Les résurgences douloureuses et fréquentes des tensions autour des rapports entre les communautés raciales aux États-Unis montrent un véritable gouffre entre certaines promesses d’un tournant majeur de l’histoire du pays, l’issue de la guerre de Sécession, et la réalité des cent cinquante dernières années. La coexistence pacifique et l’émergence socio-économique des Afro-américains, les bienfaits supposés de l’égalitarisme triomphant, n’ont jamais été véritablement atteints.
Il faut avouer que la guerre de Sécession elle-même demeure l’objet d’important questionnements et de débats qui témoignent de la fragilité des fondements idéologiques de l’Amérique contemporaine. On peut considérer, à titre d’exemple, cette affaire parfaitement anodine récemment parvenue à la Cour suprême, le cas Walker VS Sons of Confederate Veterans, qui traitait de la possibilité, ou non, pour un particulier, de faire apposer le drapeau confédéré sur sa plaque d’immatriculation [1]. Si la liberté d’expression garantit bien sûr la possibilité d’exhiber ledit étendard, le problème réside ici dans le fait que ce sont les autorités publiques qui délivrent les plaques d’immatriculation, et ces dernières craignent d’être, quelque part, impliquées dans les messages que ce drapeau porte, ou plutôt est censé porter.
- Un drapeau de la Confédération sur une plaque géorgienne. Les questions autour de la version officielle de la guerre de Sécession se manifestent par un folklore persistant.
Cette anecdote en dit long sur la faiblesse du bilan « officiel » de la guerre de Sécession. D’une part, ce conflit d’une ampleur unique sur le territoire américain a toujours été irrémédiablement réduit à la question de l’esclavage, ce qui rend d’ailleurs logique les offensives croissantes des associations communautaires noires à l’encontre des symboles confédérés. D’autre part, il est communément établi que le pays s’est sorti de ce conflit « par le haut », en faisant respecter d’un coup de force juste et magnanime des droits fondamentaux capables d’assurer un avenir pacifique, pour tous, blancs et noirs du nord comme blancs et noirs du sud. Ces deux assertions, pourtant, sont très discutables.
La guerre de Sécession, une guerre pour l’esclavage ?
La première nuance généralement apportée à la simplification extrême des facteurs de la guerre de Sécession consiste à admettre l’existence de facteurs économiques dans les tensions qui ont abouti à l’éclatement de la guerre en 1861. Indubitablement, au milieu du XIXème siecle, le Nord présente une industrialisation très dynamique, quand le Sud reste essentiellement basé sur son secteur primaire. En 1650, 40 % des actifs travaillent dans le secteur agricole parmi les États qui se placeront du côté unioniste, contre 80 % dans les futurs États confédérés. En 1860, le Nord, qui représente 70 % de la population nationale, concentre 90 % de la production industrielle [2]. 84 % des grandes exploitations agricole, en revanche, se trouvent au sein des États du Sud.
Cette hétérogénéité, résultante naturelle des différences de climat, entraîne rapidement des tensions dans les relations entre les deux espaces économiques. Le Nord tend à traiter le Sud comme une métropole gère ses colonies : ses réseaux industriels, marchands et bancaires cherchent à se réserver jalousement la gestion des matières premières venues du Sud, tout en obligeant ce dernier à se fournir dans ses usines. Les institutions législatives fédérales deviennent ainsi les lieux d’opposition entre des élus du Nord (essentiellement le Parti républicain), supportant le protectionnisme, et ceux du Sud, partisans du libre échange.
La question des droits de douanes produit de grandes agitations politiques tout au long du siècle : de 1830 à 1860, les barrières tarifaires américaines ne cessent de monter et descendre au gré de loi contradictoires [3]. C’est autour de cette question qu’un débat plus vaste, celui du niveau d’indépendance des États vis-à-vis des instances fédéral, se trouble et s’envenime peu à peu. En 1832, la Caroline du Sud déclare non-applicables des taxes douanières fédérales fraîchement votées. Le Président menace alors d’envoyer des troupes pour faire appliquer de force les tarifs [4]. Le souvenir de cette démonstration de force, surnommée la Nullification Crisis, a sans aucun doute pesé dans le coup de chaud lié au renforcement des troupes fédérales du Fort Sumter, où, en décembre 1861, la guerre de Sécession a débuté. Les premiers jours qui suivent le début de la guerre prouveront en outre à quel point la question des droits de douanes était au cœur des préoccupations, En 1861, à peine les élus des États sécessionnistes ont-ils quitté le Congrès que ce dernier vote une hausse drastique des barrières tarifaires, le fameux Morill Tariff. Cette hausse aidera par ailleurs au renflouement des caisses de l’État et soulageront grandement l’effort de guerre du coté unioniste [5].
- Usines au Nord, plantations au Sud. Deux natures économiques, deux cultures, deux peuples.
Mais ces tensions économiques ne peuvent cependant expliquer à elles-seules ni l’ampleur du conflit, ni l’engouement des soldats engagés, surtout au Sud. Il s’avère en réalité que le Nord et le Sud s’étaient développés comme deux nations culturellement et idéologiquement distinctes à travers le temps. Certains écrivains font remonter ces différences à l’altérité des deux colonies fondatrices, la colonie de Jamestown, en Virginie, peuplée par des Européens ayant le désir prosaïque de démarrer une nouvelle vie plus libre et plus riche qu’en Europe, et les puritains arrivés à Plymouth à bord du Mayflower, des fanatiques religieux portés par une inspiration divine [6]. Les écrits de voyageurs parcourant les États-Unis au XIXème siècle et notant une franche différence culturelle entre le Nord et le Sud sont innombrables. Tocqueville lui-même jugera les deux sociétés difficilement conciliables [7]. Il décrira en outre les deux portraits types suivants :
« L’Américain du Sud est plus spontané, plus spirituel, plus ouvert, plus généreux […] L’Américain du Nord est plus actif, plus raisonnable et plus habile. L’un a les goûts, les préjugés, les faiblesses et la grandeur de toutes les aristocraties. L’autre, les qualités et les défauts qui caractérisent la classe moyenne. »
Bien après la fin de la guerre, et même jusqu’à aujourd’hui encore, l’œil averti pourra percevoir le poids des héritages culturels de part et d’autre.
Du fait de l’immensité du pays, les deux populations se rencontrent peu, et les agitateurs politiques et médiatiques en tous genres enhardissent les animosités. Au final, les esprits finissent par se focaliser sur la question de l’esclavage, sans que les faits ne puissent vraiment expliquer pourquoi. En fait, si l’on admet que la rhétorique anti-esclavagiste se confond avec une volonté d’égalité entre les races, il semblerait, comme le note avec pertinence Dominique Venner, que « la vertueuse indignation des abolitionnistes relève moins de l’amour des Noirs que de la haine du Sud », car au Nord, les Noirs, très minoritaires, sont l’objet d’un racisme généralisé, qu’on retrouve d’ailleurs sans équivoque dans les déclarations de grandes figures unionistes, Abraham Lincoln et Ulysses S. Grant en tête. En principe « égaux », les Afro-américains n’avaient en fait pas le droit de voter dans la majorité des États du Nord et étaient l’objet de nombreuses discriminations économiques et sociales institutionnalisés, qui les maintenaient de facto dans les classes sociales les plus dévalorisées. Cette marginalisation signifiait, d’un point de vue matériel, des conditions de vie souvent très inférieures aux conditions des esclaves du Sud [8].
Pour donner un exemple parlant, Il faut savoir que les Noirs n’ont été véritablement intégrés à l’armée de l’Union qu’en 1863 avec la création des US Colored Troops [9]. De surcroît, les soldats de ces régiments réservés aux non-Blancs touchèrent des soldes bien inférieures aux autres. Du côté du Sud, au contraire, les soldats noirs (la présence de soldats afro-américains au sein des régiments confédérés perturbe tellement la version manichéenne des livres scolaires qu’on cherche à la faire oublier) étaient traités à l’égal des autres, portaient le même uniforme que leurs camarades blancs, et ne composaient pas de régiments différenciés. Ce fait montre par ailleurs l’existence d’un certain patriotisme sudiste qui, finalement, pouvait à la marge dépasser l’appartenance raciale. Le conservateur du musée de Raleigh, afro-américain lui-même, indiquera que « du fait d’un rapport particulier entre le sol et ses habitants, le patriotisme sudiste s’était développé y compris chez les esclaves des plantations ». Ce qui prouve, dira l’historien Roland Young, qu’« il était possible de séparer le refus de l’esclavage et l’amour de la patrie » [10]. L’esclavage était, au fond, davantage une mauvaise habitude économique léguée par l’Histoire que la résultante de tropismes idéologiques racistes propres au Sud. Il y avait même souvent chez les Confédérés (les positions du président Jefferson Davis, du Général Robert Lee à ce sujet le prouvent) le sentiment raisonnable et raisonné qu’un jour ou l’autre, l’esclavage devait cesser. Il fallait simplement, jugeait-on, du temps et de l’organisation. Quand bien même on dirait que c’était un esclavage « de confort » qui motivait un sinistre entêtement sudiste ayant amené le pays à la guerre, il faudrait alors expliquer l’engouement des soldats du Sud qui ne possédaient pas d’esclaves. Seul un Blanc sur cinq possédait des esclaves (les propriétaires, du reste, pouvaient être des Afro-américains affranchis). Les soldats confédérés, pourtant, se sont battus avec une vigueur surprenante, et ont tenu tête pendant près de cinq ans à un ennemi largement supérieur en nombre et en équipement.
- Le général Thomas "Stonewall" Jackson et ses hommes. La Confédération marquera l’Histoire par ses grandes figures héroïques, mais aussi par la détermination et le courage de l’ensemble de son armée.
En réalité, pour les méridionaux de toutes classes, les prêches abolitionnistes sont perçus comme une des ramifications d’une agression délibérée du Nord contre leur mode de vie et leur droit à l’autodétermination économique et sociale. En constatant la croissance du déséquilibre démographique en faveur du Nord, ils se mirent à craindre une baisse de leur emprise sur les instances nationales. Ils ont ainsi vu dans l’élection de Lincoln (accomplie sans l’appui d’aucun État du Sud) à la fois la confirmation de leur impuissance grandissante et une menace prochaine pour leurs intérêts. C’est bien une volonté de s’opposer à l’empiétement du gouvernement central sur les droits fondamentaux, un désir en fait très en phase avec l’esprit général de constitution, qui poussera les États du Sud à faire sécession entre 1860 et 1862 [11]. Jefferson Davis, le président de la Confédération, dira ainsi :
« La sécession est justifiée par le fait que les États sont souverains. Il y eut une époque où cela semblait évident à tous. »
Si on devait tenter l’impossible exercice de résumer les causes de la guerre en une phrase, nous pourrions dire, pour ménager synthèse et exhaustivité, que ce sont les irréconciliables disparités entre deux polarités au sein d’un même pays, conjuguées au flou entourant la priorisation entre les droits individuels et l’avenir collectif dans la constitution nationale, qui ont amené la sécession, puis la guerre.
Certaines déclarations de Lincoln sont d’ailleurs très éloquentes. S’il est bien sûr, comme le camp républicain en général, hostile à l’esclavage par principe (« Si l’esclavage n’est pas immoral, rien est immoral ») il dira aussi en 1862 :
« Mon but primordial est bien de sauver l’Union et ce n’est pas de sauver ou supprimer l’esclavage. Si je pouvais sauver l’Union sans libérer un seul esclave, je le ferais ; et si je pouvais la sauver en libérant tous les esclaves, je le ferais aussi. [12] »
Sauver l’Union, signifiait, dans les faits, préserver les intérêts des puissances d’argent du Nord.
Certes, bien que Lincoln fût un homme très critiquable, on peut peut-être penser que ses décisions étaient davantage orientées par une haute vision de sa patrie que par la défense sournoise d’intérêts privés. Mais il est tout de même intéressant de noter que c’est cette mythologie de l’ Unité, complétée au siècle suivant par le sempiternel épouvantail du danger extérieur, qui transformera peu à peu l’Amérique isolationniste en une Amérique interventionniste, ayant fait de l’ingérence la constante de sa diplomatie. Au regard de l’histoire contemporaine, on peut se demander si ce n’est pas la potentielle force de frappe d’une Amérique unifiée, dirigée par un État fédéral obèse, qui aurait motivé la persistance d’un certain patriotisme américain quand dans les autres pays occidentaux, au contraire, l’idéologie dominante a continuellement cherché à amoindrir au maximum les sentiments d’appartenance nationale, en particulier après la Seconde Guerre mondiale.
Après la guerre, la paix et la réconciliation ?
Quand on s’intéresse aux détails de la conclusion de la guerre de Sécession et des décennies qui lui ont succédé, on remarque que le discours officiel, qui brandit le beau bilan d’une réconciliation nationale, symbolisée en particulier par la guerre patriotique contre le Mexique à la fin du XIXème et incarnée par exemple par la survivance tolérée de la symbolique et du folklore sudiste, mérite d’être questionné. Tout d’abord, il est indéniable que le Nord a écrasé la Confédération dans le sang et les flammes. Les récits des exactions commises par les forces de l’Union sont innombrables. Ulysses S. Grant et William T. Sherman, les deux généraux unionistes les plus réputés, se feront des réputations de bouchers [13]. L’armée de l’Union pratique souvent une politique proche de la terre brûlée. La plupart des grandes villes du sud (Columbia, Atlanta, Richmond, Mobile…) sont anéanties. Certains de ces ravages auront lieu dans les derniers mois de la guerre, quand la victoire du Nord était presque acquise. Cette approche marquera le début d’une habitude américaine : écraser l’adversaire avec des moyens radicaux pour achever au plus vite le conflit. Certains observateurs feront ainsi remarquer des similitudes entre la fin de la guerre de Sécession, la Seconde Guerre mondiale, la guerre de Corée ou la guerre du Vietnam [14]. Si la volonté d’obtenir des résultats rapides et définitifs dans la victoire, sans ménagement pour les pertes de l’ennemi, a souvent été justifiée par le souhait du « plus jamais ça » qui animerait toute société démocratique (cette dernière aspirerait naturellement à la paix et ne pourrait se satisfaire d’une guerre larvée ou de risque de réminiscence), d’autres interprétations de natures idéologique ou religieuse méritent indéniablement d’être débattues.
- Représentation de la fameuse "Marche de Sherman vers la mer". Cette campagne, prouesse militaire pour certains, illustre de nouvelles méthodes radicales et cruelles pour clore un conflit.
Le Sud sortira donc de la guerre complètement exsangue. Lincoln a, dès 1963, anticipé le processus de réintégration des pays de la Confédération dans l’Union, un processus qui portera le nom de Reconstruction. Mais son assassinat, en avril 1865, laissera la direction du pays à des hommes bien moins bienveillants.
L’exécutif qui lui succédera sera dépassé par les radicaux du parti républicain, qui pousseront au durcissement des conditions de réintégration, jugeant l’action de l’État fédéral trop lente. En 1867, avec les Reconstruction Acts, ils imposent le retour à zéro du système politique du Sud occupé : vote d’une nouvelle Constitution devant être approuvée par le Congrès (composé alors uniquement d’élus du Nord), ratification obligatoire du 14ème amendement, qui affranchit tous les esclaves, garantie du droit de vote pour l’ensemble des hommes noirs, restriction des droits civils de certains anciens confédérés « militants » (environ 15 % des hommes blancs demeureront longtemps exclus des élections). De toute évidence, il s’agit surtout d’empêcher l’ancienne élite sudiste de revenir aux affaires et de peser dans les décisions nationales.
En mai 1865, le Freedmen’s Bureau est déployé dans les États du Sud. Son but affiché est d’apporter éducation et soutien à l’énorme communauté d’ex-esclaves fraîchement affranchis. Sans surprise, de nombreux membres du parti républicain débarqués du Nord gagnent des élections au Sud grâce aux voix des Noirs. Les Sudistes parleront de manipulations électorales, et ces hommes politiques bombardés en région conquise seront souvent identifiés comme faisant partie des carpetbaggers, ces arrivistes yankee venus se régaler des décombres du Sud en spéculant sur tout, en se faisant élire partout, en achetant tout (en particulier d’anciennes exploitations agricoles, où ils prendront les anciens esclaves comme salariés). Des Sudistes aussi, surnommés scalawags par leurs compatriotes amers, se mêleront à la curée et se mettront au service du parti républicain.
La gestion des États méridionaux sera alors aussi dictatoriale que malsaine. Les gouvernements de la Reconstruction constitueront en effet un rare exemple de corruption généralisée [15], et tout mouvement populaire cherchant à s’opposer à la vindicte des opportunistes en tous genres sera écrasé par l’armée d’occupation fédérale. Mais ces structures économico-politiques vérolées s’écrouleront rapidement : petit à petit, les anciennes élites du Sud, par diverses méthodes plus ou moins propres, reprennent le pouvoir à mesure que les élites du Nord cessent de s’investir dans le sort (et le vote ?) des Noirs et que les malversations des arrivistes apparaissent aux yeux du public.
En 1877, une tractation est passée entre le parti républicain et le parti démocrate. L’élection controversée du candidat républicain Rutherford Hayes est admise contre le retrait des ultimes troupes fédérales dans le Sud. Il s’agit du « compromis de 1877 ». Les démocrates sudistes remettent alors entièrement la main sur les institutions méridionales, où , bientôt, on ne verra plus aucun de ces Afro-américains arrivés dans les assemblées par le biais du règne des républicains radicaux.
La guerre de Sécession, quelles conclusions pour l’Histoire ?
Le bilan de la Reconstruction est donc l’objet de nombreuses discussions. On peut certes constater la naissance d’une nation davantage unifiée ; on peut louer la fin, certes brutale, mais effective, de l’esclavage ; on peut contempler les grands progrès en terme d’infrastructures au Sud (écoles, hôpitaux…). Mais pour de nombreux écrivains ou essayistes identitaires, la guerre de Sécession correspond à la mise à mort d’une culture, d’une « civilisation », dira même Dominique Venner. Le Sud, pourtant fruit des idées modernes, témoignait d’un certain rapport à la terre, de certaines valeurs, qui évoquaient pour certains une tradition européenne déjà en plein déclin de l’autre coté de l’Atlantique, sur le Vieux Continent. La guerre de Sécession ressemble alors à une apparition brève et éclatante d’une lutte sourde, qui remuait et mûrissait dans les profondeurs du monde occidental au XIXème siècle. Pierre Vial le dit ainsi : pour lui, il s’agit d’un affrontement qui préfigure « ce que seront les grands affrontements du XXème siècle : un face-à-face [entre] une société marchande, n’ayant pour préoccupation que l’accumulation de l’argent […], exploitant des déracinés, et un monde vivant de la terre, un monde paysan où la force de l’enracinement, de la fidélité aux traditions, du culte du sang dicte des règles de vie qui n’ont même pas besoin d’être exprimées tant elles sont liées […] à des lois évidentes car venant de l’héritage ancestral [16]. »
- Scène connue de l’adaptation cinématographique d’Autant en emporte le vent. Cette œuvre populaire illustre assez bien le Sud charnel et son orgueil, sa fierté, sa joie de vivre, son esprit chevaleresque et combattif qui imprègnent tout son corps social.
Pour revenir au sort des Noirs à l’issue de la guerre – cette population que la victoire unioniste devait avoir sauvée d’un système inique –, on ne manquera pas de rappeler que les restes de l’élite du Sud, en revenant aux affaires, se sont finalement comportés comme tout résidu de noblesse survivant à une révolution et voulant sauvegarder ses intérêts de classe. Plutôt que de sombrer avec l’ordre social d’antan, ils s’allieront aux forces d’argent du Nord dans la nouvelle Amérique en cours de consolidation. Sur le terrain local, pour garder la main, ils flatteront les plus sombres, mais aussi les plus simples instincts de conservation d’une population blanche paniquée par la chute de tout ce qui structurait son monde : la discrimination raciale, sous sa forme la plus malhonnête, va durablement s’installer, par des moyens détournées excluant les Noirs – et les Blancs pauvres au passage – de la vie politique (tests de connaissance ou taxes pour voter) mais aussi par de multiples lois installant la ségrégation raciale dans la vie publique, les fameuses Jim Crow Laws. Ces dispositions perdureront jusqu’aux années 1960.
- « Pour les personnes de couleur seulement. »
La ségrégation raciale s’installera durablement dans le Sud après la clôture de la Reconstruction.
En considération de ce survol schématique [17] des événements ayant marqué l’histoire américaine au cours du XIXème siècle, on pourra trouver pertinente une démarche de l’actuelle communauté afro-américaine consistant à se méfier des voix externes à leur communauté qui assurent vouloir défendre leurs droits et leurs intérêts. L’Amérique contemporaine s’affiche comme celle de l’égalité, mais celle-ci, en dépit des affirmative actions et de l’écrasante propagande idéologique de la diversity qui l’accompagne, peine toujours incroyablement à se vérifier dans les faits d’un point de vue économique et social. À l’heure où les médias, rarement dirigés par des Afro-américains, participent à la montée des tensions raciales en s’appuyant sur de douteuses et tragiques altercations entre les forces de l’ordre et des jeunes Noirs, les éloquents exemples historiques d’instrumentalisation des questions communautaires méritent, plus que jamais, d’être remémorés.