1) Que pensez vous des événements qui se déroulent actuellement en Ukraine ?
Les événements en Ukraine sont une réplique de la tentative de révolution colorée de 2004. A l’époque, déjà, les forces euro-atlantistes avaient tenté de détacher l’Ukraine de son partenariat avec la Russie. C’était au moment de la succession de Leonid Koutchma lequel avait accepté un an avant, en 2003, un partenariat étroit avec Moscou. Les Américains, en utilisant des officines comme Freedom House ou les subsides de Georges Soros, en s’appuyant sur les méthodes de « révolution pacifique » mises au point par Gene Sharp (qui faisait des stages de formation pour les étudiants serbes, géorgiens, ukrainiens aux États-Unis au début des années 2000), tentaient de tourner l’Ukraine vers l’OTAN et l’Union européenne, les deux processus d’intégration allant de paire.
En 2010 la parenthèse otanienne s’était achevée par un retour vers la Russie avec l’élection de Vicktor Ianoukovitch. Nous sommes donc dans une nouvelle tentative aujourd’hui. Les force euro-atlantiques constatent que Poutine parvient à reconstruire la zone d’influence russe grâce à l’Union douanière qu’il propose et que l’Arménie vient d’accepter. Il faut dire que les arguments russes sont concrets : une énergie à prix préférentiel, un commerce bilatéral réel et qui représente plus du tiers du commerce ukrainien aujourd’hui. En face, il n’y a que mirage et illusion. Pour l’Ukraine intégrer l’Union européenne cela reviendrait à choisir l’Union soviétique en 1989 ! L’Union européenne est en crise, peut-être en train de disparaître. Qu’a-t-elle à proposer à l’Ukraine, un pays de 45 millions d’habitants ? C’est la perspective d’un effondrement mutuel accéléré, sans doute souhaitée par Washington.
2) Comment interprétez vous la résistance des institutions ukrainiennes aux forces de l’unipolarité ?
Le président ukrainien, soutenu par le parti des régions pro-russe, qui peut s’appuyer au moins sur une Ukraine orientale qui représente les 2/3 du PIB du pays n’est certainement pas une marionnette de la Russie comme veulent le faire croire nos médias. Sinon pourquoi aurait-il eu des relations tendues avec Moscou à plusieurs reprises, à propos du gaz notamment ? Ce président a essayé de défendre l’intérêt ukrainien à plusieurs reprises dans le dossier énergétique et cherchait à trouver un équilibre entre l’Union européenne et la Russie. Son approche n’était pas dogmatique mais réaliste. Seulement il s’est rendu compte que les Européens, inféodés aux Etats-Unis n’avaient qu’un seul objectif obsessionnel : couper Kiev de Moscou et créer une fracture entre les deux pays. Il a pesé le pour et le contre et s’est rendu compte qu’il ne pouvait pas prendre le risque d’une sécession de l’Est qui aurait résulté d’un retournement unilatéral vers l’Union européenne.
3) Comment jugez vous la retranscription médiatique de ces événements ?
Aussi caricaturale qu’elle le fut en 2004 ! On présente les gentils Ukrainiens pro-Europe que l’on oppose aux méchants pro-russes. Comme d’habitude c’est de la propagande du Financial Times recopiée mot à mot dans les journaux français. C’est désolant. On ne voit par, par exemple, les médias s’intéresser aux mouvements d’extrême-droite qui constituent, dans des proportions au moins aussi fortes que les islamistes radicaux dans l’opposition syrienne, une large part des manifestants. Dans ce cas là, il y a tout à coup la « bonne extrême droite », celle qui est rendue invisible aux yeux du grand public français. Le traitement de cette crise révèle une fois de plus la pauvreté du journalisme français, sa misère intellectuelle et sa soumission aux schémas transatlantiques. Moi qui lit beaucoup la presse anglo-saxonne, je suis atterré d’y trouver davantage d’esprit critique que dans nos propres médias.