Le gouvernement a dénoncé dans la soirée une opération "unilatérale" menée "à (son) insu et contre (son) gré" par ses partenaires humanitaires, dont il questionne "la neutralité et l’objectivité".
Dix-huit camions chargés à plein se sont mis en branle vers 12H00 locale (11H00 GMT). Les déplacés étaient assis sur leurs ballots, planches de bois, motos, frigos... Des centaines de bidons multicolores ornaient les flancs du convoi.
Un imposant dispositif de la Misca était mobilisé pour assurer la sécurité des partants. La sortie de Bangui et la traversée des villes de Sibut et de Dékoa, dans le centre du pays, constituent notamment les points chauds de l’opération, a expliqué un cadre de la mission africaine.
La mise en route, attendue depuis des semaines, s’est faite finalement sans heurts. Les déplacés, juchés dans sur remorques depuis de longues heures, lèvent les bras en signe de victoire à mesure que leurs véhicules prennent de la vitesse.
Au sol, des dizaines, puis des centaines de chrétiens, aux anges, s’affairent à dépecer méthodiquement tout ce que les précédents occupants des lieux ont abandonné. Bouts de bois, chambranles de portes, tôles de toiture, vêtements...
Hormis un cercueil abandonné devant la mosquée, tout ou presque disparaît en un petit quart d’heure.
L’allégresse générale est à la mesure du soulagement pour les deux communautés, après cinq mois d’une infernale pression enserrant le PK-12, Point kilométrique 12, sorte d’étroit corridor en proche périphérie de Bangui, sur la route menant au nord du pays.
Les 1 300 déplacés, qui avaient déjà fui leurs domiciles pour occuper le PK-12, s’y étaient retrouvés piégés alors qu’ils souhaitaient déjà monter dans des convois humanitaires à destination du Tchad.
Ils étaient depuis lors régulièrement victimes d’attaques d’anti-balaka (milices majoritairement chrétiennes).
"Merci Dieu pour ce beau dimanche"
Ces groupes de jeunes s’en prennent surtout aux musulmans pour, disent-ils, venger les chrétiens, majoritaires dans le pays (environ 80%), des graves exactions infligées par l’ex-rébellion Séléka, à dominante musulmane, lorsqu’elle était au pouvoir de mars 2013 à janvier 2014.
Au PK-12, 18 personnes sont ainsi mortes par balle, grenade ou machette depuis décembre et les blessés sont nombreux, affirme la population musulmane. De nombreux monticules de terre marquant des tombes récemment creusées semblent confirmer leurs dires.
Les exactions commises par anti-balaka et Séléka illustrent les difficultés qu’ont désormais les deux communautés à vivre ensemble, alors qu’elles ont coexisté en harmonie pendant des décennies.
"Je veux détruire tout ça", lance une adolescente à la volée en désignant la mosquée, dont certains chrétiens volent les câbles électriques. Des éléments de la Misca, restés sur place, établissent un cordon autour du bâtiment pour éviter qu’il ne soit anéanti.
"Merci Dieu pour ce beau dimanche. Les musulmans sont enfin partis !", hurle une trentenaire, extatique, tout en dansant dans la rue.
"Nous, on leur a tout laissé. S’ils gardent, c’est bon. S’il ne gardent pas, tout dépend d’eux", remarque Ibrahim Dodi, qui se dit "très content" de partir après avoir eu "très peur" durant son temps au PK-12. "Devant moi, il y a eu des gens fauchés par des grenades", raconte-t-il.
M. Dodi affirme que dix de ses douze enfants ont été tués par des anti-balaka à Bossembelé (centre ouest), attaques qui l’ont amené à se réfugier au PK-12.
Les musulmans n’ont toutefois pas hésité à piéger la mosquée du PK-12 avant de quitter les lieux, selon un militaire de la Misca, qui mentionne trois charges. Depuis le début des violences, à chaque fuite des musulmans de leurs quartiers, les mosquées sont détruites par des pillards.
Deux charges ont été placées dans l’escalier menant au minaret, barré d’un mince cordon rouge. Un fil sort d’un sac en plastique contenant une sorte de brique, apparemment du "C4", un explosif, explique ce soldat. Une autre charge a été placée à l’étage, poursuit-il.
A l’extérieur du bâtiment, un bidon jaune est entouré de pierres. "Il est piégé. Cela explosera si on le touche ou si on bouge les pierres", explique un autre soldat.
La question d’un déplacement massif de la communauté musulmane avait provoqué cette semaine un intense débat politico-humanitaire en Centrafrique.
Une ministre avait dénoncé une opération qui accentue la partition religieuse du pays et met à mal la réconciliation. Le monde humanitaire affirme que ces populations ne pouvaient rester davantage, leurs vies étant menacées.
"Nous sommes heureux que ce mouvement, qui se tient pour la protection de la communauté de PK-12, ait pu se tenir", s’est réjouie Sandra Black, une porte-parole de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM).
Les déplacés iront vivre à proximité de la frontière tchadienne. Quelques milliers de musulmans survivent au PK-5 de Bangui, un quartier anciennement reconnu pour sa mixité, désormais protégé par les soldats burundais de la Misca.
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