Pour les pays qui n’ont pas de ressources minières, l’approvisionnement en énergie est vital. Après le charbon au 19e siècle, le pétrole et le gaz sont devenus au 20e siècle les objectifs stratégiques les plus importants, pour les pays industriels qui doivent importer.
Ce commerce international de l’énergie est si important qu’il peut être un prétexte à des opérations militaires.
Les récentes croisades énergétiques d’Irak ou de Libye en sont une parfaite démonstration. L’intensité de cette bataille pour l’énergie devrait s’accroitre car en dépit de la crise financière, il y a une croissance économique mondiale, et les besoins en énergie des pays émergents ou en voie de développement continuent à augmenter. Mais en dehors des matières énergétiques, (charbon, pétrole gaz et uranium) les industries consomment aussi un grand nombre de minerais indispensables. Parmi ces minerais, les « terres rares » sont devenues un enjeu stratégique vital, dont l’importance devrait considérablement s’accroitre dans les années à venir, surtout dans le domaine des nouvelles technologies et de la « croissance verte ».
Les terres rares sont un groupe de 17 éléments chimiques (entre autres Praseodymium, Rubidium, Lanthanum, Cerium, Neodynium, Europium) qui contrairement à ce que suggère leur nom, sont relativement répandus dans l’écorce terrestre. Mais le problème est de trouver des gisements avec une concentration suffisante pour être exploités. Les terres rares sont indispensables à la production de nombreux produits de haute technologie : tels que les ordinateurs, les téléphones portables, les écrans plats, les éoliennes, les ampoules à basse consommation ou encore les moteurs des voitures électriques. Les terres rares sont également utilisées dans le secteur de la défense, notamment pour la construction de missiles guidés et de radars. Leur utilisation s’est donc considérablement accrue depuis la fin du XXe siècle et elles ont donc une importance géostratégique de tout premier ordre, devenant un redoutable levier politique.
Jusqu’en 1950 la plupart des terres rares provenaient d’Inde et du Brésil. C’est ensuite l’Afrique du sud qui a assuré le gros de la production jusque dans les années 1980 ou l’Amérique a pris le relais et est devenu le principal fournisseur. Depuis le début des années 2000, la Chine a fait baisser les prix et elle assure maintenant l’essentiel de la production mondiale des terres rares : 95% en 2010. Conséquence de ce quasi monopole : En 2010, l’arrêt des livraisons chinoises au Japon alors que les deux pays étaient en pleine crise diplomatique (suite à un différend territorial en Mer de Chine) a provoqué un coup de tonnerre dans le ciel des industriels occidentaux et asiatiques.
En 2010 la Chine a produit 120.000 des 125.000 tonnes de terres rares produites dans le monde ! 2.000 tonnes ont aussi été produites en Russie, 1.700 tonnes en Amérique, 650 tonnes au Brésil, 380 tonnes en Malaisie et 75 tonnes en Inde. Plus de la moitie de la production chinoise vient du site de Bayan Obo en Mongolie intérieure, et 35% de la province du Sichuan. Il est intéressant de savoir que plus de la moitié de la production chinoise est consommée par la Chine et que pour 2009, 50% de ses exportations sont allées Japon, 19% aux Etats-Unis, et 15% vers les pays industriels de l’Union Européenne (principalement France, Allemagne, Italie, Hollande).
Les réserves mondiales en terres rares étaient estimées à 110 millions de tonnes fin 2010, détenues à 50 % par la Chine, devant la Communauté des états indépendants (17 %), les États-Unis (12 %), l’Inde (2,8 %) et l’Australie (1,9%). Cette prépondérance chinoise inquiète beaucoup les pays importateurs car la Chine a instauré des quotas d’exportations et annoncé qu’elle réduira ses exportations et sa production de Terres rares de 10 % pour 2011 pour des questions environnementales. La Chine a été condamnée par l’Organisation Mondiale du Commerce en juillet 2011, suite à une plainte déposée par l’Union Européenne, les États-Unis et le Mexique, destinée à mettre un terme ces quotas qui ont fait exploser les prix. De plus, la demande mondiale augmente chaque année, et en 2015, la consommation totale devrait atteindre 185.000 tonnes, soit 50% de plus qu’en 2010, mettant ainsi le marché des terres rares sous pression.
L’enjeu est donc pour les pays consommateurs de sécuriser leur approvisionnement et de tenter de limiter l’impact de la raréfaction des terres rares au niveau mondial. Trois moyens existent : réduire leur utilisation, diversifier les sources d’approvisionnements (hors Chine) ou recycler ces minerais. La réduction de la consommation semble presque impossible et le recyclage ne permettra pas de faire face à la demande croissante de terres rares au moins à court et moyen terme. La seule solution est donc dans la réouverture de mines abandonnées et dans la recherche de terres rares hors de Chine. Le gisement américain de Mountain Pass, dont la production a été arrêtée en 2002 devrait redémarrer et atteindre 20.000 tonnes / an à compter de 2012.
Le gisement de Mount Weld, en Australie, devrait voir sa production redémarrer fin 2011 et atteindre 22.000 tonnes / an fin 2012. Le gisement de Lofdal, en Namibie, est étudié par une société canadienne pendant que le gisement de Hoidas Lake, au Canada, est lui aussi exploré. Enfin les Japonais ont créé des coentreprises dans différents pays afin d’exploiter divers gisements : Sumitomo avec Kazatomprom, au Kazakhstan, Toyota au Vietnam et Mitsubishi à Pitinga au Brésil.
Mais récemment de nombreux gisement ont été découverts qui devraient bousculer l’équilibre géostratégique planétaire sur cette ressource et entrainer l’affaiblissement de la position chinoise de quasi-monopole. Le Brésil vient d’annoncer en effet que d’immenses réserves de terres rares avaient été découvertes et allaient être exploitées. Les Brésiliens ne sont pas les seuls à avoir fait de telles découvertes. D’après une équipe de géologues japonais, les fonds de l’océan Pacifique regorgeraient de terres rares. Selon une estimation de l’Université de Tokyo les gisements se trouveraient à des profondeurs variant de 3.500 à 6.000 mètres et s’étaleraient sur des milliers de km2.
Pour le moment, la Russie est le second fournisseur mondial de terres rares et détient officiellement 20% des réserves mondiales connues. Mais cette estimation pourrait être revue assez fortement à la hausse après les dernières découvertes dans la région de Mourmansk ou la péninsule de Kola. La chasse aux substances stratégiques ne se limite pas aux terres rares. Dans les îles Kouriles un gisement de rhénium vient d’être découvert. Ce métal rarissime est utilisé dans divers domaines de la chimie. Le gisement des Kouriles pourrait produire plus de 26 tonnes par an alors que la demande mondiale du rhénium s’élève à seulement 30 tonnes par an.
Les îles Kouriles sont également riches en d’autres éléments rares : germanium, indium, hafnium. Mais pour l’instant personne ne parle de leur prospection car selon la loi, en Russie, ces gisements sont déclarés stratégiques, c’est-à-dire que leur prospection est limitée et encadrée. Pour autant, c’est de bon augure pour renforcer la place de la Russie comme fournisseur de terres rares ou de métaux rares à destination des pays industrialisés importateurs.