Nicolas Gauthier : Après la Manif pour tous, l’électorat français de confession musulmane semble avoir rompu avec son traditionnel tropisme électoral de gauche, lequel tenait souvent au clientélisme régnant dans les cités, avec embauches de fonctionnaires municipaux et distribution de subventions à des associations dont l’utilité n’était pas toujours avérée. Bref, l’instrumentalisation de ces fameux « grands frères ». Vous validez ce constat ?
Camel Bechikh : D’un point de vue factuel, ce constat est validé par les résultats des élections municipales de 2014 qui, en Seine-Saint-Denis notamment, a été une véritable bérézina pour l’ensemble de la gauche. Nombre de mairies constituant historiquement la ceinture rouge sont passées à droite. Mais, au-delà du moment électoral, ce fut l’occasion pour de jeunes Français de branche d’exprimer des convictions politiques en s’engageant chez Les Républicains, au Parti chrétien-démocrate et, plus rarement, au Front national. Si le déclenchement de cet engagement fut la réaction aux délires « progressistes » du gouvernement, il n’en reste pas moins que cela a révélé une réalité de fond : nombre de ces Français ont saisi la contradiction entre l’ordre traditionnel transmis par des parents immigrés dans les années 60 et 70, des parents illettrés mais pleins de bon sens, des parents non intoxiqués par la morale officielle de Mai 68 et l’idéologie libérale-libertaire.
En 2014, du sursaut conservateur opposé à la loi Taubira, mais aussi, rappelons-le, à l’introduction de la théorie du genre, il était, dans les familles musulmanes en général, plus honteux de voter socialiste que Le Pen après le « point de détail ». De 2012 à 2014, nous connûmes une parenthèse enchantée, celle où catholiques, juifs et musulmans militaient à l’unisson pour sauvegarder la cellule familiale traditionnelle, pour protéger l’enfant, pour affirmer l’altérité entre homme et femme. Il est, d’ailleurs, assez surréaliste que les Français eurent à défiler pour cela, pour des principes aussi naturels dans un pays aussi appelé fille aînée de l’Église. En 2014 la parenthèse se referme par l’émergence du cancer de Daech.