De la théorie du complot à la théorie des Bisounours, ou comment imputer au hasard les méfaits de la mondialisation néolibérale et de l’oligarchie.
A chaque fois qu’un citoyen pointe du doigt les stratégies des classes oligarchiques ou de toute autre entité, la pensée officielle l’accuse de tomber dans la théorie du complot, et ce quand bien même le contestataire aurait invoqué des fait avérés et évidents aux yeux de tous. Ainsi le malheureux se voit complètement décrédibilisé, isolé, du fait de sa prétendue adhésion à une théorie du complot à laquelle personne ne croit sérieusement et qui jouit d’une piètre réputation. La stigmatisation par l’accusation de « complotisme » permet donc à la pensée officielle de rejeter son contradicteur dans les limbes de l’ostracisme (technique à peu près aussi efficace que l’accusation d’antisémitisme) et d’étouffer sa parole.
La théorie du complot consiste à croire qu’une poignée d’individus se réunirait en secret pour gouverner le monde et distribuer les postes. Tous les évènements auraient été prévus, planifiés, organisés, et chacun d’eux ne serait que l’élément, la résultante et finalement une étape, d’une feuille de route globale écrite par quelques décideurs. Tout serait sous contrôle, et toutes les commandes seraient tenues d’une main ferme.
Cette vision du monde est pour le moins naïve, ne serait-ce parce qu’elle est matériellement et techniquement impossible. Le « marionnettisme » est affabulation parce qu’il ignore la complexité du monde. Mais le problème n’est pas là. Le problème est que dès que l’once d’un projet venant d’un groupe d’intérêt (étatique, économique, religieux, occulte) et dont les conséquences peuvent être potentiellement négatives est révélé, le divulgateur voit son propos être affublé de l’étiquette de complot et, par extension, de complotisme. Il ne serait qu’un paranoïaque délirant.
A titre d’exemple, évoquer l’influence des Etats-Unis (pour ne pas dire de la CIA) dans la création de l’Union européenne est assimilé à du complotisme, attaque ridicule tant l’affirmation est prouvée par les archives américaines. Dire que derrière la privatisation de la création monétaire se trouvent les banques (à qui d’autre profite le crime ?) est aussi taxé de complotisme, et qu’importe qu’il s’agisse d’une évidence absolue.
La moindre mise en éclairage de fomentation, d’instigation venant d’un groupe d’intérêt se retrouve potentiellement sous le feu de l’accusation de complotisme. Toute intention égoïste, malveillante, négative est niée. Il est impossible qu’un groupe puisse défendre ses intérêts par des projets au détriment (ou pas) de la collectivité. Nul n’use de son influence, de son pouvoir, encore moins l’oligarchie…
Il ressort de ce réflexe de chien de garde une seule vision du monde complètement niaise et béate où seul le hasard serait le moteur de l’histoire. L’équation que la pensée officielle tente d’inculquer est la suivante : stratégie politique = complot = théorie du complot = délire. Le monde, selon la pensée officielle, est dépourvu de tout rapport de force. Rien n’a de cause, tout est hasard. Et si le hasard est ce qui détermine la condition de chacun, alors pourquoi se plaindre ? Se plaint-on du hasard ? Non. En revanche, il est possible de se plaindre et de combattre des forces asservissantes. Mais celles-ci n’existent pas, nous explique la pensée officielle…
Cette vision peut-être objectivement partagée que par des imbéciles incultes n’ayant jamais ouvert de livre d’histoire. Car si le hasard a évidemment sa place dans l’histoire, celle-ci se voit malgré tout mue par divers facteurs (rapports de classe), démographie, climat, immigration, inconscient et intérêt nationaux) parmi lesquels on retrouve les projets de ses acteurs, à savoir la politique. La volonté, l’initiative, l’impulsion, le choix sont des moteurs de l’histoire de première importance et les dénégations grotesques des policiers de la pensée officielle n’y changent rien. Karl Marx lui-même convenait de l’importance de la politique « impulsée », malgré le déterminisme purement économique du matérialisme historique.
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La théorie du complot est donc ridicule. Mais sa condamnation, utilisée dans l’optique de faire taire celui qui révèlerait la stratégie d’un groupe précis et de dissiper les rapports de force actuels, ne l’est pas moins. Elle l’est peut-être même plus. Car cela aboutit à créer ce que nous appellerons la théorie des Bisounours : selon cette théorie, aucun groupe social ne défendrait ses intérêts, il n’existerait aucune malveillance, aucun égoïsme et surtout pas de politique. LA théorie des Bisounours consiste à empêcher la divulgation des desseins de l’oligarchie financière, à dire au citoyen que tout va pour le mieux, dans le meilleur des mondes. Il n’a pas à s’inquiéter. Personne ne cherche à lui nuire. Il est donc inutile qu’il se pose des questions, et surtout pas au sujet du pouvoir, ce serait paranoïa. Oui, surtout qu’il ne se pose pas de question : on s’occupe de lui