La quête de justice menée par les Palestiniens pour la justice et la liberté pourrait se résumer en un seul et joli mot : sumoud. La traduction communément admise en anglais est ‘‘steadfastness’’ (persévérance, indéfectible, en français) mais je ne suis pas sûr que le terme anglais rende bien l’état d’esprit qui a habité le peuple au cours de ces décennies de dépossession.
Alors que la situation en Palestine continue d’être intolérable, un certain nombre de signes récents attestent que la persévérance porte ses fruits. Cela n’a rien à voir avec les "leaders" tels que Mahmoud Abbas ou Salam Fayyad dont l’indulgence à l’égard de l’agression israélienne leur a valu les louanges de l’Occident. Non, les victoires ont été obtenues grâce à la campagne pour le boycott, le désinvestissement et les sanctions (BDS), lancée en 2005 contre Israël.
En mettant à l’index les entreprises qui apportent leur concours au non-respect des Droits de l’Homme, l’initiative lancée par des Palestiniens ordinaires a permis de rendre les plus voraces d’entre elles vulnérables face à l’indignation populaire. Ainsi, Veolia, le géant français du transport et des "services environnementaux", a perdu de nombreux contrats à travers le monde en raison de son rôle dans la construction d’une ligne de tramway reliant entre elles deux colonies juives illégales situées à l’Est de Jérusalem. Agrexco, le principal exportateur de produits alimentaires, a déposé le bilan l’an dernier, en grande partie car des consommateurs européens avisés refusaient d’acheter les fruits et légumes que la firme commercialisait.
La campagne BDS est-elle sur le point d’inciter l’Union Européenne à passer à l’action ?
Eamon Gilmore, le Ministre Irlandais des Affaires Etrangères, a annoncé le souhait que soit considérée la question d’une possible interdiction des produits en provenance des colonies israéliennes de Cisjordanie lorsque l’Irlande prendra la présidence tournante de l’UE en 2013. Sa volonté affichée d’inscrire la question à l’ordre du jour est certes louable. Les produits en provenance de ces colonies – illégales au regard du droit international- auraient dû être interdits depuis longtemps.
Mais en refusant de considérer un boycott plus large d’Israël, Gilmore passe à côté de points importants (délibérément peut-être). Les tomates et autres avocats qui se verraient ainsi interdits si cette suggestion rencontrait un soutien large auprès des gouvernements de l’UE ne sauraient être accusés d’incitation aux crimes de guerre. Il est dès lors essentiel de cibler les entreprises et les hommes politiques responsables de l’oppression des Palestiniens – ou qui réalisent des profits sur le dos de cette oppression.
L’exemple des vins israéliens est très éloquent. Afin de dissimuler la manière dont le raisin qui a poussé sur les terres colonisées est fréquemment utilisé dans la production des différents vins, l’Institut Israélien pour l’Exportation (Israeli Export Institute) a opté pour une approche pour le moins originale de la géographie. La région de Shimson (ou Samson) a été établie entre les Monts de Jérusalem et la côte Méditerranéenne ; une partie se situe sur le territoire israélien reconnu officiellement au niveau international, une autre partie se trouve en Cisjordanie occupée.
Comme cette région a été pensée dans le seul but de commercialiser du vin, il n’est pas difficile pour les vignerons de déclarer les fruits récoltés dans les colonies illégales comme provenant des vignes plantées en Israël. La meilleure chose à faire reste donc de refuser de consommer n’importe quel vin israélien. Des recherches menées par la coalition de femmes pour la paix (Coalition of Women for Peace, un groupe de militantes Israéliennes et Palestiniennes) ont démontré que l’industrie vinicole était intimement liée à l’occupation. De nombreux exportateurs Israéliens de vins sont ainsi impliqués dans la colonisation.
Ceux qui arguent qu’une interdiction complète des produits israéliens serait trop drastique seraient bien inspirés de lire le rapport publié par Al Haq, une organisation pour les Droits de l’Homme basée dans la ville de Ramallah en Cisjordanie. Le rapport établit que chaque fois qu’un Etat assiste un autre Etat ayant commis un acte illégal, il "adopte" cet acte et devra à son tour en répondre. L’analyse d’Al Haq a été confirmée par d’éminents spécialistes de la question, dont John Dugard, ancien rapporteur spécial des Nations Unies pour les Droits de l’Homme en Palestine.
En 2004, la Cour Internationale de Justice a jugé illégal le mur de séparation érigé par Israël en Cisjordanie. L’arrêt a également mis l’accent sur le fait que d’autres gouvernements ne devaient pas apporter assistance à l’édification de ce mur.
La Commission Européenne a honteusement ignoré l’arrêt. Des entreprises qui ont fourni du matériel de surveillance –Elbit notamment- ont également bénéficié de substantiels crédits de recherche approuvés par la Commission. Certains gouvernements sont allés plus loin dans la reconnaissance : la firme d’armement conduit un programme de 1 milliard de Dollars afin de développer de nouveaux avions de guerre sans pilote pour le compte de l’armée britannique.
La lecture des rapports officiels émis par l’UE sur Israël a de quoi rendre perplexe. D’un côté les agissements d’Israël en Cisjordanie et à Gaza sont qualifiés d’aberration. De l’autre Israël est présenté comme un modèle de démocratie.
En réalité, il n’y a qu’un seul Etat d’Israël. Cet Etat discrimine aussi bien les Palestiniens qui composent un cinquième de la population israélienne que les Palestiniens vivant sous occupation. En Juillet, l’UE a offert de renforcer ses relations avec Israël dans environ 60 domaines. L’offre a été faite directement à Avigdor Liberman, le Ministre des Affaires Etrangères, dont le parti Yisrael Beitenu a participé à une série de mesures racistes adoptées par la Knesset (parlement Israélien).
Deux semaines auparavant, José Manuel Barroso recevait un diplôme honorifique de la part de l’Université d’Haifa. Un des fondateurs de cette institution, Arnon Sofer, a participé à la conception du mur en Cisjordanie et a soutenu que les Israéliens devaient tuer les Palestiniens "toute la journée et tous les jours".
Au lieu de saisir l’occasion de condamner une incitation à la haine aussi flagrante, Barroso a mentionné la citation suivante de Nelson Mandela : "ce n’est qu’après avoir franchi une haute colline, que l’on se rend compte qu’il reste de nombreuses collines à franchir".
Si les personnes chargées de la rédaction des discours de Barroso s’étaient donné la peine de chercher un peu plus, ils auraient pu inclure le commentaire plus pertinent du même Mandela "notre liberté sera incomplète sans la liberté des Palestiniens".
L’université de Haifa a interdit à des étudiants palestiniens le droit de manifester. Est-ce que Barroso a dénoncé cette liberté incomplète ? Non. Il était trop occupé à flatter ici et là.