Un appareil israélien a violé mercredi à l’aube l’espace aérien syrien un « centre de recherche sur l’autodéfense » dépendant de l’Armée, dans le secteur de Jomrayah-al-Hameh, à moins de dix kilomètres au nord-ouest de Damas. C’est ce qu’affirme un communiqué du commandement militaire syrien publié ce mercredi par Sana. Selon la même source, le bâtiment principal a été partiellement détruit, deux employés étant tués et cinq autres blessés.
Le Liban visé autant que la Syrie
Le communiqué précise que le ou les avions israéliens ont pénétré en Syrie en volant très bas, au-dessous de la hauteur de détection des radars. Avant ce communiqué syrien, les agence de presse parlaient plutôt d’un raid aérien contre un convoi supposé transporter des missiles entre la Syrie et le Liban, supposément au profit du Hezbollah. Certaines sources disaient que cette attaque avait eu lieu en territoire libanais, d’autres disaient que c’était en Syrie.
De leur côté les autorités militaires libanaises confirmaient plusieurs violations de l’espace aérien libanais par l’aviation de l’État hébreu – qui sont assez fréquentes. Une partie du convoi aurait été touchée par cette attaque.
De leur côté, des habitants de ce secteur de la région de Damas questionnés par l‘AFP affirment que le centre de recherches sur les armes non conventionnelles d’al-Hameh avait été frappé par six missiles air-sol mardi soir, vers 23 heures 30 heure locale.
Côté israélien, l’AFP a interrogé un porte-parole de Tsahal qui « s’est refusé à tout commentaire » , tandis que d’autres sources « sécuritaires » israéliennes maintenaient la version de l’attaque d’un convoi d’armes à destination du Liban, en territoire syrien, ce que dément l’armée syrienne – rappelons qu’al-Hameh n’est qu’à une grosse quinzaine de kilomètres de la frontière libanaise. Des sources diplomatiques occidentales affirment à Reuters qu’en fait de convoi, il s’agissait d’un unique camion.
Il semble bien donc, en dépit des informations contradictoires, que l’aviation israélienne ait attaqué, dans la nuit de mardi à mercredi, un objectif militaire syrien. Le commandement militaire syrien parle d’une « agression caractérisée contre la souveraineté syrienne » et ajoute que cette attaque prouve « désormais à tous qu’Israël est le moteur, le bénéficiaire et parfois l’acteur des actes terroristes visant la Syrie et son peuple résistant » , ce « en coordination avec les pays soutenant le terrorisme, dirigés par le Qatar et la Turquie ». Le communiqué rappelle qu’à plusieurs reprises, ces derniers mois, les bandes armées islamistes ont tenté de s’emparer du site militaire de Jomrayah.
Ce n’est pas le premier incident militaire israélo-syrien depuis le début de la crise : des échanges de tirs assez sérieux ont eu lieu en novembre dernier, de part et d’autre de la zone démilitarisée du Golan. Mais cet incident aérien, s’il est vraiment confirmé, est le plus grave depuis longtemps.
Jeudi matin, les autorités israéliennes se muraient dans le silence : par exemple, interrogé à ce sujet par la radio d’État israélienne, le ministre des Finances Youval Steinitz a répondu qu’il était informé de la situation « par les médias ».
Du côté de Moscou on a en revanche vite et fermement réagi :
« La Russie est très préoccupée par les informations concernant des frappes de l’armée de l’air israélienne sur des sites en Syrie, près de Damas », a indiqué le ministère des Affaires étrangères dans un communiqué. « Si cette information est confirmée, cela signifie que nous avons à faire à des frappes sans aucun prétexte sur le territoire d’un Etat souverain, ce qui viole grossièrement la charte de l’ONU et est inacceptable, quel qu’en soit le motif . Nous prenons des mesures d’urgence pour éclaircir cette situation dans les moindres détails », a-t-il souligné. Et le communiqué se conclut « classiquement » par un nouvel appel à la fin des violences, sans intervention extérieure, et au début d’un dialogue inter-syrien basé sur les accords de Genève du 30 juin 202. La Russie ayant des relations plutôt bonnes avec l’État hébreu, cette réaction ferme n’en a que plus de poids.
Le Hezbollah a lui estimé que cette attaque israélienne « dévoile au grand jour les origines de ce qui se passe en Syrie depuis deux ans et les objectifs criminels visant à détruire ce pays et son armée pour affaiblir son rôle central dans la résistance et parachever le grand complot contre nos peuples arabes et musulmans ». Le mouvement chiite ne fait une fois de plus que constater qu’ Israël est effectivement le grand bénéficiaire – discret mais incontestable – de la « révolution » syrienne, qui se résume dans les faits à la destruction d’un pays allié à l’Iran et au Hezbollah par des bandes fanatiques soutenues par le Qatar et la Turquie, sans oublier les Américains.
Un message de Netanyahu à Obama ?
Avec Netanyahu, tout est possible, et surtout la provocation belliciste : sorti affaibli des élections législatives, inquiet des changements en cours à la tête de la diplomatie et de la Défense américaines, le Premier ministre israélien a voulu peut-être rappeler à Obama que son pays, ou son gouvernement, considérait la Syrie comme un avant-poste de l’Iran, au même titre que le Hezbollah, et qu’il ne renonçait pas à une agression « préventive » contre l’un ou l’autre de ces adversaires. L’attaque est intervenue au moment où le général Avi Kochavi, chef du renseignement militaire israélien, se trouve à Washington pour y rencontrer des collègues américains. Coïncidence ? Et puis, ce peut encore être une opération de communication politique à destination de l’opinion israélienne, pour regagner « dans les airs » ce qu’on a perdu dans les urnes…
Et puis si Erdogan a ses Patriot, Netanyahu a déployé, sur sa frontière avec le Liban, deux batteries de « missiles anti-missiles » Iron Dome, clairement dirigés contre le ciel de Syrie et du Liban. D’ailleurs, ces dernières semaines, à l’unisson de l’opposition syrienne, Tel-Aviv a développé une campagne médiatique sur les armes chimiques syriennes : le choix comme cible d’une installation travaillant sur des armes « non conventionnelles » nous parait s’inscrit dans cette guerre essentiellement psychologique.
On peut supposer que la Syrie va saisir le Conseil de sécurité, ce qui serait une manière de reprendre l’offensive sur ce terrain-là. En tout cas, le gouvernement syrien ne doit pas céder à cette provocation, si elle reste isolée, et doit plutôt chercher à obtenir une condamnation diplomatique de l’agression : un affrontement, même limité, avec Israël, redonnerait de la voix et des prétextes aux bellicistes atlanto-sionistes euro-américains, et ouvrirait à l’armée syrienne un second front dont elle n’a pas besoin. Surtout à un moment où elle a pris l’ascendant sur les rebelles. Mais peut-être que justement Netanyahu cherche à donner un petit « coup de pouce » à ses alliés objectifs islamistes, qui ne tuent depuis des mois que des Arabes et/ou des musulmans, et ne travaillent pas à la libération de Jérusalem et de la Palestine, mais à la destruction d’un pays qui n’a jamais transigé avec Israël (et l’a affronté, lui). Les barbus se sont déjà montrés des alliés objectifs de la politique américaine dans le monde arabe, de la Libye à la Syrie. Et donc de la politique israélienne.
Le gouvernement doit garder son sang froid, et gérer au mieux – diplomatiquement – un incident qui ne peut que le servir aux yeux de l’opinion arabe, et non alignée. Nous ne croyons pas que Netanyahu ait envie et vraiment besoin d’une guerre avec la Syrie, et de donner l’impression qu’il favorise des groupes djihadistes à l’est du Golan alors qu’il a déjà des islamistes – à Gaza et en Égypte – sur sa frontière sud, et le Hezbollah toujours en faction sur sa frontière nord. Maintenant il est peut-être de ceux qui pensent que la politique du pire est la plus adaptée à leurs intérêts…