On vient de célébrer avec emphase les héros pacifiques des Jeux olympiques. Et si les relations entre nations, l’horizon probable du XXIe siècle, n’étaient pas la joute et le spectacle sportifs, mais la guerre ?
Certes, il est difficile d’en prévoir les formes, mais on sent bien que le monde est au travail pour accoucher d’un nouveau rapport de forces. Les organisations internationales (ONU, OMC, etc.) sont impuissantes. La crise financière, la récession, les déficits provoquent des conséquences - faillites, misère, chômage, etc. - équivalentes à celles que produirait un conflit.
Cette guerre monétaire et économique n’est pas une probabilité, mais un fait. Les industries sont détruites ici, relocalisées là. Les nouvelles générations, qui représentent plus de 60 % de la population, sont sans emploi, sans avenir. Pour survivre, une partie d’entre elles cherche à rejoindre les nations européennes.
Mais l’Europe est touchée par la crise. Les tensions sociales créent un climat d’insécurité. Des émeutes incendient épisodiquement les banlieues où s’entassent les nouveaux arrivants. La violence est, dans ces quartiers, à fleur de peau. La délinquance est en hausse, l’usage des armes à feu, y compris contre les forces de l’ordre, est fréquent. On se regroupe par communautés qui contrôlent leurs territoires. La population d’origine exige une politique sécuritaire. On stigmatise telle ou telle religion.
Ce n’est pas la guerre civile, mais son terreau. Et qui peut dire ce que sera la situation dans deux décennies ? Et d’autant plus que les nouveaux moyens de communication permettent de suivre, heure par heure, les guerres réelles qui se déroulent en Afrique, par exemple. L’immigré reste lié à son pays. L’intégration dans son lieu de vie devient difficile, sinon impossible à moyen terme.
C’est le Moyen-Orient qui est l’épicentre de cette situation mondiale. Tout y est réuni pour qu’un conflit - toujours latent - déborde le cadre régional.
Des puissances nucléaires sont en contact : Israël, Pakistan, peut-être bientôt l’Iran. Les frontières sont contestées, l’eau disputée, les antagonismes religieux séculaires. Le pétrole est un enjeu majeur, puisque là sont les grandes réserves. Les grandes puissances mondiales - à l’exemple de ce qui se déroule en Syrie - sont conduites à prendre position.
Cette situation renvoie aux guerres balkaniques (1912-1913) qui mobilisaient les peuples et les grandes puissances (Russie, Autriche-Hongrie, Empire ottoman). Là s’est levé le rideau de la Première Guerre mondiale (Sarajevo, 28 juin 1914).
Et il y a, bien sûr, l’ombre menaçante d’un affrontement majeur entre la Chine et les Etats-Unis. Mais c’est souvent par un rouage secondaire que s’enclenche un engrenage (la Serbie, en 1914, qui suscite la guerre mondiale). Il faut sans doute éviter le déterminisme. La raison, les solutions de compromis peuvent apaiser provisoirement les tensions. Et la surprise est la loi fondamentale des processus historiques.
Mais l’emboîtement des crises (bancaire, économique, sociale), des conflits religieux, les déséquilibres que provoquent toujours les mouvements de population appellent à la vigilance, c’est-à-dire à prendre comme une hypothèse raisonnée le risque de guerre.
On peut aussi hausser les épaules, considérer cette perspective comme l’expression d’un pessimisme et d’un fatalisme anachroniques. C’est ce que pensaient les lecteurs de l’écrivain Francis de Pressensé - ami de Jaurès -, qui écrivait en avril 1911 : « Le climat du pays est caractérisé par une universelle lassitude, un universel dégoût, la République n’est plus qu’un conglomérat de clientèles… Il me paraît évident que nous glissons les yeux fermés sur une pente au bout de laquelle s’ouvre, béant, l’abîme d’une grande guerre… »
Sur l’autre bord de l’échiquier politique, le député monarchiste Albert de Mun publiait dans L’Écho de Paris, en décembre 1913, un article peu commenté : « L’Europe entière incertaine et troublée s’apprête pour une guerre inévitable dont la cause immédiate lui demeure ignorée, mais qui s’avance vers elle, avec l’implacable sûreté du destin… »
Remplaçons le mot « Europe » par « monde »… Ou bien persuadons-nous que les hommes peuvent aussi, d’un bond, franchir l’obstacle qui se dresse devant eux. Et rêvons en regardant le superbe envol de Lavillenie, notre médaille d’or olympique du saut à la perche.