Le sionisme évangélique protestant a un pedigree vieux de plusieurs siècles. Le sionisme catholique, qui a évolué au cours des cinquante dernières années, pourrait-il devenir un enseignement officiel de l’Église ?
Malgré la chute du taux d’affiliation et de pratique religieuse dans les pays occidentaux – et malgré les affirmations des laïcs qui prétendent que la religion a causé suffisamment de problèmes dans le monde et qu’il vaille mieux ne pas en tenir compte ou la confiner à la sphère privée- la foi religieuse en elle-même refuse obstinément de disparaître.
Non seulement la population mondiale a continué d’être profondément religieuse, si ce n’est de plus en plus, et non seulement la laïcité, pour sa part, a cumulé les sujets de honte en termes de tyrannie, de persécution et de fanatisme, mais les convictions profondes dues à la foi religieuse ont inspiré nombre d’accomplissements les plus nobles de l’histoire pour l’amélioration de l’humanité.
Dans ce qui suit, je souhaite développer des idées encore peu connues, en particulier de la pensée catholique moderne, capables de rendre un service tout à fait positif. Le développement en question évoque en résumé l’idée d’émergence salutaire du sionisme catholique : un courant de pensée susceptible d’influencer positivement les attitudes à l’égard de l’État d’Israël tenues par des milliards de croyants du monde entier.
Il est plus facile d’exposer son histoire en la scindant en plusieurs parties.
I – Les deux visages du sionisme chrétien
La plupart des gens, s’ils sont invités à réfléchir sur l’état des relations entre les chrétiens et Israël, mentionneront instinctivement les sentiments ardemment pro-israéliens et pro-sionistes non pas de catholiques mais de protestants évangéliques : sentiments qui, à plusieurs reprises, ont contribué à façonner la politique britannique et américaine.
Et les gens auraient raison de le faire. Ainsi, lorsqu’on lui a demandé dans une enquête à Pew, réalisée en 2013, portant sur les attitudes religieuses américaines concernant le fait que Dieu ait donné Israël au peuple juif, plus de chrétiens évangéliques blancs (55 %) que de juifs (40 %) ont répondu par l’affirmative. Sur ce même groupe d’évangéliques, 72 % se sont rangés exclusivement aux côtés d’Israël dans le différend israélo-palestinien, contre 49 % de l’opinion publique américaine. Ces opinions solidement pro-israéliennes reflètent un phénomène fondé sur la Bible qui a un long historique et qui a été appelé simplement, le « sionisme chrétien ».
Dans sa version britannique, il est historiquement associé à des personnalités « restauratrices » telles que le comte de Shaftesbury au début du XIXeme siècle, le secrétaire aux Affaires étrangères Arthur Balfour et le Premier ministre David Lloyd George à la deuxième décennie du XXeme siècle. En 1917, cette impulsion profonde a joué un rôle dans la publication de la déclaration Balfour selon laquelle, sans « porter atteinte aux droits civils et religieux » des communautés non juives du pays, le gouvernement britannique a promis de soutenir « l’établissement en Palestine d’un foyer national pour le peuple juif ».
Aux États-Unis, l’enthousiasme des chrétiens évangéliques pour le retour des juifs en Terre sainte connut un regain national lorsque, en 1891, le ministre méthodiste William Blackstone présenta au président Benjamin Harrison un « mémorial » demandant instamment au soutien américain officiel du projet de restauration ; le document était accompagné des signatures non seulement de centaines de dirigeants chrétiens, mais également de personnalités publiques comme John D. Rockefeller et JP Morgan, de sénateurs, membres du Congrès et du président de la Cour suprême.
Une deuxième version mise à jour du « Mémorial de Blackstone » a ensuite été remise, par le truchement des bons offices du juge Louis D. Brandeis au président Woodrow Wilson, qui a ensuite approuvé la déclaration Balfour.
Au cours des dernières décennies, le soutien évangélique américain à l’État juif est devenu un arbre à plusieurs branches, peu maniable. Certaines branches pensent que la création d’Israël en 1948 et le « rassemblement des exilés » ont rempli la prophétie biblique concernant les « derniers jours ».
Pour certains, cela présage Armageddon, c’est-à-dire une ultime bataille cataclysmique entre les forces de la lumière et des ténèbres (l’islam remplaçant parfois ces dernières), aboutissant à la seconde venue de Jésus. Peu de branches pensent que la fin rédemptrice sera accompagnée de la conversion volontaire de Juifs (certains, beaucoup ou tous) au christianisme.
Cela ne tient pas compte des contre-tendances plus récentes, particulièrement chez les jeunes évangéliques américains, vers la désaffection ou même de l’hostilité envers l’État juif : un développement inquiétant en soi, mais qui n’est pas notre préoccupation ici.
Le développement du sionisme catholique devrait présenter un intérêt profond non seulement pour Israël et ses partisans dans le monde entier, mais aussi pour tous ceux qui s’intéressent à la religion et à la politique.
Si c’est une face du sionisme chrétien – la face protestante – le sionisme catholique que je vais décrire en est une autre face. Elle considère également la fondation d’Israël en 1948 comme faisant partie de la promesse biblique de la terre donnée au peuple élu de Dieu, et considère la réunion de ce peuple comme un signe de la fidélité de Dieu à ses promesses. Mais les conceptions maximalistes de certaines formes remarquables du sionisme protestant, comme dans leur vision de la fin des temps et leur recrutement de juifs et d ‘« Israël » en tant qu’instruments permettant de réaliser cette vision, sont rejetées dans la conception catholique.
On peut se demander sur quelle base je pourrai prétendre que l’Église se dirige effectivement vers une forme de sionisme aussi spécifiquement catholique ? Je le soutiens à partir de preuves concourantes, allant à l’encontre de la longue histoire d’anti-judéité catholique.
J’affirme également que cette évolution revêt une grande importance et devrait présenter un intérêt profond non seulement pour l’État d’Israël et ses partisans du monde entier, juifs et gentils, mais également pour tous les individus et tous les gouvernements attentifs aux tendances de l’opinion publique en matière de religion et de politique.
En outre, dans une Europe menacée – hantée – par le retour de l’antisémitisme, elle n’est rien de moins que de la contre-culture au sens le plus favorable du terme. En dépit de la tourmente indéniable qui sévit aujourd’hui dans la catholicité, l’Église compte toujours plus d’un milliard d’âmes et ce qu’elle pense ou dit a de l’importance. La gestation de cette nouvelle approche commence en 1965 et a fait l’objet d’une avancée particulière en 1980.
Depuis lors, le processus, qui n’a pas atteint son plein épanouissement, continue de gagner du terrain. Les preuves à l’appui se trouvent éparpillées dans des documents officiels de l’Église que peu de gens lisent, moins nombreux que les théologiens professionnels tels que moi, qui sont en mesure de les replacer dans leur contexte ou d’en évaluer l’impact. Les preuves sont à la fois remarquables et indéniables pour le développement théologique dont elles témoignent, et cela est, à mon avis, imparable.
II – Les origines du sionisme catholique
La nouvelle orientation de la pensée catholique sur les juifs et le judaïsme est apparue au début des années 1960 lors du Concile Vatican II à Rome, conçu et convoqué par le pape Jean XXIII. Comme le premier concile du Vatican, tenu un siècle plus tôt, celui-ci constituait un forum faisant autorité pour les enseignements catholiques modernes sur divers sujets. Au cours de ses nombreuses sessions, les évêques ont discuté de la nature de l’Église catholique, du statut d’autres groupes chrétiens, de la signification des religions du monde, des questions d’athéisme et de laïcité, ainsi que de l’importance de la liberté de religion. Les résultats de ces délibérations ont été intégrés à de nombreux documents pédagogiques.
Pour ce qui concerne le peuple juif, le document clé est Nostra Aetate (1965) et la section clé porte le numéro 4.
La proposition qui allait devenir la section 4 de Nostra Aetate rencontrait une vive hostilité avant même que le projet de discussion n’en soit communiqué au Concile. (Signe certain de sa contestation, sa substance a été divulguée au New York Times alors que tous les membres du Concile avaient prêté un serment solennel de confidentialité.) Inévitablement, les déclarations positives contenues dans le texte, qui précisaient qu’elles ne visaient que « la religion » - c’est-à-dire le judaïsme – ont été interprétées comme soutien à l’État d’Israël. La plupart des gouvernements du Moyen-Orient, ainsi que les dirigeants des communautés chrétiennes de ces pays, ont rapidement exprimé leur opposition au projet.
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