Réunis à Bruxelles lundi 18 juillet, un certain nombre de ministres des Affaires étrangères européens ont appelé à un « changement de régime » en Syrie. Rien de neuf sous le soleil bruxellois et eurocratique, donc, mais certaines déclarations en disent long sur l’incroyable arrogance, et aussi sur l’irresponsabilité des chefs de la diplomatie européenne.
Une diplomatie auxiliaire de celle du Département d’Etat américain dont elle reprend les analyses, et s’efforce de devancer les desiderata. Les ministres européens devaient d’ailleurs accoucher lundi d’une déclaration commune menaçant de sanctions « visant les responsables ou ceux qui sont associés à la répression violente. »
On aimerait rappeler à ces ennemis de la violence que celle-ci n’est pas le fait des seules forces de l’ordre syriennes, mais ces subtilités échappent apparemment aux super-diplomates de l’Union européenne. Qui sont apparemment saisis d’une fièvre d’ »ingérence démocratique » à faire saliver Bernard Kouchner.
Ainsi l’ineffable Mr Hague, patron du Foreign Office britannique, qui met carrément le marché en mains à Bachar al-Assad : ou les réformes, ou le départ. Peut-être ignore-t-il que le président syrien s’est solennellement engagé, devant son peuple, à réformer la constitution, la justice, les partis politiques, et à promouvoir une décentralisation effective. Mais Mr Hague ne peut plus attendre. De toute façon, c’est sur la Turquie qu’il compte pour ramener le gouvernement syrien à la raison.
Si l’on ne s’étonnera pas de l’attitude de la Grande-Brtagne, traditionnel « porte-avions » des Américains en Europe – que le gouvernement soit travailliste, centriste ou conservateur – on aura une mention spéciale pour le ministre suédois des Affaires étrangères, Carl Bildt, qui espère de nouvelles sanctions européennes contre Damas et estime que « le régime (syrien) est arrivé au bout » et a « perdu sa crédibilité et sa légitimité » – et tant pis pour les millions de Syriens descendus et redescendus dans la rue pour soutenir leur président !
L’impressionnable M. Bildt
Mais M. Bildt, décidément très inspiré par la situation syrienne, déborde d’idées pour résoudre la crise : il n’écarte pas tout à fait la possibilité d’une intervention militaire diligentée par la Ligue arabe, ou au moins d’une zone d’exclusion aérienne, comme pour la Libye aujourd’hui et l’Irak hier ; et puis, bien sûr, il met tous ses espoirs dans l’opposition qui, figurez-vous, l’ »impressionne ». Eh oui, M. Bildt se dit « impressionné par l’unité et la non-violence » de l’opposition syrienne.
Avouons que nous sommes à notre tour « impressionnés » par M. Bildt : l’ »unité » de l’opposition syrienne ? Mais elle est déjà divisée entre opposants de l’intérieur, plutôt réformistes, et opposants exilés, et dominés par les Frères musulmans et autres radicaux. Même cette dernière opposition, qui tient régulièrement congrès en Turquie, affichait encore ses tensions, le week-end dernier à Istambul, entre Kurdes et Arabes, et qui peut croire sérieusement que des islamistes vont cohabiter durablement et harmonieusement avec des laïcs libéraux, des féministes et des « facebookeux » ?
La « non violence » ? M. Bildt n’a donc pas entendu parler des dizaines de policiers tués par les Salafistes à Jisr al-Choughour ? I Il n’a pas lu les témoignages – relayés par des journalistes anglo-saxons – des habitants de cette ville et de ses environs sur la violence des groupes armés qui y ont fait brièvement la loi ? Il ne sait pas que la veille et l’avant-veille de sa réunion bruxelloise, des heurts confessionnels provoqués par des crimes des extrémistes sunnites ont ensanglanté Homs, avant que l’armée syrienne n’y mette fin ?
A ce stade de cécité volontaire, on préfère se dire que ces eurocrates déconnectés de toute réalité – c’est du reste le propre des eurocrates – prennent leurs désirs – qui sont aussi ceux de la Maison Blanche – pour des réalités, et que leurs déclarations solennelles et indignées iront rejoindre dans les poubelles de l’Histoire diplomatique celles qu’ils ont déjà faite par le passé sur la stabilité et la modernité des dictatures d’Hosni Moubarak et de Ben Ali , sur la victoire inéluctable de la démocratie en Afghanistan, ou sur l’effondrement imminent de la république islamique d’Iran.