Le Moyen-Orient est décidément une région compliquée et la situation en Syrie nous le rappelle une fois de plus. En effet, il est clair qu’ en l’absence d’ingérences étrangères, le conflit armé dans ce pays serait déjà terminé depuis longtemps et n’aurait certainement pas pris la dimension qu’on lui connaît aujourd’hui.
Beyrouth semble sur le point d’exploser. La tension politique croissante et l’évolution de la situation sécuritaire ont atteint un niveau critique. Le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a déclaré mercredi [27 février] que « quelques jours peut-être nous séparent de la sédition ». Tout indique que les événements du 7 mai 2008 peuvent se répéter.
La tension au Liban n’a cessé de monter depuis quelques semaines, mais elle a atteint un niveau critique dans les derniers jours. Les deux adversaires sont le camp chiite dirigé par le Hezbollah d’une part et le camp sunnite fondamentaliste salafiste d’autre part. Pourtant, la confrontation entre eux est le résultat de ce qui se passe hors du Liban. Il y a la guerre civile syrienne, le bras de fer régional et international avec l’Iran et la guerre entre sunnites et chiites dans le monde islamique.
Un facteur nouveau est cependant apparu sur la scène libanaise : le leader sunnite salafiste, Cheikh Ahmad al-Assir. Dans une conférence de presse qu’il a tenue mardi 26 février dans son quartier général de Sidon, au Sud-Liban, le leader salafiste a indiqué qu’il donnait au gouvernement libanais jusqu’au vendredi 1er mars pour satisfaire à ses exigences : il affirme que le Hezbollah m’a mis sous siège à Sidon en se servant des habitants chiites de la ville. Les menaces d’Assir donnaient à comprendre clairement qu’il demandait au gouvernement libanais de faire partir ces gens de Sidon ou au moins de des les expulser des alentours de son quartier général. Il a posé d’autres exigences qui s’insèrent dans le contexte du conflit qu’il a initié avec le Hezbollah. Il a dit que si ses exigences n’étaient pas satisfaites, il prendrait un certain nombre de mesures sur le terrain, plus particulièrement pour couper la route que relie Beyrouth au sud, dans la direction de Sidon.
Bien sûr, le gouvernement ne peut pas répondre positivement à ces exigences. Le cheikh salafiste avait coupé cette même route en juillet 2012 pendant environ un mois. Elle avait été rouverte en août sous les pressions politiques et populaires contre lui.
Mais le problème fondamental avec la menace d’Assir, c’est qu’elle isolerait les unes des autres les zones où domine le Hezbollah, en particulier les axes logistiques vitaux et indispensables qui relient son fief dans la banlieue sud de Beyrouth et sont extension opérationnelle, géographique et populaire dans le sud du Liban. Notons que d’autres organisations salafistes alliées avec Assir pourraient envisager de faire la même chose dans la vallée centrale de la Bekaa. Ce qui priverait le Hezbollah de deux autres artères vitales : la route entre le sud et les régions chiites de la Bekaa, et la route entre Beyrouth et Damas, où siège le régime syrien, l’allié le plus important de l’organisation chiite libanaise.
Le Hezbollah semble avoir soupesé les menaces d’Assir et les juge graves. En fait, l’analyse du Hezbollah est que les menaces d’Assir sont une étape importante de la mission qui lui a été confiée : attirer le Hezbollah dans un affrontement interne [au Liban] et dans des conflits sectaires, quel qu’en soit le prix.
Assir a procédé progressivement par étapes préparatoires avant de se lancer dans cette démarche. Ses miliciens et ceux du Hezbollah se sont affrontés à Sidon le 11 novembre 2012, après son exigence du retrait des affiches du Hezbollah de la zone. Deux personnes avaient été tuées. Assir avait continué à agir au même rythme jusqu’à sa dernière exigence de nettoyer la zone autour de son siège des résidents chiites et ses affrontements avec eux le 23 février.
Il semble que le Hezbollah ait décidé de donner un dernier avertissement. Nasrallah a prononcé un discours télévisé mercredi après-midi. Il a nié les rumeurs dans les médias selon lesquelles il était malade et avait été transféré en Iran. Il a également émis un avertissement sévère : il a dit que l’incitation [à l’affrontement] sectaire conduira inévitablement à une explosion, ce qui peut n’être qu’une question de jours. Il a appelé les bonnes volontés à agir avant qu’il ne soit trop tard.
Le discours de Nasrallah était semblable à son discours du 6 mai 2008, quand le Liban était dans un vide présidentiel. Le Parlement n’avait pas réussi à élire un successeur au président Émile Lahoud, qui avait quitté le palais présidentiel à la fin de son mandat le 24 novembre 2007.
À l’époque, après plusieurs mois de tensions sectaires, une série d’affrontements entre sunnites et chiites hommes armés avait commencé à Beyrouth et dans ses faubourgs. Nasrallah était apparu à la télévision et avait déclaré que la sédition était proche et qu’il avait décidé de la prévenir. Dans les heures qui avaient suivi son discours, des éléments du Hezbollah s’étaient répandus à Beyrouth et dans d’autres secteurs et ils avaient rapidement réglé la question. Ils avaient éliminé la présence de toutes les milices sunnites armées de la mouvance du Courant du Futur de l’ancien Premier ministre libanais Saad Hariri. On estime que des dizaines de personnes avaient été tuées.
Ces affrontements avaient ouvert la voie à une médiation arabe et internationale, qui avait abouti à une conférence entre les différentes parties libanaises à Doha deux semaines plus tard. La conférence avait débouché sur un accord pour élire comme président le commandant en chef de l’armée à l’époque, le général Michel Sleimane.
Le discours de Nasrallah mercredi contient de nombreux éléments de ce scénario. Le Liban est à l’approche d’un vide parlementaire. Le Parlement est divisé et incapable de s’entendre sur une nouvelle loi électorale. Les tensions de sécurité s’accroissent parallèlement aux tensions politiques. Il y a cependant un élément manquant dans la situation actuelle. À savoir qu’aucun pays de la région n’est en capacité de jouer un rôle de médiation, à la suite de la forte polarisation causée par la guerre en Syrie. L’Occident en général souhaite la stabilité au Liban, mais pas au point d’investir beaucoup d’efforts pour assurer cette stabilité. Par conséquent, la situation actuelle est très volatile et les choses évoluent d’heure en heure.
Jean Aziz, Al-Monitor Lebanon Pulse, 28 février 2013