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Assurance santé : « Les riches ne payeront plus pour les pauvres »

Après avoir donné ses recettes pour sauver le système public de santé, Elie Arié explique les différences entre les assurances complémentaires (privées ou mutualistes) et la Sécurité sociale. Le tout est une question de solidarité.

Au moment où une part croissante des remboursements des soins basculent de la Sécurité Sociale vers les assurances complémentaires (privées ou mutualistes), il est important de préciser leurs différences, que tous n’ont peut-être pas toujours présentes à l’esprit.

Le principe de toute assurance, c’est la mutualisation du risque : ceux dont l’appartement ne brûle pas payent pour ceux dont l’appartement brûle, et qui n’auraient pas pu faire face aux conséquences de ce sinistre avec leurs seuls moyens financiers. C’est un sinistre qui coûte très cher à l’assureur, mais qui survient très rarement. C’est pourquoi votre assurance incendie appartement vous coûte en général beaucoup moins cher que votre assurance auto, que vous faites jouer beaucoup plus souvent, alors que votre appartement a plus de valeur que votre auto.

La conséquence de la mutualisation du risque, c’est qu’un assureur (privé ou mutualiste) doit avoir un maximum d’assurés pour que le système fonctionne ; les assureurs doivent donc consacrer une part importante de leur budget (en général 10 à 15%) à attirer chez eux un maximum de clients : publicité , marketing, et, pour l’assurance-santé, marketing sélectif (qui coûte encore plus cher) vers les assurés « rentables » : jeunes, riches, et en bonne santé.

MUTUELLES, ASSURANCES PRIVÉES, MÊME COMBAT ?

Les Mutuelles, crées en France lorsque la Sécurité Sociale n’existait pas, à but non lucratif, mais soumises au même principe de la mutualisation du risque, donc à l’obligation d’avoir un maximum d’adhérents, se différencient des assureurs privés parce qu’elles n’ont pas le droit d’exiger un interrogatoire et un examen médical à l’entrée (sélection des assurés en fonction du niveau du risque individuel) ni celui d’exclure un adhérent qui leur coûte trop cher sans avoir à se justifier.

Mais cette différence entre Mutuelles et Assurances privées a aujourd’hui disparu en France : en effet, la plupart des compagnies assurances privées proposent aujourd’hui des contrats-santé dits « solidaires », qui font l’objet d’encouragements fiscaux très intéressants pour elles, dans lesquels elles renoncent volontairement à leur droit d’opérer une sélection à l’entrée ou une exclusion en cours de contrat.

La seule différence restante réside dans le but non lucratif des mutuelles, mais en réalité le montant des primes dépend surtout du nombre de leurs adhérents et des garanties couvertes par leurs contrats, différentes pour chaque assureur ou pour chaque mutuelle. Par contre, ce montant ne dépend du niveau de revenus de l’assuré ou adhérent.

« SEULE LA SÉCURITÉ SOCIALE PRATIQUE LA SOLIDARITÉ »

L’assurance-maladie de la Sécurité Sociale n’a aucun rapport avec les assurances privées et les mutuelles, parce qu’elle repose sur des principes sont radicalement différents.

1 -Elle est universelle : tous les résidents en France en sont obligatoirement membres ; elle n’a donc pas besoin de consacrer une part de son budget à la publicité et au marketing ; c’est pourquoi ses frais de gestion sont de 5,5%, contre 15 à 20% pour les assureurs privés ou mutualistes ; c’est pourquoi la concurrence des assureurs est toujours plus chère qu’une assurance publique universelle et obligatoire.

2 – Ses tarifs dépendent des revenus des adhérents, et non du risque couvert : elle fonctionne selon le principe « chacun paye suivant ses revenus pour avoir droit à une couverture identique et à des soins (en théorie) de qualité égale ». Elle constitue donc une forme de redistribution des revenus, comme l’impôt sur le revenu, que chacun paye suivant ses revenus pour que ses enfants aient droit aux mêmes (en théorie) écoles publiques.

3- Sa garantie et ses « tarifs » sont liés à des droits : un « assuré social » payera les mêmes cotisations et la même CSG, fonction de ses revenus, qu’il soit célibataire sans enfants, ou qu’il soit marié avec une femme sans emploi et avec 8 enfants (les « ayant-droit »), qui se trouveront également couverts par les mêmes cotisations, alors qu’un assureur privé ou mutualiste exigera autant de primes que de personnes assurées.

En conclusion, si assurances privées, mutuelles et Sécurité Sociale fonctionnent toutes sur la mutualisation du risque (« les biens portants payent pour les malades »), seule la Sécurité Sociale pratique la solidarité (« les riches payent pour les pauvres ») parce que ses tarifs sont proportionnels aux seuls revenus. Le niveau de solidarité de notre système de soins peut être mesuré à l’importance de ceux d’entre eux qui sont couverts par la Sécurité Sociale. Or, chacun constate aujourd’hui qu’en France, cette part recule chaque jour.

« QUAND ON MANQUE DE COURAGE POLITIQUE, LA SOLIDARITÉ RECULE »

Pourquoi ce passage du « les plus riches payent pour les plus pauvres » de la Sécurité Sociale au « les biens portants payent pour les malades sans considération de leurs revenus » des assurances complémentaires, à but lucratif ou mutualistes ?

Parce que l’ État et la Sécurité Sociale se sont avérés incapables, en France, d’évaluer la qualité et l’utilité des soins, de les financer en fonction de ces critères, de définir des priorités en matière de santé, et de résister à la démagogie du « j’ai droit à tout, tout de suite ».

Personne ne peut tout financer, le « tout » étant illimité : la ressource humaine, financière, temporelle, consacrée au système de soins est par construction limitée/rare, quels qu’en soient le niveau, le mode et la nature du financement. Le nier implicitement, comme on l’a fait depuis 1945, revient à institutionnaliser le gaspillage et partant les inégalités, tout en proclamant l’inverse.

Ainsi, l’État tire-t-il les conséquences de son incapacité, depuis cinquante ans, à construire une politique de santé publique, à rémunérer en priorité la qualité et l’utilité, à résister aux lobbies de toutes sortes (professionnels de santé, industrie pharmaceutique, assurés sociaux au comportement de plus en plus consumériste incompatible avec un financement public), et confie-t-il ce rôle aux assureurs et aux mutuelles.

Mais la conséquence, c’est que « les riches ne payeront plus pour les pauvres » : comme toujours, chaque fois que l’on manque de courage politique, la solidarité recule. Dommage, car d’autres pays (Québec, etc.). ont prouvé que , même en économie libérale, ce n’était pas une fatalité.