Avec 37 meurtres depuis le début de l’année pour une population d’environ 400 000 habitants, la Guadeloupe détient un triste record national, qui lui vaut des comparaisons avec la Corse et Marseille, et la visite annoncée pour octobre du ministre de l’Intérieur Manuel Valls.
En juin dernier, le Premier ministre Jean-Marc Ayrault, alerté par les forces de l’ordre et les élus, avait annoncé l’affectation provisoire de 75 gendarmes mobiles ainsi que des policiers supplémentaires dans la zone de sécurité prioritaire (ZSP) couvrant des quartiers de Pointe-à-Pitre et des Abymes.
Il y avait urgence : 44 homicides, assassinats ou décès résultant de violences volontaires ont été recensés en 2011, 36 en 2012 et déjà 37 cette année, selon les chiffres officiels.
La plupart sont le fait de la criminalité crapuleuse des règlements de comptes entre petits dealers de marijuana et de crack - les stupéfiants les plus consommés - , mais une douzaine relèvent de la violence gratuite, intraconjugale, intrafamiliale ou intra-amicale, "sans intention de donner la mort", observe Frédéric Peyran, le directeur départemental de la Sécurité publique (DDSP). "Le passage à l’acte est plus facile ici, les disputes et les rixes dégénèrent plus vite, c’est impulsif, réactif", selon le DDSP.
"On tue et après on se rend compte qu’il est trop tard quand les effets des drogues et de l’alcool se sont dissipés : la plupart des meurtres le sont pour des peccadilles", affirme à l’AFP Dimitry Zandronis, réalisateur guadeloupéen qui s’est vu confier par le conseil général la réalisation de spots télévisés contre les violences faites aux femmes.
"Un jeune a été tué parce que son pote a fait un compliment à une jeune fille" à la sortie d’un night-club de la marina de Pointe-à-Pitre, rappelle M. Zandronis, 40 ans.
Et d’un autre côté, souligne Guy Etienne, le procureur de la République de Pointe-à-Pitre, "l’Etat est dans l’incapacité de mettre un policier derrière chaque individu, surtout à 5 heures du matin quand se produit ce genre de drame".
"Je suis en colère, tout comme j’ai honte, aujourd’hui, de représenter la société guadeloupéenne", avait tonné le magistrat en son Palais de Justice, au lendemain du 37ème meurtre commis dans l’île au petit matin du dimanche 1er septembre. "En ce moment, c’est silence on tue !", avait-il dénoncé.
"Il faut que la société se saisisse de ce problème afin de faire comprendre à une certaine jeunesse que la violence est l’arme des faibles et que détenir une arme, c’est avoir la possibilité de s’en servir. La vie a un prix sans commune mesure avec celui d’un scooter, d’une chaîne en or ou d’un mauvais regard échangé !", a souligné M. Etienne.
Le patron de la sécurité publique a aussi relevé dans l’île cette "propension à la détention d’armes, principalement de chasse, sans trafic d’armes ni armes de guerre".
Les gendarmes nouvellements affectés multiplient les contrôles routiers, notamment pour rechercher des armes. Leur présence, voyante, semblerait avoir fait baisser le nombre de braquages pendant l’été, période plus critique avec des pics de criminalité attribués par la rumeur aux jeunes guadeloupéens de métropole venus en vacances.
Quant aux renforts de policiers, ils ont eu droit, lundi, à une cérémonie d’accueil largemet médiatisée.
Pour autant, l’inquiétude de Dimitry Zandronis ne diminue guère car pour lui, le mal est plus profond : "La société a échoué. C’est un échec des politiques, de l’Education nationale, des syndicalistes - LKP compris -, un échec des mass-médias, des indépendantistes".
"Nous avons hérité d’une société de pères absents : absents de leurs responsabilités, du foyer, de l’éducation, et le modèle est souvent un père collectionneur de trophées féminins", déplore-t-il.
"Cette violence quasi quotidienne n’est pas née aujourd’hui : elle nous éclate à la figure car, à force de mettre la poussière sous le tapis, elle déborde un jour", estime le réalisateur qui rêve de "structures d’accueil dans chaque cité : cela crée aussi des emplois, nous vivons oui ou non dans un pays développé ?".