirés de cet interrogatoire. Il s’agit des passages (certains sont dûment surlignés) les plus favorables aux versions défendues par le pouvoir.
Peu après, c’est au tour du Monde, proche de l’opposition, de recueillir d’autres extraits des procès-verbaux, mais qui, cette fois-ci, se montrent plus défavorables à la thèse défendue par l’Elysée. Puis, d’autres médias sont arrosés par des documents de même nature.
Enquête sous contrôle
Habituellement, ce genre de fuite est organisé par les plaignants et les inculpés, voire par leurs avocats. Dans le cas présent, ces parties ne sont pas en mesure de diffuser ces procès-verbaux. En effet, l’affaire Woerth-Bettencourt se développe sous le régime de l’« enquête préliminaire » menée par la police judiciaire sous la direction du procureur de la République de Nanterre, Philippe Courroye. Dans ce genre de procédure, les parties et les avocats n’ont pas accès au dossier.
Dès lors, les procès-verbaux prennent le chemin suivant. Les policiers les transmettent au procureur qui les communique ensuite à un organe du Ministère de la justice, la Direction générale des affaires criminelles qui tient au courant la ministre Michèle Alliot-Marie, puis l’Elysée.
Les fuites ne peuvent provenir que de cette chaîne. Comme il est peu probable que des policiers prennent l’initiative de balancer de tels documents à la presse, il est raisonnable de penser que ces fuites sont organisées au plus haut niveau de cet appareil politico-judiciaire. Les « arrosages » se révélant tantôt favorables, tantôt défavorables à la thèse de l’Elysée, on peut en déduire l’existence de deux clans opposés. Cette analyse a été jugée « très plausible » par plusieurs de nos confrères parisiens.