Le début de l’année 2011 fera date pour quiconque se préoccupe de la situation matérielle et morale de l’armée française et porte ses réflexions au-delà des récents événements en Afrique du Nord. On ne saurait écrire que le front intérieur est calme. Si l’on postule que le mot “front” suppose l’inscription dans un espace géographique et mental de l’opposition entre deux forces antagonistes, l’affirmation selon laquelle il existe bien, dans la France de Sarkozy, un front intérieur est difficilement contestable. D’un côté de la ligne de fracture, notre armée, confrontée depuis le 1er janvier 2011 aux conséquences de la mise en chantier des fameuses Bases de Défense par lesquelles les ministricules responsables de l’avenir du pays mettent la touche finale à la destruction de notre outil militaire. Il va falloir nous habituer, nous suggère-t-on, au spectacle affligeant de ces bureaux vides où des plantons déprimés guettent l’arrivée du poste informatique (quand ce n’est pas de la chaise ou de la rame de papier) qui leur permettra de se mettre au travail ; il faudra s’amuser de ce que les gestionnaires de personnel recherchent dans leurs bases de données point encore “réformées” les traces qui attestent que tel ou telle, viré de sa défunte garnison, a bien été “basculé” chez eux ; il faudra alterner les anxiolytiques et les stimulants pour continuer à “tenir” sans perspective d’amélioration à court ou moyen terme. Comme au front, sauf que dorénavant il nous faut nous battre sans armes ni cartouches...
Un tel désastre en évoque d’autres : la vague de mutineries de 1917, liée à des décisions militaires désastreuses (ça ne vous rappelle rien ?) et à un mépris absolu des souffrances trop longtemps infligées à des combattants pourtant admirables de courage et d’abnégation ; la débâcle de 1940, consécutive à une impréparation militaire dramatique et à la trahison de nos élites, qui mirent moins de temps pour détaler de Paris à Bordeaux que n’en met l’orage pour fondre sur la quiétude d’un jour d’été. Les politiciens incapables ou corrompus qui avaient condamné la IIIème République à l’impuissance avaient de toute manière fait le choix de la défaite. Ce qui nous amène à nous poser les questions suivantes : pour qui travaille le gouvernement actuel, à l’heure où le 54ème soldat français vient de tomber en Afghanistan ? Combien de temps notre armée, rongée jusqu’à l’os par les coupes budgétaires et anéantie par un sentiment d’humiliation croissant, pourrait-elle tenir face à une agression extérieure ? Poser ces questions, c’est déjà y répondre…
D’un côté du front intérieur, il y a donc notre armée. Et de l’autre côté ? L’Allemand botté, dominateur, la cravache pointée vers nos frontières ? Les sinistres brutes bolcheviques des James Bond de la grande époque ? Les “terroristes” barbus égorgeurs de femmes et d’enfants - c’est du moins ainsi que les présente notre moderne Ministère de la Propagande, qui n’a même pas pu faire accroire, l’automne dernier, la menace d’attentats qui eussent opportunément détourné l’attention des Français du sabordage de leur système de retraite ? Tout ceci prête à sourire puisque tout esprit un peu éclairé sait que l’ennemi est dans la place, au coeur même de notre dispositif de défense. L’ennemi - qui peut encore en douter ?- s’est installé au printemps 2007 à la faveur de cette OPA aux allures de kermesse “démocratique” qu’organisèrent les élites mondialisées et leurs relais journalistiques en faveur de Nicolas Sarkozy, qui n’est, à tout prendre, que leur raison sociale. La France vit une situation historique inédite : jamais, en temps de paix, un élu du suffrage universel investi des plus hautes fonctions, jamais celui à qui la Constitution de 1958 a conféré le titre et la responsabilité de chef des armées n’avait usé de son pouvoir comme il en use et abuse aujourd’hui, pour démanteler et abaisser la nation qui lui a malencontreusement confié son destin. Passe encore que l’élu de 2007 soit un histrion gesticulant et vulgaire, un satrape prosterné devant le Veau d’Or et ses grands-prêtres, un chef de bande qui a fait main basse sur l’Etat comme un nuage de criquets s’abat sur un champ. L’homme de goût et d’idées pourrait se contenter de se pincer le nez au spectacle des turpitudes élyséennes si les attendus et les conséquences de la politique menée par Sarkozy ne mettaient le pays dans un péril dont il pourrait ne pas se relever : services publics massacrés (qu’on songe à ce qu’il restera de l’Education Nationale, de la justice et de l’hôpital quand les réformes actuelles auront réalisé leur objectif de destruction), cohésion sociale menacée, avenir obéré (que peut-on encore attendre d’un pays quand une génération entière a été crétinisée par l’absence de formation intellectuelle et livrée à la sous-culture de la consommation effrénée ?).
L’image de la France a subi le sort infligé au pays. Les liens d’”amitié” entretenus par Nicolas Sarkozy avec les tyrans corrompus que les peuples tunisien et égyptien viennent de congédier avec éclat sont une souillure supplémentaire sur l’honneur de la France : les pitoyables rodomontades de Mme Alliot-Marie devant les députés relativement à ses opérations touristico-immobilières en Tunisie n’effaceront pas de sitôt l’affront fait à notre pays par celle qui est en charge de sa diplomatie, et ce ne sont pas les premières déclarations du nouvel ambassadeur à Tunis Boris Boillon, dont l’arrogance et l’imbécillité portent la marque de fabrique de son maître, qui contribueront à restaurer ce qui a été cassé sans doute pour longtemps.
Une dernière réflexion : les armées tunisienne et égyptienne ont, au cours des crises qui viennent de secouer leurs pays respectifs, montré une modération et un sens politique qui forcent l’admiration. Elles représentent, pour des populations longtemps livrées à l’arbitraire de créatures appointées par les Etats-Unis et Israël, une alternative et un espoir réaliste de reconstruction nationale. Ce qui est en train de se passer au sud de la Méditerranée ne saurait être ignoré au nord. La vie et la mort des peuples sont intimement liées aux relations tissées entre le monde politique, la société civile et son armée. Dans l’entreprise d’émancipation nationale à laquelle appelle Honneur et Patrie, l’armée française ne doit pas seulement réaffirmer sa dignité bafouée : elle ne doit pas rater le train de l’Histoire.
Honneur et Patrie